De nouvelles opportunités de collaborations ambitieuses s’offrent à nous
Directeur du bureau du CNRS à Ottawa, Jan Matas présente les enjeux des principales activités de recherche partenariale entre le Canada et la France.
Le Bureau du CNRS au Canada a été officiellement ouvert en janvier 2022, quel premier bilan peut-on faire ?
Jan Matas[i] : Le Bureau a été créé avec un objectif clair : bâtir de nouveaux partenariats diversifiés dans tout le pays, en s’appuyant sur les liens existants entre les communautés scientifiques et en ciblant les stratégies nationales de recherche et d’innovation, souvent complémentaires des deux côtés de l’Atlantique. Au cours de ces 18 mois, nos actions ont été plurielles mais toutes très structurantes. Nous veillons plus particulièrement à travailler autant que possible, dans une dynamique nationale, en associant les universités françaises et autres organismes de recherche. Cela s’est notamment traduit au travers de la mise en place du Canada France Quantum Alliance (CAFQA), un réseau de recherche international (IRN) dans le domaine du quantique associant en plus du CNRS, 8 universités françaises et 8 universités canadiennes, la structuration d’un partenariat stratégique avec l’Université de Toronto et avec l’Université de Sherbrooke ainsi que la participation du CNRS à la préparation du premier Comité mixte stratégique France – Canada en science et technologie (COMIX). Le Bureau a aussi accompagné l’inauguration de deux nouveaux laboratoires internationaux (IRL) à Montréal et à Sherbrooke, la création de trois nouveaux projets (IRP) à Ottawa et à Calgary, en photonique, en urbain anthropocène et en chimie ou encore le lancement d’un projet innovant d’une chaire de recherche franco-québécoise sur les enjeux contemporain de la liberté d’expression. Le PDG du CNRS a pu signer en outre deux accords-cadres avec le Conseil de recherche en sciences naturelle et en génie (CRSNG) et le Fonds de recherche du Québec – Nature et Technologie afin de soutenir davantage les coopérations scientifiques de haut-niveau. Par ailleurs, pour accompagner et amplifier davantage sa démarche constructive du CNRS au Canada, le Bureau a été renforcé cette année par le recrutement en avril d’un chargé de projets scientifiques.
Comment ces chantiers s’inscrivent-ils dans la stratégie internationale du CNRS ?
J. M. : La création du réseau CAFQA répond à plusieurs orientations stratégiques du CNRS au niveau international. Ce réseau vise à réunir des collaborations scientifiques de haut niveau déjà existantes entre les deux pays ainsi qu’à les élargir et amplifier grâce aux plans quantiques nationaux complémentaires. Il s’appuie également sur la dynamique lancée par une table ronde virtuelle organisée conjointement par l’agence Mitacs[1] et les ambassades canadiennes et françaises en 2021, à laquelle de nombreux chercheurs et chercheuses CNRS ont participé. Enfin, 16 universités françaises canadiennes ont été intégrées dès le début dans les discussions animées par le Bureau du CNRS au Canada afin de bâtir ce réseau de recherche unique. Par ailleurs, le premier colloque scientifique, qui s’est tenu en mai à Paris au siège du CNRS, a confirmé cette dynamique avec une centaine de chercheurs et chercheuses dont plus d’une quarantaine venue des provinces du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie Britannique.
Quant à la coopération du CNRS avec l’Université de Toronto, elle est d’une grande importance, impliquant les 10 instituts du CNRS. Elle donne lieu à environ 400 co-publications scientifiques par an et est liée à une douzaine d’universités françaises grâce aux 15 projets doctoraux financés par le CNRS depuis 2019. Depuis 2016, le CNRS a investi environ 2 M€ pour soutenir différents projets de coopération. Le Bureau a également été à l’origine en 2022 d’un appel innovant et complémentaire, « Twin Research Scholars », qui a permis de faire émerger trois nouvelles équipes de recherche conjointes en philosophie des sciences, communication quantique et biophysique du cerveau. En 2023, le CNRS et l’Université de Toronto ont signé une lettre d’intention visant la création d’un centre de recherche international (IRC).
Avec l’Université de Sherbrooke, le CNRS développe un partenariat fort depuis plus de 15 ans dans le domaine des nanosciences et nanotechnologies, ainsi qu’en sciences quantiques. Les collaborations évoluent dans un écosystème de recherche ayant des liens étroits avec le secteur industriel. En intégrant de nombreux doctorants en cotutelle avec plusieurs universités et grandes écoles françaises, elles associent également notre filiale – CNRS Innovation. Prochainement, un centre de recherche international issu de ce partenariat verra le jour et pourrait devenir un exemple d'innovation en résonance avec la recherche scientifique d'excellence, dans un contexte francophone associant également l'Europe et l'Amérique du Nord.
Grâce son important réseau de coopérations au Canada et à sa représentation institutionnelle, le CNRS est solidement ancré dans l’écosystème partenarial franco-canadien. C’est aussi pour cela que le PDG du CNRS a été invité à siéger au Conseil stratégique du Comité mixte France – Canada. Les différents projets fédérateurs portés par le CNRS ont contribué à illustrer le fort potentiel collaboratif entre les deux pays lors de la première rencontre du Comité mixte le 24 avril à Ottawa, en présence de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Sylvie Retailleau et de François-Philippe Champagne, ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie du Canada.
Quelles sont les grandes priorités canadiennes en matière de recherche aujourd'hui ? Existe-il des équivalents aux grands programmes nationaux pilotés ou copilotés par le CNRS en France, comme les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) du plan France2030[2] ?
J. M. : Le Comité mixte France-Canada a exprimé la volonté de renforcer la coopération dans le domaine des technologies émergentes, de la santé globale, de la transition énergétique et des sciences océaniques et polaires. Ces quatre secteurs résonnent avec la volonté de trouver des solutions aux défis globaux majeurs et se reflètent dans plusieurs PEPR français. Ils s’alignent également sur les orientations stratégiques de la recherche canadienne affichées dans plusieurs budgets de la recherche, notamment celui de 2021 qui a mis l’accent sur le quantique, la santé et la bio-innovation, les technologies de décarbonation ou encore la préparation aux pandémies. S’il n’existe pas d’équivalent canadien aux PEPR, le gouvernement canadien a néanmoins annoncé en avril 2023 un nouvel investissement de 1,4 milliard de dollars sur 7 ans autour de 11 projets « APOGÉE »[3] portés par plusieurs consortia universitaires.
Quel regard portez-vous sur l'avenir en termes de collaborations scientifiques ?
J. M. : Le COMIX a non seulement souligné plusieurs thématiques prioritaires mais a également impulsé une dynamique nouvelle pour la coopération entre les deux pays, en y intégrant, par ailleurs, un volet transversal de la science ouverte et de la science en français et du multilinguisme. Dans le domaine des technologies émergentes, le CNRS est déjà fortement impliqué. D’une part, à travers l’International Laboratory on Learning Systems (ILLS) à Montréal qui, je l’espère, pourra développer des liens avec les autres centres IA au Canada, notamment à Toronto/Waterloo et à Edmonton. D’autre part, le CNRS a impulsé le réseau CAFQA et continuera à le renforcer, notamment via un second colloque scientifique en mai 2024 à Ottawa. Par ailleurs, les équipes scientifiques impliquées pourront répondre à l’appel conjoint entre l’ANR et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), issu des discussions du COMIX et qui devrait être lancé prochainement.
Parmi les trois autres secteurs proposés, les sciences océaniques et polaires, ainsi que le nexus océan et climat, représentent une opportunité particulièrement pertinente pour le CNRS, acteur majeur du domaine qui copilote, avec l’IFREMER, le PPR Océan et Climat et qui participe à six autres PEPR semblables. Le CNRS développe et soutient actuellement plusieurs projets conjoints à l’échelle du Canada avec des partenaires universitaires et institutionnels situés entre les océans Atlantique, Pacifique et Arctique. Le laboratoire international TAKUVIK à l’Université Laval, impliquant également des collaborations avec Sorbonne Université et l’Université de Bretagne Occidentale et l’IFREMER, en est le vaisseau amiral. Plusieurs nouveaux investissements canadiens dans la recherche sur les océans et sur l’arctique, dont notamment plusieurs projets « APOGÉE 2023 », représentent de nouvelles opportunités pour des coopérations ambitieuses.
Bien entendu, nous allons continuer à accompagner les collaborations des chercheurs et chercheuses ayant tissé des liens scientifiques innovants avec leurs collègues canadiens et ayant pour objectif de créer de nouveaux outils de coopération. En particulier, le Bureau finalisera en 2024 la structuration des deux centres de recherche internationaux avec les universités de Toronto et de Sherbrooke à travers l’organisation de différentes activités telles que des colloques scientifiques autours des axes thématiques prioritaires identifiés par leurs comités de pilotage.
Il faut souligner que toutes ces activités vont se déployer avec une volonté de concertation avec d’autres acteurs français – scientifiques, universitaires et institutionnels. Les collaborations de recherche à l’international bénéficient aussi beaucoup des mobilités – si possible réciproques – de jeunes talents. L’implication systématique des universités dans des partenariats portés par le CNRS contribuent ainsi non seulement à leur impact scientifique mais également à leur pérennité dans le temps.
[i] Jan Matas est directeur du bureau du CNRS à Ottawa.
[1] Mitacs est un organisme canadien sans but lucratif qui soutient des programmes de recherche et de formation au Canada depuis 20 ans, en collaboration avec 70 universités canadiennes, 6 000 entreprises et le gouvernement.
[2] Le plan « France 2030 », doté de 30 milliards d'euros déployés sur 5 ans, vise à développer la compétitivité industrielle et les technologies d'avenir.
[3] Le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada (le fonds Apogée) cherche à renforcer les points forts existants d’établissements d’enseignement postsecondaire canadiens afin qu’ils puissent se distinguer à l’échelle internationale dans des domaines de recherche qui génèrent des avantages sociaux et économiques à long terme pour le Canada. Au moyen d’un processus d’évaluation par les pairs hautement concurrentiel, le fonds Apogée investit environ 200 millions de dollars par année pour aider des établissements d’enseignement postsecondaire canadiens à transformer leurs principales forces en compétences de calibre mondial.