Le CNRS défend l’avenir de l’astronomie auprès de l’Union européenne
Les récentes réflexions en cours à la Commission européenne concernant une nouvelle législation sur l’espace sont l’occasion pour le CNRS de défendre la nécessité de préserver les activités de recherche spatiale, à l’heure où la multiplication des objets orbitaux fait peser de nouvelles menaces.
Depuis l’Antiquité, on a coutume d’appeler « constellations » des regroupements d’étoiles, visibles à l’œil nu depuis la Terre, évoquant certains animaux ou figures mythologiques. Le mot changera-t-il de sens à l’heure où se multiplient d’autres « constellations », composées de milliers de satellites commerciaux, toujours plus nombreux dans l’orbite terrestre, au point qu’ils puissent entraver l’astronomie ?
C’est en partie pour réguler cet environnement extraterrestre de plus en plus investi par ce qu’on appelle le New Space, soit l’arrivée de nouveaux acteurs, notamment privés – parmi lesquels l’entreprise SpaceX, du milliardaire états-unien Elon Musk, et sa constellation de satellites Starlink – que l’Europe souhaite se doter d’un outil juridique protecteur.
Dans cet esprit, la présidente de la Commission européenne a souhaité, dans son discours sur l’état de l’Union de septembre 2023, une loi spatiale (EU Space Law). Objectif : positionner l’Union européenne (UE) sur ce nouveau marché en tant que puissance régulatrice, gardienne d’un « green and resilient space ». Initié par Thierry Breton, ex-commissaire en charge de la défense et de l’espace, le projet de loi repose désormais sur le bureau de son successeur, Andrius Kubilius, dont la nomination doit être validée par le parlement européen au cours des prochaines semaines.
Saisissant cette opportunité pour défendre les intérêts de la recherche impactée par cet encombrement spatial, le CNRS a publié un avis de position (lire au bas de l'article) destiné aux régulateurs européens. Piloté par le bureau de Bruxelles, cet avis a été rédigé en concertation avec les instituts concernés. Il appelle à « un soutien fort aux activités de recherche et développement notamment via le développement de capacité de production et de contrôle des données […] et aux activités de recherche fondamentale comme vecteurs d’un leadership européen fort sur la scène internationale ».
Préserver les activités de recherche dans l’espace
Depuis 2021, le nombre de satellites en orbite croît de manière considérable. En 2023, on dénombre près de 2900 satellites au-dessus de nous, soit 17 % de plus qu’en 2022, pour une masse totale en orbite de plus de 1500 tonnes. Et parmi eux, SpaceX est un acteur de poids, en situation de quasi-monopole : sa constellation de 2500 satellites Starlink, fournisseurs d'accès à Internet, représente plus de 85 % de la masse totale satellisée dans le monde et 88 % du nombre total de satellites mis en orbite. Cette masse devrait considérablement croître au cours des prochaines années. D’une part, car SpaceX ambitionne de propulser en orbite jusqu’à 42 000 satellites Starlink ; et d’autre part, car d’autres acteurs envisagent de déployer leur propre constellation, comme le géant du e-commerce Amazon, qui vient d’envoyer en orbite en octobre 2023 deux prototypes de ses satellites Kuiper. Une situation qui évoque à Nicolas Arnaud, directeur de CNRS Terre & Univers, « une jungle dans laquelle tout le monde peut faire à peu près n'importe quoi ».
L’astronomie, et plus généralement la recherche, figure parmi les domaines que l’Europe devrait chercher à protéger. L’avis du CNRS recense un ensemble de menaces que la multiplication des satellites, notamment commerciaux, fait peser sur la qualité et la viabilité des données astronomiques. Les traînées lumineuses visibles des satellites, leur réflexion de la lumière du Soleil ou encore leurs interférences directes et indirectes produites avec les ondes radioastronomiques sont autant de risques qui pèsent déjà – et pèseront toujours plus à mesure que ces constellations grandiront – sur l’observation scientifique. Devant pareille situation, Nicolas Arnaud livre un amer constat : « La multiplication de ce qui vole autour de nous, de ce qui peut voler, de ce qui va voler, de ce qui a volé mais également ce qu'on voit moins, l'envahissement de l'espace de proche de la Terre par des émissions dans tous les sens, nous interdiront un jour de faire de la radio astronomie. C’est pourquoi l'avis du CNRS insiste sur l’importance de la régulation de manière à garder un espace dans lequel on peut continuer à faire – notamment – de la science ».
En plus de la science, le CNRS milite pour la préservation d’un ciel noir et silencieux. Ceci vaut aussi bien pour les activités humaines que pour les autres habitants de la planète bleue. L’argumentaire souligne ainsi que l'augmentation globale de la luminosité du ciel peut avoir des impacts sur la biologie et les espèces vivantes, notamment sur les schémas migratoires de nombre d’entre elles, et que pour conserver cette biodiversité, le CNRS coordonne le réseau « écologique sombre ». Enfin, la croissance exponentielle des constellations satellitaires augmente d’autant le risque de collisions directes et, par conséquent, fait craindre la perte d’instruments scientifiques nécessaires au suivi des indicateurs climatiques et des modélisations météorologiques, inestimables aussi bien d’un point de vue scientifique que sociétal.
La recherche, acteur du spatial durable de demain
Face à l’irruption de ces nouveaux acteurs, la recherche rappelle, comme le dit Nicolas Arnaud, qu’elle est « un acteur du spatial durable de demain » et de la compétitivité du secteur spatial européen. En conséquence, il faut non seulement sanctuariser ses activités extraterrestres, mais également pérenniser la recherche fondamentale et renforcer son budget dans ce domaine. L’avis du CNRS sur le sujet et, plus généralement, l’influence qu’exercent les représentants des organismes de recherche européens à Bruxelles ont ainsi pour objectif de faire entendre la voix de la recherche dans le prochain programme-cadre pour la recherche et l’innovation européen. D’autant que des organismes comme le CNRS sont loin de se résumer à la seule recherche fondamentale. Alain Mermet, à la tête de la direction Europe et international de l'établissement, considère ainsi le CNRS comme « un véritable acteur du New Space » en raison de la quinzaine de start ups dans le domaine issues de ses rangs, dont ThrustMe, qui conçoit des moteurs-fusées pour les satellites de très petite taille.
L’avis du CNRS plaide en ce sens pour une meilleure intégration des organismes de recherche dans la politique spatiale européenne. Ceux-ci pourraient y jouer deux rôles. D’une part, à l’heure de « la multiplication des opérateurs, qui accroît certes les sources potentielles de données d’observation de la Terre, mais de manière non-encadrée par des scientifiques » que décrit l'ancien directeur du bureau de Bruxelles, celui de garant de la qualité des données issues du spatial, en assurant leur traçabilité et leur traitement. D’autre part, alors que s’esquissent de plus en plus un retour de l’espèce humaine sur la Lune, voire ses premiers pas sur Mars, et le développement massif de services en orbite, le rôle de conseiller via le développement d’une expertise interdisciplinaire spécifique.
Loin de desservir la compétitivité des industries européennes, un tel positionnement renforcerait la singularité européenne dans le paysage spatial international. Comme l’observe Nicolas Arnaud, « la question des données spatiales irrigue l'ensemble de l'économie, car il s’agit de les rendre plus abordables, plus distribuées, plus disponibles et plus adaptées aux besoins des porteurs d'enjeux ». En définitive, ce n’est pas parce que la science a la tête dans la lune qu’elle se préoccupe de l’espace, mais bien car ce qui se joue là-haut améliore nécessairement sur nos vies ici-bas.