PEPR NumPEx : calcul haute-performance et souveraineté européenne
Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire Numérique pour l’exascale (NumPEx) – piloté par le CNRS, le CEA et Inria – a pour objectif de concevoir et développer des briques logicielles qui équiperont les futures machines exascales. Il contribue ainsi à préparer les futurs utilisateurs, scientifiques et industriels, à exploiter les capacités de ces machines. Le programme est doté d’un budget de 40,8 millions d’euros sur 8 ans. Explications avec Michel Daydé, codirecteur du programme pour le CNRS.
Le PEPR NumPEx - que vous coordonnez avec Jean-Yves Berthou (pour Inria) et Jérôme Bobin (pour le CEA) - fait partie intégrante du Projet Exascale France lui-même en coordination du projet européen EuroHPC. Pouvez-vous nous présenter les enjeux de ces projets et le rôle particulier que va jouer le PEPR dans ce contexte ?
Michel Daydé : Le programme EuroHPC est une initiative conjointe entre l'Union européenne, les pays européens et des partenaires privés pour développer un écosystème de supercalculateurs de classe mondiale en Europe d’ici 2025. Il s’appuiera pour cela sur deux ordinateurs exascales, c'est-à-dire capables de réaliser 1 milliard de milliards d’opérations par seconde. Et ce, avec la contrainte énergétique de ne pas dépasser une consommation de 20 mégawatts. La première machine sera en Allemagne, la France a répondu au deuxième appel à projets pour héberger la seconde. À cet effet, la communauté française s’est structurée autour d’un projet exascale national porté par GENCI.
Toutefois, l’impact de ces supercalculateurs dépendra entièrement des applications qui seront amenées à l’utiliser. Il y a donc un besoin fort de construire un écosystème d’applications et de personnes qui adapteront ces applications aux nouvelles machines. En effet, les ordinateurs exascales représentent une évolution majeure d’architecture avec des dizaines de milliers de processeurs graphiques (GPU) qui vont massivement accélérer les calculs. Cela demande donc de modifier les algorithmes existants voire d’en développer de nouveaux. Le PEPR NumPEx répond à ce besoin spécifique via une recherche interdisciplinaire regroupant mathématiciens, informaticiens et les chercheurs et chercheuses des différents domaines d’application.
Comment le PEPR prévoit-il de répondre à ces enjeux ?
M.D : Le changement d’architecture de ces ordinateurs ultra-puissants fait que toute la pile logicielle1
est à adapter ou à créer. C’est un changement de paradigme qui s’opère. En ce sens, le squelette du PEPR s’appuie sur des projets fondamentaux autour du développement de méthodes, d’algorithmes, de logiciels et d’outils de traitement des données adaptés à l’exascale. Il y a également des enjeux spécifiques à la consommation énergétique de l’exascale d’autant plus prégnante aujourd’hui. Autrement dit, il faut déployer des applications qui consomment le moins d’énergie possible pour arriver à la solution d’un problème donné. Toutes ces recherches intégreront des démonstrateurs qui couvriront un nombre représentatif de grands domaines d’application.
À travers ce PEPR, nous visons donc à développer une pile logicielle française avec de nouvelles méthodes de résolution et de nouveaux outils sur des aspects de calculs, de traitement de données, d’intelligence artificielle, de support d’exécution et d’outils de monitoring qui pourront être adoptés, autant que possible, aux niveaux français et européen. Notre ambition est de mettre en place un environnement logiciel cohérent et efficace allant du support d’exécution aux applications.
Comment seront transférés les résultats et vers quels domaines applicatifs ?
M.D : Au cours de ce travail, nous allons identifier des préoccupations ou des besoins communs à diverses applications. Cela peut porter, par exemple, sur des approches algorithmiques communes à plusieurs applications ou des dispositifs de stockage avec des protocoles particuliers. L’idée est de mettre en place des solutions transverses à plusieurs domaines. Une cellule du PEPR sera chargée d’aider les équipes applicatives à intégrer les innovations des projets ciblés dans des démonstrateurs et plus largement à former les utilisateurs à leur usage.
Des industriels ont déjà manifesté leur intérêt, notamment Atos Bull et SiPearl qui sont fortement impliqués dans le programme EuroHPC sur la conception et la fabrication des futurs processeurs européens et des machines. Plusieurs centres d’excellence participent également au sein de ce PEPR avec leurs applications. Nous avons donc une bonne garantie de transfert vers les communautés scientifiques et industrielles. Nous nous appuyons d’ailleurs sur les domaines identifiés dans le rapport du Projet Exascale France. Cela représente environ 80 applications en lien avec les sciences de l’univers, la physique des hautes énergies et des particules, les sciences du vivant, l’énergie, l’industrie du futur et la recherche fondamentale.
Que va apporter cette course à la puissance à notre société ?
M.D : Le calcul haute performance est un moteur de découverte dans la recherche. Il permet de s’approcher au plus près de phénomènes physiques complexes. Il est utile pour faire avancer les connaissances sur des défis de grande ampleur : changement climatique, prédiction des catastrophes naturelles, économie d’énergie ; mais aussi sur des questions de résilience des sociétés et de compétitivité industrielle. Le développement de nouveaux matériaux, la médecine personnalisée, la conception de médicaments, etc., sont autant d’applications dans lesquelles les supercalculateurs vont jouer un rôle prépondérant. En accélérant les calculs associés à des domaines et des enjeux critiques, nous soutenons la compétitivité des entreprises et la souveraineté de notre société.
D’autant que le calcul haute performance est actuellement au cœur d’importants enjeux géopolitiques.
M.D : En effet, dans le secteur HPC, l’exascale est la prochaine marche à franchir. Il fait l’objet d’une concurrence majeure entre les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Europe. C’est une véritable compétition stratégique liée aux défis sociétaux susmentionnés auxquels il va permettre de répondre, ainsi que de par son potentiel sur des applications sensibles comme pour la défense. Par ailleurs, le Chips act, qui vise à reconstruire une industrie des semi-conducteurs en Europe, et les crises récentes du Covid-19 et de l’énergie ont mis en avant les dépendances de l’Europe. Autant de constats qui renforcent l’importance de la coordination entre le projet EuroHPC et ses déclinaisons au niveau national via le plan exascale et ce PEPR.
- 1Un groupe de programmes qui fonctionnent ensemble pour produire un résultat ou atteindre un objectif commun.