Lancement d'un drone sur le glacier du Changri-Nup, au Népal
Lancement d'un drone sur le glacier du Changri-Nup, au Népal © Thibaut VERGOZ / IGE / LGP / PRESHINE / IRD / CNRS Images

Drones en recherche : le CNRS leader

Institutionnel

Depuis huit ans, le CNRS est officiellement un exploitant déclaré de drones. Derrière ce titre se cache une décennie d’un travail de structuration et professionnalisation des pilotes par le pôle Drones du CNRS.

178 pilotes, 243 appareils, 2000 vols par an… On pourrait croire qu’il s’agit de n’importe quelle compagnie aérienne. Et pourtant, celle-ci se démarque au sein du paysage aérien français. Et pour cause : c’est le CNRS !

En effet, depuis 2016, date d’acquisition du statut d’« exploitant UAS » (pour « Unmanned Aircraft System », littéralement : « système d'aéronef sans humain à bord ») auprès de la Direction générale de l’aviation civile, le CNRS est officiellement un exploitant déclaré de drones1 . Cette reconnaissance formelle marque la consécration de presque une décennie d’usage de ces aéronefs télépilotés à des fins scientifiques sous la supervision du pôle Drones de l’organisme.

 

  • 1Outre les drones, le CNRS possède quatre avions à des fins d’observation scientifique. Trois se trouvent à Toulouse, au Centre national de recherches météorologiques (CNRS / Météo-France), et un autre à Rennes, au sein de l’Institut d'électronique et des technologies du numérique (CNRS / Centrale-Supélec / Insa Rennes / Nantes Université / Université de Rennes).
Un drone s'apprête à décoller pour étudier une forêt du Congo
Un drone s'apprête à décoller pour étudier une une forêt du Congo © Vincent Droissart

Un outil aux usages multiples

En une dizaine d’années, l’outil s’est imposé pour l’acquisition de nouvelles données dans presque toutes les disciplines scientifiques. C’est d’abord sa facilité d’usage qui a séduit les scientifiques. Pour Nicolas Barbier, chercheur IRD rattaché au laboratoire Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations1 qui utilise des drones depuis 2014, cet outil « s’est très vite avéré incontournable » et a de ce fait remplacé les campagnes aériennes en raison de sa flexibilité dans l’étude des forêts tropicales où son équipe travaille. Pour sa part, Loïc Damelet, photographe et ingénieur d’études CNRS au sein du Centre Camille Jullian2 , se remémore avec amusement sa manière de procéder avant l’arrivée des drones : « Auparavant, pour faire des photos sous-marines, je montais dans un pédalo, à bord duquel j’avais embarqué un toboggan sur lequel je me hissais pour prendre des photos ! ». En 2013, l’ingénieur change de technique et met au point son premier drone à l’occasion de fouilles sur un site archéologique immergé en Croatie.

De fait, en montant plus haut qu’un toboggan juché sur un pédalo, un drone permet d’accéder à des points de vue inédits. Pour étudier le site archéologique grec et romain à la fois terrestre et maritime d’Olbia, à Hyères-les-Palmiers (Var), le laboratoire de Loïc Damelet recourt au drone, car l’aéronef est capable de repérer des bâtiments enfouis sous une eau claire de faible profondeur et de les modéliser de manière nette et précise. Même si les vues surplombantes ne remplacent pas les photographies sous-marines, « les photomosaïques obtenues documentent le terrain comme jamais nous n'avons pu le faire auparavant et sont une aide très précieuse pour le cadrage de l'opération, la visualisation des changements d'échelle et la mise en place des dispositifs pour la sécurité des plongeurs », reconnaît le photographe. Pour les mêmes raisons, l’équipe de Nicolas Barbier recourt aux drones afin d’obtenir une « échelle intermédiaire entre le terrain, la tour d’observation et les vues satellites et un niveau de détails pour chaque arbre qu’on n’avait pas précédemment ». Les écologues peuvent désormais distinguer, au milieu de la jungle guyanaise qu’ils observent, fleurs, feuilles et même leurs ombres de manière à mesurer, le plus finement possible, la quantité de carbone que peut stocker une telle forêt.

C’est qu’outre leur vue fixe et surplombante, les drones peuvent fournir de nouvelles images, invisibles à l’œil nu. Pour qualifier différents paramètres de la forêt, Nicolas Barbier se sert ainsi de toute une panoplie d’appareils, allant de drones laser pour calculer la quantité de feuillage aux drones à caméra multispectrale pour analyser les propriétés chimiques des feuilles, en passant par le lidar et sa caractérisation en trois dimensions du massif forestier. Cette variété d’images, couplée au vol stationnaire, a aussi séduit Lucile Rossi, professeure à l’Université de Corse Pasquale Paoli au sein du laboratoire Sciences pour l’environnement3 . Cette spécialiste des feux de forêt les étudiait jusqu’en 2015 au sol, sur des plateaux expérimentaux. À cette date, la scientifique décida de suivre des feux en mouvement et, pour ce faire, d’embarquer sur des drones quatre caméras, deux pour le spectre visible et deux autres pour l’infrarouge, de manière à modéliser, vue du dessus, la propagation des incendies.

  • 1Amap, CNRS / Cirad / Inrae / IRD / Université de Montpellier.
  • 2CNRS / Aix-Marseille Université.
  • 3CNRS / Université de Corse Pasquale Paoli.
Ou comment obtenir une vue surplombante avant l'invention des drones
Ou comment obtenir une vue surplombante avant l'invention des drones © Loïc Damelet, Centre Camille Jullian, CNRS

Le pôle Drones pour faciliter le travail scientifique

Cependant, de telles utilisations de drones ne peuvent pas se faire de manière sauvage et doivent respecter un cadre règlementaire. De même que la circulation au sol suit un certain nombre de règles, l’espace aérien français est maillé d’un grand nombre de secteurs restreints ou interdits à l’usage de drones, même scientifiques. Nicolas Barbier en sait quelque chose : le site de Paracou, d’où il fait décoller ses aéronefs tous les quinze jours de manière à suivre sur la durée l’évolution de chacun des arbres du périmètre, se trouve à côté du Centre spatial guyanais de Kourou, un espace stratégique où toute captation d’image est interdite… « Règlementairement, c’est un cauchemar, avoue-t-il sans ambages, mais, heureusement, le CNRS fait le nécessaire pour obtenir les autorisations » et permettre ainsi le survol du site et donc la collecte de données scientifiques sur le long terme. Il en va de même à Olbia, situé très exactement dans l'axe de la piste de la base aéronavale Hyères-Le Palyvestre à seulement deux km du bout de piste… Pour obtenir l’autorisation d’y voler, l’équipe de Loïc Damelet a pu rédiger une lettre d’accord avec les autorités militaires et, désormais, « faire de la photo au-dessus des vestiges ne présente plus de difficultés », admet le photographe du Centre Camille Jullian. Dans les deux cas, ces télépilotes, de même que les 176 autres accrédités par le CNRS, ont pu bénéficier de l’appui du pôle Drones de l’organisme. Créée en 2016 par la direction de la sûreté, cette structure, actuellement composée de deux personnes, avait pour but initial d’éviter aux nouveaux télépilotes – rattachés à une unité mixte sous cotutelle CNRS – de se confronter individuellement à la législation en leur proposant un encadrement collectif. Ignace Cacciaguerra y est responsable de la conformité règlementaire et confirme : « Les télépilotes, au CNRS, ne sont pas isolés, car l’établissement leur fournit couverture juridique et appui à la préparation des missions ».

Le pôle Drones va désormais plus loin en cherchant à professionnaliser toujours plus ce profil en plein essor. Outre audits et conseils, la structure encadre également des formations à l’usage des aéronefs. Lui-même correspondant sécurité aérienne de son unité, qui, avec six télépilotes et cinq appareils, dispose de la plus importante équipe de ce type au CNRS, Loïc Damelet connaît les vertus de telles formations pour la sécurité tant du matériel, des pilotes que de tierces personnes, car elles permettent de « prévenir les chutes et dommages de drones ». Ces formations à la sécurité s’avèrent particulièrement bénéfiques dans les zones à risque où opèrent ses collègues, comme les régions montagneuses, dont les parois rocheuses peuvent créer des interférences qui perturbent les programmes électroniques embarqués à bord des drones, ou les agglomérations denses – par exemple autour du théâtre antique d’Orange – où les chutes de drones pourraient blesser des passants.

Cette attention à la sécurité nourrit aussi les partenariats locaux. Ainsi, dans le cadre du projet Groupement d’outils pour la lutte contre les incendies et l’aménagement du territoire, Lucile Rossi a mis au point un outil capable de « géolocaliser à partir du traitement d’images infrarouges radiométriques, via une application mobile ou un logiciel, les points restés chauds que l’on doit surveiller pendant des jours voire des semaines et qui ne sont pas aisés à détecter et localiser depuis le sol ». Actuellement en dépôt de brevet, ce produit sera prochainement mis à disposition gratuitement des opérationnels de la lutte incendie et de l’aménagement du territoire corses, de manière à faciliter leur lutte contre les feux de forêt. Pour ce faire, elle a pu s’appuyer sur les ressources du pôle Drones. Quand bien même elle est employée par une université, elle reconnaît que « le CNRS est là pour nous faciliter la vie ».

Un drone aide les opérationnels de la lutte incendie et de l’aménagement du territoire corses à lutter contre un feu de forêt
Un drone aide les opérationnels de la lutte incendie et de l’aménagement du territoire corses à lutter contre un feu de forêt © Université de Corse Pasquale Paoli

Avec autant d’appareils et de pilotes sous sa responsabilité, le CNRS peut aujourd’hui se targuer d’être le premier opérateur de drones au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche français et le troisième au plan national, derrière la SNCF et EDF. Une situation dont s’enorgueillit le pôle Drones : « Le reste du ministère envie nos capacités de préparation et de gestion opérationnelle : nous sommes les seuls à disposer d’une telle structure ».

Le réseau technologique « Drones & Cap’ »

Au CNRS, l’utilisation des drones ne se limite pas aux dispositifs dans les airs, avec leur réglementation spécifique. Afin de permettre le transfert de technologies et de savoirs entre les différentes disciplines utilisatrices des drones, le CNRS a créé le réseau technologique « Drones & Cap’ », qui fédère des concepteurs d’engins et d'instrumentations embarquées et des utilisateurs de ces nouveaux moyens d’investigation scientifique.

178 télépilotes approuvés par le CNRS
243 drones opérationnels
600 missions en 2023
2000 vols en 2023
30 000 minutes de vol en 2023
75 unités de recherche approuvées par le CNRS