Notre-Dame : Premier point sur l’avancée des recherches
Démarrées au début de l’année 2020, les recherches du chantier Notre-Dame se poursuivent. Lors d’un colloque les 19 et 20 octobre à l’Institut national du patrimoine, les équipes de recherche ont fait un point sur l’avancée des connaissances.
Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris prenait feu. Après l’émotion nationale, le CNRS s’est très vite organisé pour lancer un « chantier scientifique Notre-Dame » avec le Ministère de la Culture, afin d’étudier un patrimoine encore peu connu et proposer des expertises en vue de sa restauration. Regroupant 175 chercheuses et chercheurs1 de toutes disciplines scientifiques sous la forme de huit groupes de travail (voir encadré)—le tout rassemblant 50 unités de recherche —ce chantier est financé à hauteur de 300 000 euros par le CNRS à travers la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (pour l’année 2020) et bénéficie d’une multitude d’autres financements européens, régionaux, de l’ANR2 et du Ministère de la Culture.
Plusieurs enjeux scientifiques ont été définis : l’étude des matériaux organiques présents dans la cathédrale comme le bois de la charpente, mais aussi un axe sur le calcul de la structure, les données numériques et l’acoustique, ou encore un volet d’études sur les autres types de matériaux comme la pierre, les métaux ou le verre des vitraux. Enfin, des anthropologues et sociologues se démarquent en étudiant l’émotion collective suscitée par cet événement (voir encadré).
Un colloque pour faire le point
« Ce chantier est emblématique de ce que peut faire la recherche : entre recherches fondamentale et appliquée, il n’y a pas de différence. Il s’agit toujours d’en savoir plus », indiquait Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation lors de l’ouverture du premier colloque sur l’avancement des recherches les 19 et 20 octobre à l’Institut national du Patrimoine. Tous les acteurs étaient réunis : chercheurs, décideurs du Ministère de la Culture, architectes en charge du chantier de restauration, mais également Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ou le général Jean-Louis Georgelin qui pilote l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris.
Car il est bien question de « mettre en place des projets plus appliqués pour aller vers des expertises », mais également des études sur la « connaissance des matériaux anciens qui concernent des temps de recherche plus longs pour un bâtiment du patrimoine français emblématique, mais pas encore assez connu au niveau scientifique », indique Philippe Dillmann3 , co-coordinateur du chantier avec Martine Regert4 pour le CNRS et Pascal Liévaux5 et Aline Magnien6 , pour le Ministère de la Culture.
« Nous souhaitions faire un point zéro sur l’avancée des recherches », explique Martine Regert, rappelant que « ces dernières démarrent à peine » car si les chercheurs ont eu accès au chantier en février dernier, le premier confinement a fait perdre du temps. Il est donc l’heure de « faire le point sur ce qui a démarré et ce qui a avancé, mais également de mettre en relief les sphères d’interactions entre les groupes de travail afin que les collègues puissent échanger sur ces dernières pour faire parler Notre-Dame ».
Mobilisation rapide de la recherche française
« Ce qui est remarquable, c’est que ce chantier de recherche est né de la demande des scientifiques, dès le lendemain du drame », rappelle Philippe Dillmann. En effet, il a fallu quelques semaines à peine pour que CNRS et le Ministère de la Culture réalisent une cartographie des compétences existantes auprès de l’organisme et s'associent aux deux laboratoires du Ministère de la Culture engagés sur le site – le Laboratoire des recherches des monuments historiques7 (LRMH) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France8 - pour intervenir à la fois sur le chantier de restauration et le chantier scientifique. « Il nous a tout de suite paru essentiel de bien se coordonner avec les architectes de Notre-Dame sous la responsabilité de Philippe Villeneuve, et d’avoir accès aux vestiges et à l’édifice en bonne collaboration avec la maîtrise d’ouvrage », indique Pascal Liévaux.
Et il fallait aller vite. Car après l’incendie, la priorité était la collecte des débris afin que ces derniers ne soient pas traités comme de simple gravats, bons à jeter. « D’ailleurs au départ, c’est la police scientifique qui a exigé un tri des débris afin d’enquêter sur les origines de l’incendie », se souvient Aline Magnien. « Heureusement, les scientifiques ont établi le protocole de tri et lancé l’étude de ces vestiges. »
De la recherche à la restauration
Aujourd’hui, et comme cela a été présenté durant ce colloque, plusieurs projets de ce chantier scientifique accompagnent directement la maîtrise d’œuvre pour la restauration de l’édifice. C’est le cas, par exemple, des recherches sur le plomb de la cathédrale qui pourra aider à la future restitution de la couverture de Notre-Dame ou encore les recherches sur la structure de la cathédrale (voir encadrés). Le LRMH a notamment un rôle très opérationnel sur le terrain et apporte son expérience aux architectes sur différents aspects de la restauration. « Nous avons par exemple réalisé une première évaluation sur les pierres des murs-gouttereaux afin de s’assurer de leur solidité, » détaille Aline Magnien, « mais aussi un travail sur le démontage des vitraux et leur restauration, des essais radars pour le repérage de métal dans les pierres de la cathédrale ou encore mis en place le protocole de nettoyage de la cathédrale qui a subi les effets de la vaporisation du plomb lors de l’incendie. »
L’ensemble de ces recherches, qu’elles soient directement liées au chantier de restauration ou au périmètre plus large, permettront de nombreuses avancées en matière de compréhension, de conservation, de restauration et de transmission du patrimoine. « C’est aussi l’occasion de faire travailler ensemble des laboratoires de toute la France qui pouvaient jusqu’alors se faire concurrence ou s’ignorer », souligne Pascal Liévaux. « Le croisement de tous ces regards représente une grande avancée pour la constitution d’un écosystème favorable aux sciences du patrimoine. »
Malgré le reconfinement du 30 octobre dernier, le chantier de restauration Notre-Dame et les recherches continuent. « La priorité au cours des deux années à venir est de laisser les chercheurs travailler et les publications scientifiques se faire », souligne Martine Regert. D’ici quelques semaines le groupe de travail « Données numériques », coordonné par Livio de Luca, directeur du laboratoire Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine9 - qui constitue actuellement un double numérique de l’édifice – devrait rendre son service accessible aux chercheurs afin que ces derniers y rentrent leurs propres données. « Nous allons par exemple commencer à archiver toutes les photos disponibles sur Notre-Dame. A la fin du chantier, nous donnerons un accès libre à ce service dans une logique de science ouverte », conclut Pascal Liévaux.
- 1Les chercheurs sont affiliés CNRS, universités, CEA et ministère de la culture.
- 2Agence nationale de la recherche
- 3Philippe Dillmann est responsable du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (Université Paris-Saclay/CNRS/CEA).
- 4Martine Regert est directrice adjointe scientifique au sein de l’institut écologie et environnement du CNRS.
- 5Conservateur général du patrimoine et responsable du département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique à la direction générale des Patrimoines au Ministère de la Culture.
- 6Conservateur général du patrimoine, et directrice du Laboratoire des recherches des monuments historiques.
- 7Ministère de la Culture.
- 8Ministère de la Culture.
- 9CNRS/Ministère de la Culture
« Les huit groupes de travail du chantier Notre-Dame »
Groupe de travail « Bois et charpente »
Groupe de travail « Acoustique »
Groupe de travail « Pierre »
Groupe de travail « Métal »
Groupe de travail « Verre »
Groupe de travail « Calcul de structure »
Groupe de travail « Emotions/mobilisations »
Groupe de travail « Données numériques »
Un impact sur la pollution ?
Parmi les huit groupes de travail à présenter l’avancée des recherches devant le parterre du colloque, le groupe « Métal » a fait un point sur ses avancées autour du plomb – un des deux métaux principaux - avec le fer - de la cathédrale. Au total, les chercheurs estiment à 450/460 tonnes contenues dans la cathédrale lors de l’incendie. Et, contrairement au fer, plus résistant à la chaleur, le plomb y a largement fondu, et une partie s’est volatilisée sous forme de particules visibles « par le panache orangé lors de l’incendie », explique Sophie Ayrault, chercheuse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement1 et animant l’équipe « la contribution de l’incendie de Notre-Dame à la pollution parisienne ». Afin de mener ses recherches, l’équipe « a tracé le plomb de Notre-Dame par sa signature isotopique ». En récupérant un échantillon des particules émises par l’incendie sur le banc de l’organiste de la cathédrale, ils ont pu estimer la signature du plomb de la cathédrale. Puis ont utilisé des programmes d’études de l’air en cours au moment de l’incendie notamment dans la ville du Vésinet pour les comparer avec leur échantillon. L’équipe a pu estimer que la concentration de plomb dans l’air était 100 % plus forte le jour de l’incendie au Vésinet et y retrouver la signature du plomb de Notre-Dame. Cette concentration, proche d’une concentration que l’on peut parfois retrouver dans une ville industrielle telle que Charleville-Mézières, et revenue à la normale dès le lendemain, ne démontre cependant pas d’impact environnemental global. La prochaine étape : récolter des échantillons de sédiment dans la Seine ou de poussières dans les habitats parisiens pour y chercher des traces du passage de l’incendie de Notre-Dame.
- 1Université Paris-Saclay/CNRS/CEA/UVSQ
Des expertises scientifiques pour soutenir la restauration
Le Groupe « Bois et Charpente », qui s’intéresse notamment à l’étude archéologique de la charpente et composé d’archéologues, d’historiens, d’écologues et de biogéochimistes, va permettre de développer les connaissances des bois – dont certains datent de 800 ans - qui composaient la charpente de Notre-Dame. En étudiant sa construction initiale, les équipes ont par exemple mis en place un test grandeur nature de technique médiévale de montage de bois qui pourra « apporter de nouvelles connaissances en reconstruction durable ou en restauration de bâtiments patrimoniaux selon des techniques traditionnelles », explique Alexa Dufraisse, coordinatrice du groupe et chercheuse au laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements1 . Jusqu’à présent peu de relevés de la charpente de la cathédrale avait été réalisés, et notamment de sa nef. Maîtres d’œuvre, architectes et chercheurs disposent entre autres de celui réalisé par l’école de Chaillot entre 2014 et 2015, mais beaucoup reste à découvrir. Le groupe « Bois et charpente » travaille notamment en relation avec le groupe « Calcul de structure », coordonné par Stéphane Morel, chercheur à l’Institut de mécanique et d’ingénierie2 dont une partie des activités est dirigée en priorité pour l’assistance scientifique à la maîtrise d’œuvre du chantier de restauration, par exemple pour répondre à ses interrogations en matière de stabilité des différents éléments comme les voûtes ou le beffroi nord, touchés lors de l’incendie.
La grammaire de la catastrophe patrimoniale
Si les matériaux de Notre-Dame sont au cœur des préoccupations scientifiques, la recherche s’intéresse également à la vague d’émotion qu’a soulevé l’incendie de la cathédrale au travers du groupe « Emotions/Mobilisations » en utilisant notamment l’anthropologie. « L’émotion patrimoniale est un révélateur de nos relations au passé », explique Claudie Voisenat, coordinatrice du groupe de travail et chercheuse à l’Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain1 , rappelant que chaque année, entre 12 et 14 millions de personnes visitaient Notre-Dame. Cyril Isnart, chercheur à Institut d'ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative2 , collabore au sein de l’équipe « Catastrophes et crises patrimoniales : une approche comparative » en utilisant d’autres drames patrimoniaux similaires tels que le Musée national de Rio de Janeiro– totalement détruit par un incendie en 2018, la cathédrale de Coventry en Angleterre – détruite par les bombardements de 1940, et étudie « la grammaire commune des réactions à la catastrophe patrimoniale. » Le droit entre également en jeu quant à la lecture des décombres entre « débris », « vestige » et « relique » : trois termes qui n’ont pas la même intensité. « Chaque relique se distingue par un haut degré de personnification », explique l’anthropologue Gaspard Salatko du Centre Norbert Elias3 , en donnant pour exemple la couronne d’épines conservée, jusqu’à l’incendie, à Notre-Dame. « Elle est pour un catholique comme le christ en personne ». L’objectif des recherches sera de suivre la trajectoire des objets sauvés de la cathédrale pour étudier leur signification, mais également de définir quel collectif se sent concerné par les vestiges. Car la catastrophe a mis en lumière de nombreux clivages dans la société française notamment à cause des prises de positions politiques immédiates et de la mobilisation impressionnante des donateurs. « Il y a commencé à avoir des voix discordantes et une interrogation sur la hiérarchie des valeurs alors que la France était en pleine crise des gilets jaunes avec comme débat : faut-il sauver des pierres ou sauver des hommes ? », rapporte Claudie Voisenat. Pour accompagner ses travaux, le groupe de travail a mis en place un chantier-école destiné à la formation des futurs chercheurs et professionnels du patrimoine, donnant la possibilité à des étudiants d'apporter leur contribution à ce programme collectif de recherche.