Mission Starfish : « Il faut stopper la dégradation de l’hydrosphère et réparer les dégâts »
Le 5 décembre, le comité de préparation de la mission Starfish dévoilait à Paris les résultats français d’une grande enquête citoyenne. Intégrée au programme cadre européen pour la recherche et l’innovation Horizon Europe, cette mission ambitionne la régénération des écosystèmes marins et d'eau douce du continent.
Depuis un plateau de télévision à Paris—mais diffusé en « streaming » à une audience de plusieurs centaines de personnes—les principaux organisateurs de la mission Santé des océans, mers, eaux côtières et continentale ont présenté le 5 décembre l’avancée de leur rapport. Accompagnés de représentants politiques et d’organismes de recherche comme le CNRS et l’Ifremer1 , ils ont aussi dévoilé en exclusivité le résultat d’une enquête inédite auprès de plus de 6000 citoyens français.
Rebaptisée « starfish » (étoile de mer), cette mission est l’une des cinq missions du prochain programme cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne, Horizon Europe (2021-2030), avec la lutte contre le cancer, l’adaptation au changement climatique, les villes « vertes » et le maintien de la santé des sols au bénéfice de l’alimentation de la nature et du climat. Pascal Lamy, ancien commissaire européen, préconisait dès 2012 dans un rapport, la création de ces mission boards, s’inspirant des « moonshot missions » américaines, dont la première, en 1961, avait été créée pour mettre un homme sur la lune. C’est lui qui pilote aujourd’hui Starfish avec des objectifs concrets : la diminution des impacts anthropiques (pollution, tourisme, pêche…) et climatiques (acidification, événements extrêmes…), la gouvernance des océans, l’accroissement des connaissances et le renforcement des interfaces sciences et société. Le tout d’ici 2030.
Une planète bleue
Cette mission prend en compte « toutes les eaux » : océans, mers, fleuves, rivières, etc... Ce que Pascal Lamy préfère appeler « hydrosphère » en résonance avec le mot « atmosphère » que l’opinion publique connaît mieux. Et la menace est grande pour cette hydrosphère alors que 75 % de la surface de la planète est composée d’eaux, et que 50 % de l’air que nous respirons provient des mers et océans de par leurs capacités d’absorption du CO2 et de la biodiversité qui les composent. « Il faut stopper cette dégradation et réparer les dégâts », il explique, car même si l’un des grands atouts de l’hydrosphère est sa grande capacité à se régénérer, « il faut aller très vite quand on sait que 85 % des zones humides ont disparu depuis 1995... »
Un groupe d’experts au niveau européen pour la sauvegarde des eaux
Défi titanesque, « mais pas impossible », nous explique Pascal Lamy, qui a mis sur pied une équipe de 15 experts qui s’est réunie tout au long de l’année pour rédiger un rapport, dont une première version a été dévoilée en septembre 2020. Composée de personnalités représentantes de la diversité européenne telles que François Galgani, océanographe à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), Tiago Pitta e Cunha, directeur général d’Oceano Zul Foundation2 , Antidia Citores, membre de Surfrider Foundation3 , ou encore Gesine Meissner, ancienne parlementaire allemande ayant eu rôle important dans la sensibilisation au milieu aquatique, l’équipe a eu pour rôle de nourrir « la boite à idée » de la mission Starfish. « Au départ, les opinions étaient assez divergentes. Par exemple, à l’énoncé d’un objectif de 30 % de protection des zones maritimes en Europe, certains avouaient leur scepticisme, et pourtant, à la fin, tout le monde s’était rallié à l’idée ! », souligne Geneviève Pons, directrice générale du think tank Europe – Jacques Delors à Bruxelles et membre de la mission Starfish.
Une étoile de mer à cinq branches
Comme les cinq bras de l’étoile de mer, la mission se traduit en cinq objectifs : zéro pollution ; améliorer la gouvernance ; régénérer les écosystèmes marins et aquatiques ; décarboner notre océan, nos mers et nos eaux ; et enrichir les connaissances et créer un lien émotionnel. Pour ces cinq objectifs, 17 cibles au total ont été définies.
Prenons par exemple la cible d’une « génération zéro déchet plastique » du rapport, qui s’inscrit dans l’objectif « zéro pollution. » Comment faire pour éliminer la pollution plastique d’ici 2030 ? « La science a un rôle à jouer avec des recherches sur des matériaux biodégradables qui peuvent se substituer au plastique », explique Geneviève Pons. Mais cela doit s’accompagner d’une réglementation forte « l’Union européenne a commencé à légiférer sur le sujet mais doit aller jusqu’au bout en interdisant tous les micro-plastiques », elle ajoute. Comme pour la législation sur le recyclage, qui « doit encore être complétée ». Enfin, la sensibilisation du public passe par l’éducation des enfants qui « éduqueront les parents et les grands-parents », mais aussi par l’engagement citoyen, qui a un réel rôle à jouer. « Il faut ramasser les plastiques, bien sûr, mais également recenser ce qui a été trouvé et où, afin de remonter la chaîne et corriger le problème à la source », affirme Geneviève Pons.
« Cette cible ‘génération zéro déchet plastique’ est un bon exemple de ce que souhaite réaliser notre mission », ajoute Pascal Lamy. « Car en son cœur sont associées plusieurs parties prenantes telles que les citoyens et les ONG avec l’idée d’une intervention citoyenne dans la science. »
« Le désir citoyen de s’engager »
Cette dimension citoyenne prend toute sa place dans ces grandes missions imaginées pour Horizon Europe car « l’eau commence dans notre évier », souligne Pascal Lamy. Il faut notamment le faire comprendre à des États européens non côtiers. Quand on sait que le Danube est le fleuve le plus pollué d’Europe, on comprend que « chacun doit participer. » C’est dans cette démarche que le directeur de Starfish a pris la décision de mener plusieurs enquêtes citoyennes au sein de différents pays européens sur leur rapport à cette fameuse « hydrosphère ». Après l’Italie, le Portugal ou encore l’Irlande et la Roumanie, c’était au tour de la France, qui a mené une enquête du 7 au 27 novembre et dont les résultats ont été dévoilés le 5 décembre.
Sur plus de 6600 réponses reçues – la France a été le pays au taux de réponse le plus élevé – « l’élément le plus frappant est le désir de s’engager », explique Pascal Lamy soulignant l’importance de donner des exemples d’actions concrètes. Parmi les résultats de l’enquête, se dégage entre autres une « conscience de l’eau », car 85 % des interrogés se déclarent vivre proches de l’eau, que cette dernière soit mer/océan ou eaux intérieurs. Concernant les menaces soulignées par les participants, les pollutions et la surexploitation sont les deux plus grandes préoccupations. Et c’est le plastique qui arrive en tête en matière de pollution dans les réponses des participants, « ce qui démontre l’efficacité des campagnes conduites par les ONG à ce sujet ». Autre résultat qui se démarque : l’éducation est plébiscitée comme première mesure efficace pour la protection des écosystèmes marins.
Un CNRS « interdisciplinaire » pour répondre aux défis
Plusieurs organismes de recherche français sont d’ailleurs très mobilisés sur cette thématique. Premier constat du directeur général délégué à la science du CNRS Alain Schuhl, qui lors de cette rencontre a rappelé que l’océan était « un endroit pluridisciplinaire » au sein duquel se mêlait à la fois des « problèmes de biologie, de biodiversité », de « climatologie avec l'interface océan-atmosphère », mais également « d’économie et de droit ». Par exemple, le GDR Polymères et Océans qui s'intéresse au « devenir des plastiques en milieu aquatique » est dirigé par la physicienne Pascale Fabre.
Nicolas Arnaud, directeur de l’Institut de national de sciences de l’univers du CNRS et membre, pour le CNRS, du ‘groupe miroir’ français créé pour appuyer la mission Starfish, est tout aussi conscient de l’atout de cette vision « interdisciplinaire propre à l’organisme ». Ce groupe a notamment apporté une approche systémique sur le continuum terre-mer et les divers enjeux couplés, car « l’océan souffre des activités qui sont menées en son sein, mais également des activités qui arrivent à l’océan. Il ne faut pas laisser cet aspect de côté. » Le CNRS s’est d’ailleurs spécifiquement engagé pour les océans à plusieurs niveaux en proposant, avec l’Ifremer et sous la houlette du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et du Secrétariat général pour l’investissement, le programme de recherche prioritaire (PPR)4 Océans. « Le PPR décline des enjeux scientifiques pour la compréhension des océans, leur observation et modélisation mais aussi la meilleure connaissance de zones clefs encore peu connues, comme les océans polaires ou profonds, ou particulièrement stratégiques comme la zone côtière en métropole et en outremers », précise Nicolas Arnaud. Parmi les objectifs, il y a aussi la modélisation de l’océan pour mieux en comprendre les mécanismes et interactions. Ce jumeau numérique de l’océan pourrait permettre à terme de tester des trajectoires et ainsi de faire du « prédictif », ce qui ne pourra se faire sans plus de partage de données propriétaires, un élément clé souligné par Alain Schuhl lors de cette rencontre.
L’année 2021 sera une date clé pour les océans alors que débutera également la Décennie des sciences océaniques pour le développement durable initiée par les Nations Unies, « dans laquelle le CNRS compte particulièrement s’impliquer », note Laurent Chauvaud, nouveau chargé de missions Océans auprès de la Direction générale déléguée à la science du CNRS. « Le CNRS s’est déjà mis en ordre de marche pour répondre aux défis identifiés dans la Décennie, à travers sa Task Force Océan et le lancement d’un GDR interdisciplinaire centré sur les sciences marines », complète Anne Corval, conseillère auprès d’Alain Schuhl.
Une mission globale chiffrée à plus de 500 milliards d’euros
Une fois le rapport de la mission Starfish terminé, avant la fin de l’année, reste dorénavant à inventer la méthode de suivi avec l’élaboration du plan de mise en œuvre. « Il est question d’ordonner la mission dans le temps et dans les disciplines », souligne Pascal Lamy. « Vient également la question des investissements publics ou privés pour la mise en œuvre de la mission - dont les besoins sont chiffrés globalement d’ici 2027 à 527 milliards (dont 3 milliards pour la recherche) - mais également du programme réglementaire pour, par exemple, le micro-plastique ou la navigation propre. Toutes ces actions doivent avoir un calendrier. » Une mission aux grandes ambitions, mais comment en assurer la réussite ? « Par l’adhésion », affirme Geneviève Pons. « Nous devons être capables de transmettre cette ambition et de la faire comprendre au plus grand nombre. Ce sont les missions qui sauront remporter l’adhésion qui auront le plus de chance de voir le jour. »
- 1Mariya Gabriel, Commissaire européenne à l’Innovation, la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse, Denis Robin secrétaire général de la Mer, Annick Girardin, ministre de la Mer ou encore Frédérique Vidal, ministre de l’éducation supérieure, de la recherche et de l’Innovation, mais également des membres de la mission Starfish et plusieurs représentants d’organismes de recherche dont François Houllier, président directeur général de l’Ifremer et Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS.
- 2ONG portugaise pour la préservation des océans.
- 3Association mondiale à but non lucratif, créée en 1984 aux Etats-Unis par un groupe de surfeurs, chargée de la protection et de la mise en valeur des lacs, des rivières, de l'océan, des vagues et du littoral.
- 4Programme ministériel voué à rassembler l’ensemble des parties prenantes (acteurs scientifiques, économiques, associatifs, etc.) autour de projets thématiques. Le PPR sur les océans servira de référence pour les différentes actions de renforcement de la recherche.