Les sciences fondamentales au service du développement durable
Ce 8 juillet, a lieu à Paris la cérémonie d’ouverture de l’Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable. Elle annonce un programme riche pour sensibiliser et mobiliser les scientifiques, les décideurs et la société dans son ensemble.
« Tous les objectifs de développement durable nécessitent l'apport des sciences fondamentales et les enjeux opérationnels doivent être guidés par des choix éclairés. Pour avancer, nous devons écouter et mettre en avant la parole scientifique », assure Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. C’est dans une logique identique que 2022 a été proclamée Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable (IYBSSD2022), lors de la 76e session de l'Assemblée générale des Nations unies.
2022, l’Agenda 2030 à mi-parcours
« Le programme ambitieux des 17 ODD doit être atteint d’ici 2030, une échéance qui doit motiver les acteurs et actrices du développement durable », affirme Merieme Chadid, présidente du Conseil du Programme international des sciences fondamentales de l'Unesco : « Nous sommes à mi-chemin et voyons déjà des résultats, comme la progression de la science ouverte qui accélère la recherche, mais il reste beaucoup à faire pour sensibiliser et mobiliser les leaders ». C’est pourquoi, avec le Conseil et Michel Spiro, président de l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP), elle a milité pour choisir 2022 comme Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable. Les ODD et leurs 169 cibles sont en effet inscrits au cœur de l’Agenda 2030, programme universel pour le développement durable lancé en 2015 qui porte l’ambition de transformer notre monde en éradiquant la pauvreté et les inégalités et en assurant la transition écologique et solidaire à l’horizon de la prochaine décennie. En outre, 2022 marque le centenaire de deux importantes unions scientifiques internationales, l’IUPAP et l’Union mathématique internationale (IMU).
« Il est capital de maintenir les efforts guidés par la curiosité et l’investigation qui sont le propre de la recherche fondamentale », confirme Michel Spiro, président de l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP), société savante à l’origine du projet de cette Année internationale. « Ils sont les fondements de l'éducation et les sources de découvertes et d’idées nouvelles qui se transforment en applications au service d'un développement durable inclusif ». Pour cela, il faut « mettre à contribution les scientifiques de toutes les disciplines, les enseignants, les industriels et le secteur privé, les décideurs et la société dans son ensemble », continue le chercheur qui préside aussi le Conseil de la Fondation CERN & Société et le Comité d’organisation de l’IYBSSD2022.
Une Année soutenue dans le monde entier
Suite « logique » des 17 Objectifs de développement durable (ODD), approuvés par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015, l’Année entend donc prouver que les scientifiques, et en particulier les sciences fondamentales, ont un rôle à jouer face aux défis qui vont affecter notre futur, éclairant le regard, aidant à la recherche de solutions et venant en appui à la décision publique. En célébrant toutes les sciences et l’interdisciplinarité, elle vient aussi couronner les sept années internationales à thématique scientifique qui ont eu lieu depuis 20051 .
Comme toutes les précédentes, elle a d’abord été validée par le Conseil du Programme international des sciences fondamentales de l'Unesco2 , l’unique conseil scientifique international au sein des Nations unies qui rassemble 30 experts et expertes de par le monde. Ce Conseil a justement été mis en place dès 2005 pour pousser à la création de politiques de développement durable sur toute la planète, en montrant le rôle primordial des sciences fondamentales et de leur enseignement, et en renforçant les coopérations intergouvernementales et entre organisations scientifiques. En novembre 2019, une résolution y a été déposée par les représentants de la Jordanie, du Vietnam, de la Russie et du Nigeria, avec l’appui d’une dizaine d’autres pays.
Portée ensuite auprès de l’Onu par l’ambassadeur du Honduras avec le soutien de nombreux États3 , elle est aujourd’hui soutenue par plus d’une centaine d’organismes – dont le CNRS –, de réseaux scientifiques et sociétés savantes, plus de 50 unions et organisations internationales, et un Haut comité de parrainage international comprenant 30 prix Nobel et médailles Fields, dont Françoise Barré-Sinoussi, Claude Cohen-Tannoudji, Jean-Marie Lehn ou encore Ngô Bảo Châu. Toutes les disciplines sont représentées et l’Unesco en reste le chef de file. « Tous les êtres humains sont concernés par ces enjeux, il faut donc avancer ensemble et, pour cela, sensibiliser le plus grand nombre, quels que soient l’origine, le genre, le niveau d’étude, etc. C’est le but principal de l’Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable », explique Merieme Chadid, présidente du Conseil.
Sensibiliser toutes les parties prenantes
D’ici la cérémonie de clôture, prévue au CERN à Genève en juillet 2023, un des événements clés de cette Année aura ainsi lieu le jour international de la lumière, le 17 mai 2023, au Rwanda, pays aux premières loges des enjeux des 17 ODD, que ce soit l’accès à l’eau potable, l’éducation des jeunes filles, la lutte contre la pauvreté ou le changement climatique. En cohérence avec son plan pluriannuel de coopérations avec l’Afrique, le CNRS s’associera à cet événement en cours d’élaboration, afin de travailler au mieux avec les acteurs locaux.
« Au-delà du rôle évident que le CNRS a à jouer dans le développement durable, ce label donne de la visibilité, au niveau international, à nos actions sur le sujet et nous permet d’attirer l’attention des porteurs d’enjeux », détaille Martina Knoop, directrice de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS, qui est membre du comité de pilotage de l’Année. Un premier colloque sur la science de la durabilité a ainsi déjà été organisé par la Miti, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le programme de recherche interdisciplinaire et international Future Earth, en mai dernier, dans ce cadre bien qu’en anticipation de l’ouverture de l’Année. Il a rassemblé les scientifiques pour discuter et débattre du sens et des implications de cette science, des connaissances à l’action.
Un second colloque sur l’observation du système Terre, prévu les 7 et 8 novembre, est également inscrit dans le programme scientifique de l’Année internationale. « D’autres événements sont en cours de réflexion et nous accueillons avec plaisir les propositions de colloques ou écoles scientifiques ou d’innovation et actions de médiation, issues des structures rattachées au CNRS », ajoute la directrice de la MITI.
Prévoir une décennie ?
« L’Année sera un succès si les gouvernements s’engagent à soutenir la recherche fondamentale et si nous parvenons à sensibiliser l’ensemble des scientifiques à ces questions », prédit Michel Spiro, notant la présence de 7 ministres et secrétaires des sciences à la cérémonie d’ouverture de l’Année internationale, en plus de hauts représentants de l’Onu et de l’Unesco, comme la directrice générale Audrey Azoulay, et de scientifiques de haut niveau, comme le prix Nobel Serge Haroche. « Promouvoir la formation et l'éducation aux sciences fondamentales et aux méthodes basées sur l’investigation dans les pays en développement est également très important », ajoute le physicien. Mais, prévient-il, « en matière de développement durable, il reste beaucoup à faire ». Pour maintenir les efforts, il espère donc que cette Année débouchera sur la déclaration d’une Décennie des sciences fondamentales pour le développement durable.
« Les années internationales organisent des manifestations pour sensibiliser les acteurs et la société. Cette sensibilisation, ces dialogues et discussions sont indispensables. Mais les décennies passent à l’étape suivante : la mise en œuvre, l’action », distingue Marie-Alexandrine Sicre, présidente du Comité international de recherche océanographique (SCOR) de 2016 à 2020. Comité interdisciplinaire affilié au Conseil International des Sciences (ISC) et partenaire de l’IYBSSD2022, le SCOR travaille étroitement avec la Commission océanographique intergouvernementale (IOC) de l’Unesco4 à la mise en œuvre de la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), aussi appelée décennie de l’océan. Lancée en 2021, celle-ci vise à mettre en place une recherche « transformante », en faisant dialoguer tous les acteurs et porteurs d’enjeux (académiques, ONG, acteurs économiques, politiques, sociétaux, etc.) face aux défis environnementaux de l’océan.
« Avec la décennie de l’océan, nous avons développé des outils de dialogue, de consultation et d’accompagnements humains et financiers entre sciences naturelles et sociales pour créer les conditions d’une recherche transformante qui, je l’espère, inspireront d’autres disciplines de la recherche fondamentale à s’engager autour aux enjeux de développement durable de la planète. Produire des connaissances mais surtout les « transformer » en action en apportant les meilleures réponses possibles aux défis environnementaux auxquels nous devons faire face, telle est la mission que les scientifiques mobilisés avec les autres acteurs de la décennie de l’océan se sont fixés. », ajoute la directrice de recherche au CNRS5 et vice-présidente du conseil exécutif de l’IOC de l’Unesco.
- 1Sur le thème de la physique (2005), la planète Terre (2008), l’astronomie (2009), la chimie (2011), la cristallographie (2014), la lumière (2015) et le tableau périodique (2019).
- 2Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.
- 3Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Arménie, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bolivie, Brésil, Burkina Faso, Chili, Colombie, Cuba, El Salvador, Équateur, Espagne, Fédération de Russie, Fidji, Géorgie, Guatemala, Inde, Indonésie, Israël, Japon, Jordanie, Kirghizistan, Malawi, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Qatar, République dominicaine, Serbie, Tchad, Thaïlande et Vietnam.
- 4Le Comité international de recherche océanographique (SCOR), organisation non gouvernementale, soutient la communauté scientifique dans les sciences marines sur quatre grands programmes internationaux thématiques (biogéochimie marine, durabilité des océans, interaction océan-atmosphère, acoustique marine) et un régional (océan indien). Toutes les disciplines y sont représentées, y compris les sciences humaines et sociales. Rassemblant 150 pays, la Commission océanographique intergouvernementale (IOC) de l’UNESCO, organisation gouvernementale cette fois, aide à ce que la connaissance scientifique produite par le SCOR soit traduite en termes de réglementations, de prises de décisions politiques.
- 5Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/MNHN/Sorbonne Université).