« Les États-Unis ont consenti à un effort financier massif pour la recherche sur le COVID-19 »
Nommée en octobre 2019, Sylvette Tourmente est directrice du Bureau du CNRS pour l’Amérique du Nord. Depuis Washington DC, elle nous explique comment la recherche s’organise dans le pays pour lutter contre l’épidémie de COVID-19.
Où en est l’épidémie aux États-Unis ?
Sylvette Tourmente1 : Au 27 avril 2020, on compte plus de 965 000 cas de contamination et près de 55 000 décès aux États-Unis2 . Actuellement, les États les plus touchés sont New-York, le New Jersey, la Louisiane, l’Illinois et le Michigan, les premiers touchés ayant été la Californie et l’état de Washington. 30 États sur 50 signalent une transmission locale généralisée. Cela montre que, dans ce grand pays de 330 millions d’habitants, la maladie ne progresse pas à la même vitesse partout. Le pic ou plateau de l’épidémie ne se produira donc pas au même moment, pouvant s’échelonner de mi-avril à fin juin selon les modèles prévisionnels.
Comment s’organise le lien entre le monde scientifique et le monde politique, en ce temps de crise ?
S. T. : La Maison-Blanche a mis en place une Task force, dirigée par le vice-président Mike Pence. Elle est coordonnée par la diplomate et médecin Déborah Birx, coordinatrice américaine de la lutte contre le sida. En font partie des spécialistes du sida et maladies infectieuses, de même que Robert Redfield, directeur des Centers for Disease Control, et l’immunologiste Anthony Fauci, directeur du National Institute of Allergy and Infectious Disease (NIAID), un centre de recherche du Ministère américain de la Santé, qui a conseillé 6 présidents des États-Unis. Cette Task force est le lieu de rapports de force entre politiques et scientifiques, ces derniers ne voulant s’appuyer que sur des résultats de la science.
Mais l’organisation du pays, avec un gouvernement fédéral et 50 États, chacun dirigé par un gouverneur, entraine beaucoup de tensions tant dans l’approvisionnement des hôpitaux, que dans les prises de décision sur le confinement. Sans oublier la levée de ce confinement et la reprise des activités économiques, chères au Président Donald Trump. Après une bataille avec les gouverneurs par médias interposés, celui-ci a admis que la décision de rouvrir un État incombait à son gouverneur, mais il a rappelé que ceux-ci devront rendre des comptes et qu’il interviendrait si les décisions ne lui convenaient pas. Cela traduit bien le climat autour de la gestion de la pandémie en période électorale présidentielle.
Comment s’organise la riposte de la recherche américaine face au COVID-19 ?
S. T. : Les États-Unis ont consenti à un effort financier massif pour la recherche sur le COVID-19. Ils ont lancé un premier plan de sauvetage de 2 000 milliards de dollars, destinés à soutenir les ménages, l’économie américaine, mais aussi les universités en difficulté. Ce plan comprend également 5 milliards de dollars, alloués pour continuer ou réorienter des recherches sur le coronavirus.
De nombreuses agences ou départements d’État, comme les National Institutes of Health (NIH) ou le Department of Defense, financent la recherche sur les vaccins, les traitements ou les diagnostics. La Food and Drug Administration (FDA) garantit aussi la sécurité de la chaîne d'approvisionnement et lutte contre les produits contrefaits, et doit approuver les éventuels vaccins développés. La National Science Foundation (NSF) met en place des programmes flash sur la modélisation et propagation du COVID-19, et la gestion numérique des données. Le Department of Energy met à disposition des supercalculateurs et l’Environmental Protection Agency finance la recherche sur des méthodes de réduction de la contamination environnementale et de la transmission du virus via les surfaces et matériaux contaminés.
Fondations et entreprises privées participent à cet effort. La fondation Bill et Melinda Gates a lancé, en partenariat avec Wellcome3 et Mastercard, le COVID-19 Therapeutics Accelerator doté de $125 millions, avant d’ajouter $150 millions en son nom propre. La Fondation Zuckerberg finance l’extension d’un laboratoire de l’Université de Californie, et Amazon a annoncé un investissement de $20 millions. Google débloque $30 millions pour l’utilisation de l’IA au service des technologies de télédiagnostic.
Y a-t-il déjà quelques résultats ?
De nombreuses molécules sont actuellement étudiées et plusieurs font déjà l’objet d’essais cliniques. Comme en France, l’hydroxychloroquine suscite le débat. Néanmoins, des essais cliniques l’impliquant sont déjà en cours et, grâce à l’Emergency Use Authorization publiée par la FDA, plusieurs hôpitaux et médecins de ville l’utilisent déjà.
Des coopérations franco-américaines se sont-elles mises en place sur ce nouveau coronavirus ?
S. T. : Compte tenu de l’activité actuelle dans les deux pays, la situation évolue rapidement et il est trop tôt pour la quantifier précisément. Sur la période 2015-2019, 44 publications franco-américaines, principalement en virologie, biochimie moléculaire, biologie cellulaire, maladies infectieuses, biophysique et sciences vétérinaires, ont été identifiées par l’Ambassade. Elles impliquent essentiellement le CNRS et l’Institut Pasteur et ont été en très grande majorité financées par les agences américaines (NSF et NIH).
À la date du 23 mars, le très petit nombre d’articles parus confirme que le nombre de collaborations actives entre la France et les États-Unis sur la thématique « coronavirus » a été peu intense ces dernières années, sans doute car ce sujet ne constituait pas une priorité de recherche en France. En revanche, les États-Unis ont maintenu un effort de recherche plus soutenu après l’épisode du SRAS apparu en Chine en 2002.
Par ailleurs, dans le cadre de l’International Research Network4 USERS5 , Roland Pellenq et ses collaborateurs de France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, États-Unis et Canada s’intéressent à la santé, la propagation des aérosols et la stabilité des virus dans un cadre urbain, les trois quarts de la population vivant en ville.
Enfin, les International Research Laboratories6 (IRL) du CNRS présents aux États-Unis ont un pied de part et d’autre de l’Atlantique et, à ce titre, peuvent prétendre à des financements américains, français et européens. Tous s’impliquent fortement dans la recherche sur le COVID-19, à la fois sur le plan médical et technologique (voir encadré).
- 1Directrice de recherche CNRS, Sylvette Tourmente a été responsable d’une équipe au laboratoire Génétique Reproduction et Développement jusqu’en 2013, date à laquelle elle a rejoint l’ambassade de France à Budapest qu’attachée de coopération scientifique et universitaire. Elle devient ensuite attachée pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Berlin entre 2017 et 2019. Elle est directrice du bureau CNRS à Washington depuis le 1 octobre 2019. https://northamerica.cnrs.fr/
- 2source Johns Hopkins University
- 3Wellcome, aussi connu sous le nom Wellcome Trust, est une fondation caritative en médecine dont le siège est en Grande-Bretagne.
- 4Ces outils structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche.
- 5Urban Science and Engineering for (quantitative) Sustainability and Resilience.
- 6Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
Les International Research Laboratories mobilisés pour lutter contre le COVID-19
IRL EpiDaPo : une étude du microbiome nasal
L’IRL EpiDaPo7 est doublement engagé dans la lutte contre le coronavirus. D’une part en préparant les tubes pour les tests de détection du virus, d’autre part en développant un projet de recherche sur le rôle éventuel du microbiome nasal dans la modulation de la gravité de la maladie COVID-19. Ce microbiome est très différent quantitativement et qualitativement chez les enfants et les adultes, qui montrent des sensibilités inégales au virus : si l’hypothèse se vérifie, le rajeunissement du microbiome, opéré avec succès dans d’autres maladies, pourrait être un moyen thérapeutique.
IRL Georgia-Tech-CNRS : une nouvelle génération de microcapteurs
L’IRL Georgia-Tech-CNRS8 a la particularité d’être installé sur le Campus Georgia-Tech à Metz, qui fête ses 30 ans cette année, et à Atlanta. Le laboratoire se lance sur un projet de détection directe du SARS-CoV-2 à l’aide d’une nouvelle génération de microcapteurs, pour des diagnostics bas coût, portables et fiables. L’idée est tout d’abord de démontrer que la technologie développée en Lorraine peut permettre de fournir des capteurs biologiques sensibles à la présence de virus dans des échantillons liquides en s’appuyant sur l’expertise du site miroir à Atlanta.
IRL iGLOBES : à l’interface des sciences sociales, écologiques, biologiques et mathématiques
Dans une approche interdisciplinaire des grands enjeux environnementaux, iGLOBES9 à l’université d’Arizona à Tucson est sur plusieurs fronts américains et français, illustrant parfaitement l’intérêt d’une structure internationale. Cet IRL a rejoint le groupe de coordination de la recherche interdisciplinaire de l’université d’Arizona sur le COVID-19. Il se positionne à l’interface des sciences sociales, écologiques, biologiques et mathématiques, par exemple en analysant les réseaux du mouvement survivaliste des « preppers » mis en pleine lumière par la nouvelle pandémie. Plusieurs collaborateurs, à l’Université d’Arizona et à l’ENS Paris, sont impliqués dans l’analyse génétique du virus pour estimer sa virulence, sa résistance au système immunitaire et aux médicaments à venir. Les modèles mathématiques s’avèrent primordiaux pour les prises de décision autour du confinement. Pour alimenter ces modèles, les scientifiques associés à iGLOBES combinent données épidémiologiques et données comportementales issues des réseaux sociaux, en s’appuyant notamment sur le nouveau partenariat établi entre l’Université PSL et Facebook.
IRL Compass : l’étude des surfaces en contact avec les virus et bactéries
L’IRL Compass10 associe un partenaire privé, la compagnie Solvay, et l’université U.Penn, dans un effort de recherche conjoint sur les interactions entre la matière molle et les organismes vivants (tels que bactéries et virus) sur des surfaces et aux interfaces - un sujet particulièrement d'actualité lors de pandémies. Cet IRL a co-organisé un symposium sur le sujet, qui devait avoir lieu à Philadelphie lors de la conférence de printemps de l'American Chemical Society (ACS). Malgré l'annulation de la conférence du fait du COVID-19, ce symposium a été organisé par visio-conférence et une centaine de personnes a participé.
IRL LIRMM-Stanford : l’interopérabilité des données médicales
À côté d’activités robotiques sous-marines et médicales, l’IRL LIRMM-Stanford11 travaille sur l’interopérabilité des données médicales, notamment liées au COVID-19, pour les rendre utilisables par plusieurs pays ou organismes, dans le cadre du récent réseau GO FAIR. Une première application concernera les formulaires d’enregistrement de l’OMS des admissions et sorties des patients. De plus, l’IRL a développé un service d’annotation12 utilisé par l’équipe Wimmics13 pour annoter des articles scientifiques liés au COVID-19 et développer un graphe pour en extraire des connaissances et découvertes scientifiques.
- 7Epigenetics Data and Politics (CNRS/George Washington University).
- 8CNRS/Georgia Institute of Technology/Georgia Tech Lorraine.
- 9Interdisciplinary Global Environmental Studies.
- 10CNRS/Solvay/University of Pennsylvania.
- 11Laboratoire d'informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/Université Paul Valery Montpellier/Univ Perpignan Via Domitia/Inria).
- 12Voir https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3041576/ et https://dx.doi.org/10.1093%2Fbioinformatics%2Fbty009
- 13Inria/CNRS/Université Côte d’Azur.