« L’ERC ne peut financer que 10 à 15 % des demandes, il faudrait le double »
Alors que le futur programme cadre pour la recherche et l’innovation, « Horizon Europe1 » - et notamment l’ERC - semble mis à mal par les tractations pour le budget de l’Union européenne, la toute nouvelle Association des lauréats ERC souhaite devenir un porte-parole de la recherche fondamentale en Europe. Retour sur ses ambitions avec son fondateur, Axel Cleeremans.
- 1Horizon Europe est le programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation pour la période allant de 2021 à 2027.
Qu’est ce qui a motivé la création de The Association of ERC Grantees ?
Axel Cleeremans1 : Tout a commencé avec une suggestion de Jean-Pierre Bourguignon2 , reprise au Forum ESOF3 (Euroscience Open Forum) de Manchester en 2016, de créer une association autour du Conseil européen de la recherche (ERC) qui rassemblerait l’ensemble des récipiendaires des bourses ERC4 . Il faut comprendre que les liens qui lient un ancien lauréat à l’ERC sont très forts, car ces bourses récompensent une recherche de pointe, porté par un investissement humain important. En effet, il y a un enthousiasme considérable autour de ces projets, qui cherchent toujours à élucider des mystères fondamentaux. Je suis moi-même lauréat d’une bourse ERC obtenue en 2014 pour étudier les mécanismes de la conscience, ainsi qu’un membre du panel ERC Starting Grant Human mind and its complexity. J’ai des liens très forts avec l’ERC. En 2017, nous avons commencé avec un petit groupe de six personnes - aujourd’hui 175 et siégeant au conseil d’administration - à prospecter pour créer cette association. Après un long processus de discussion avec la direction et le conseil scientifique de l’ERC, nous avons finalement concrétisé notre projet à l’occasion des EU Research and innovation days 2020 du 24 septembre et lancé The Association of ERC Grantees qui sera officiellement opérationnelle à la fin de l’année. Aujourd’hui, entre 150 et 200 chercheurs nous ont contactés pour devenir membres, mais l’ERC compte 10 000 lauréats répartis sur toute l’Europe. Cela représente une belle masse scientifique qui pourrait rejoindre nos rangs pour porter la voix de l’ERC et de la recherche fondamentale.
Justement, quels sont les objectifs tangibles de cette association ?
A. C. : Nous en avons trois. Il faut tout d’abord réussir à rassembler les 10 000 lauréats ERC afin de créer une large et forte communauté apte à partager sa vision de la recherche fondamentale. Et ils représentent un poids et une influence considérable : ces 10 000 lauréats sont à l’origine des publications les plus citées au monde et représentent 7 Prix Nobel et presque 2 000 brevets. De plus, cela leur permettra de développer des collaborations entre eux, car le dialogue – surtout interdisciplinaire – est essentiel à la recherche fondamentale. La preuve : l’ERC a créé les bourse Synergy qui récompensent des projets pluridisciplinaires mêlant des chercheurs de différents horizons.
Le deuxième objectif est de devenir une voix pour l’ERC et la recherche fondamentale en Europe. Cela auprès du grand public en organisant des événements afin de partager les résultats de nos travaux scientifiques, mais aussi vers les décideurs politiques en intervenant dans les débats ou en interagissant avec l’agence de l’ERC elle-même. La recherche fondamentale est essentielle pour s’attaquer aux grands défis de la planète comme la réduction des inégalités, la protection de l’environnement, ou encore le développement d’une économie verte et digitale. Les scientifiques veulent s’investir et représentent une « banque de l’esprit » qui ne demande qu’à être utilisée.
Enfin, nous souhaitons mettre en place un système de mentoring pour aider les jeunes chercheurs à postuler à l’ERC pour favoriser la diversité et la qualité des recherches européennes. Nous voulons notamment mettre l’accent sur les pays moins représentés au sein des lauréats ERC tels que la Bulgarie ou la République Tchèque, par exemple. Nous comptons également créer une catégorie pour des membres honoraires qui ne disposeraient pas de voix, mais qui deviendraient des « amis » de l’association. Cette catégorie pourrait intéresser de jeunes chercheurs qui souhaitent postuler à l’ERC et bénéficier d’un accompagnement de leur candidature. Mais elle s’adresse également aux institutions qui souhaiteraient collaborer avec nous. Cette association doit être la plus ouverte et collaborative possible pour rejoindre l’écosystème de groupes et de réseaux qui soutiennent la recherche scientifique et plus spécifiquement la recherche fondamentale en Europe, comme le G66 , par exemple, dont le CNRS fait partie.
Le futur programme-cadre européen pour la recherche « Horizon Europe » pourrait voir son budget réduit, une décision qui impacterait grandement l’ERC. Son président, Jean-Pierre Bourguignon, se bat pour faire valoir son importance auprès des décideurs politiques. Quelle est votre position sur ce sujet ?
A.C. : On ne peut que se ranger derrière ce constat et cela serait dramatique. Il est étonnant de voir que malgré la crise que nous traversons actuellement, certains pensent toujours que la recherche - et plus particulièrement la recherche fondamentale - est une forme de luxe dont on peut se passer. Mais c’est justement en investissant dans la recherche que nous pourrons nous mettre à l’abri de menaces futures. Il faut se battre pour que le budget soit maintenu, mais aussi et surtout augmenté. La recherche européenne ne peut stagner face à la concurrence internationale. Nous ne pouvons nous le permettre tandis que nous sommes devant le constat effrayant que l’ERC ne peut financer que 10 à 15 % des demandes alors que le double mériterait d’être financé. Étant moi-même sur l’un des panels ERC, je vois des projets de superbe qualité rejetés faute de financements… Et il faut que cela change. Un des premiers défis que notre Association of ERC Grantees compte bien prendre à bras le corps.
- 1Axel Cleeremans est directeur de recherche au Fonds national de la recherche scientifique et professeur de sciences cognitives au département de psychologie de l'Université libre de Bruxelles.
- 2Jean-Pierre Bourguignon est président par intérim du Conseil européen de la recherche (ERC).
- 3Le forum ESOF est la plus grande rencontre interdisciplinaire sur la science et l'innovation en Europe.
- 4Fort d’un budget de 13,1 milliards d’euros pour la période 2014-2020, l’ERC attribue chaque année des bourses de recherche individuelles à des scientifiques issus de tous les pays du monde. Une fois sélectionnés, les lauréats doivent accomplir leurs travaux de recherche dans un pays européen ou associé.
- 5Axel Cleeremans, Karin Roelofs, Patrick Haggard, Maria Rentetzi, Marco Sgrabi, Simon Fillatreau, Silke Buehler-Paschen, Anna Wredenberg, Henna Tyynismaa, Roland Wiesendanger, Monica Claes, Isabel Guillamon Gomez, Fenc Simon, Timothy Wai, Janusz Bujnicki, Yiota Poirazi, Agnieszka Wykowska.
- 6Le G6 réunit le CNR, le CNRS, le CSIC, l’Association Helmholtz, la Communauté Leibniz et la Société Max-Planck.