Le CNRS planche sur le sujet des inégalités éducatives
Sous plusieurs formes, l’ensemble des sciences concernées par les questions liées à l’éducation, et notamment l’enjeu des inégalités éducatives, s’organisent au CNRS.
« L’éducation n’est pas un sujet sur lequel on attend a priori le CNRS. Pourtant, par sa pluridisciplinarité et sa capacité à créer des synergies entre les disciplines fortes qu’il développe, l’organisme peut contribuer à apporter des éléments de réponse aux questions que pose cet enjeu de société multifactoriel. », déclare Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. Neurosciences, psychologie, sociologie, économie, philosophie, éthique, linguistique, histoire, littérature, nouvelles technologies… si les questions liées à l’éducation constituent l’une des priorités thématiques de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) du CNRS, de nombreuses disciplines sont ainsi mobilisées sur le sujet, avec un Réseau thématique pluridisciplinaire dédié et un défi relatif aux inégalités éducatives inscrit au Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023 signé entre l’organisme et l’État. La dynamique s’accélère aujourd’hui grâce à deux programmes d’investissements massifs lancés par le gouvernement : un Programme prioritaire de recherche1 (PPR) et un Programme et équipements prioritaires de recherche2 (PEPR).
Mettre les scientifiques en réseau
Les réflexions pour que le CNRS structure les recherches sur l’éducation et les inégalités éducatives ont en effet démarré avec la création en 2019 d’un Réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) « Recherches autour des questions d’éducation ». En quelques mois, ses deux responsables, Grégoire Borst3 et Nicolas Vibert4 , ont rassemblé plus de 320 personnes intéressées, chercheurs et chercheuses dans des disciplines variées – avec une forte présence en psychologie –, issus de 51 laboratoires répartis dans toute la France.
Financé d’abord par l’INSHS, rejoint ensuite par l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS, il réunit des scientifiques de ces deux instituts, ainsi que de l'Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I), et accueille des membres des Instituts de recherche sur l'enseignement des mathématiques (IREM) et de l'Institut français de l'éducation5 . Cette pluridisciplinarité permet des analyses à tous les niveaux – élèves, professeurs, parents, espaces éducatifs, systèmes éducatifs, etc. – des problématiques abordées au sein de ses quatre axes de recherche (voir encadré).
Les inégalités éducatives, un défi social à relever
L’un de ces axes concerne les inégalités éducatives. Un « enjeu social majeur que la gouvernance du CNRS a souhaité prioriser » en lui dédiant l’un des six défis sociétaux inscrits à son Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023, explique Marie Gaille, directrice de l’INSHS. Le parti pris de l’interdisciplinarité doit permettre de faire dialoguer les expertises, afin d’éclairer les mécanismes éducatifs, les processus d’apprentissage et les politiques publiques dans toute leur complexité, et mettre les résultats de la recherche obtenus en contexte français en perspective à travers des comparaisons internationales. Un appel à manifestation d’intérêt sera lancé par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS (MITI) d’ici la fin de l’année pour mobiliser les équipes et laboratoires de diverses disciplines intéressées par ces questions. Deux post-doctorats, sur l’enseignement face à l’autisme et les intermédiaires numériques en éducation, ainsi que 6 doctorats financés par la MITI ont d’ores et déjà commencé.
- 1Programme du Ministère de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation (MESRI) dans le cadre de la troisième vague du Programme des investissements d'avenir (PIA 3). Le PIA3 est piloté par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et dispose d’un budget de 10 milliards d’euros.
- 2Dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA) qui représente 20 milliards d'euros sur 5 ans, dont 11 Md€ inclus dans le plan « France relance » d’ici 2022, les PEPR bénéficient d’un pilotage interministériel.
- 3Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant (CNRS/Université de Paris).
- 4Centre de recherches sur la cognition et l'apprentissage (CNRS/Université de Tours/Université de Poitiers).
- 5L'IFÉ (ENS de Lyon) est une structure nationale de recherche et d'innovation dédiée aux problématiques d'éducation et de formation, s'appuyant sur un large réseau de professeurs locaux et internationaux issus de grands groupes de recherche comme l'Unesco ou l'OCDE.
Le RTP « Recherches autour des questions d’éducation » en détails
Ce réseau thématique pluridisciplinaire s’organise autour de quatre axes problématisés au regard des défis qui se posent pour l’éducation :
- Inégalités éducatives, que ce soit des inégalités linguistiques, de genre, de statut socio-économique, ou encore des besoins particuliers de certains apprenants. L’axe s’intéresse autant à l’observation, la mesure et la compréhension des facteurs de production des inégalités qu’à la mise en œuvre et l’évaluation de dispositifs et de pratiques pédagogiques pour les réduire.
- Politiques éducatives comparées (organisation et professions, instruments et évaluation) : avec des approches qualitatives, quantitatives, historiques et politiques, l’axe aborde l’évaluation à la fois comme méthode, objet et enjeu, à tous les niveaux.
- Pratiques et dispositifs pédagogiques (face aux données) : Entre l’ambition de développer des « pratiques fondées sur des preuves et des données » (“evidence-based”) ou au moins éclairées par elles (“evidence-informed”), et les difficultés du terrain réel (“practise-based”), des experts en environnements informatiques pour l'apprentissage humain, didactique et psychologie s’interrogent sur les meilleures façons d’améliorer l’école pour qu’elle fasse mieux réussir tous les élèves.
- Penser le lien avec l’école : lien laboratoire-terrain, éthique des expérimentations, formation initiale, continue et par la recherche, science ouverte et citoyenne sont autant de sujets traités par cet axe.
Lancé juste avant la crise sanitaire, le RTP s’est aussi investi dans des recherches sur le thème « Covid-19 et éducation » avec quatre projets centrés sur les enseignants (ressenti de la période de confinement, aide aux pratiques numériques et analyse de leurs usages) et quatre autres centrés sur les élèves et apprenants, des conditions de vie des enfants et adolescents pendant le confinement à l’impact sur les apprentissages, en passant par le ressenti des étudiants.
« Le RTP joue un rôle pivot pour les réflexions que nous menons au sein du défi “Inégalités éducatives” du COP, ainsi que pour la mise en place de deux programmes clés sur l’éducation et l’enseignement », ajoute Marie Gaille. Ces deux programmes sont le Programme prioritaire de recherche (PPR) « Éducation » d’une part, et le Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) « Enseignement et numérique » d’autre part.
Des programmes nationaux dont le CNRS est pilote
Le premier dispose d’un budget de 20 millions d’euros sur 5 ans et entend « financer des recherches interdisciplinaires avec des effets concrets sur le système éducatif qui aujourd'hui pourrait mieux fonctionner », explique Grégoire Borst, pilote pour le CNRS de ce PPR « à caractère transformant » coporté également par l’Université de Poitiers (au titre de toutes les universités). Après la validation d’une feuille de route, des appels à projets seront échelonnés à l’attention de « consortium larges comprenant des scientifiques et des acteurs de terrain » sur quatre axes : l’apprentissage des élèves, leur orientation, la structuration du système éducatif et les pratiques professionnelles des enseignants.
Afin de ne pas présenter de redondance, ce PPR se coordonne avec le PEPR « Enseignement et numérique » auquel participe aussi Grégoire Borst. Autre opportunité pour les scientifiques, ce PEPR s’inscrit dans la stratégie d'accélération sur l'enseignement et le numérique qui devrait être prochainement détaillée par le gouvernement. Comme les autres PEPR, il représente la « partie amont » de cette stratégie, celle consacrée à la structuration des communautés de recherche et aux avancées scientifiques.
« Les périodes de confinement récentes ont montré les enjeux pédagogiques de la transformation numérique de l’enseignement, de la maternelle à l’université », rappelle Pascal Huguet, directeur du Lapsco6 et membre du RTP, qui pilote ce PEPR pour le CNRS7 . Même si le numérique est arrivé dans le milieu scolaire depuis de nombreuses années, « les acteurs de ce domaine – scientifiques, enseignants, professionnels des technologies de l’éducation – ne sont pas assez interconnectés », analyse le directeur de recherche CNRS, également membre du Conseil scientifique de l’Éducation nationale et responsable dans ce cadre du groupe de travail sur les inégalités éducatives. Le résultat : des outils peu adaptés ou qui se diffusent mal dans le système éducatif, et des enseignants parfois réfractaires à leur utilisation. Ces deux constats émanent en effet de la plupart des travaux et rapports sur le numérique éducatif au cours des vingt dernières années en France et ailleurs en Europe.
Le PEPR vise précisément à structurer par la recherche les communautés concernées par la transition numérique dans l’éducation – chercheurs, entreprises de la filière EdTech (technologies numériques pour l’éducation) et acteurs du terrain scolaire et universitaire – via le financement de consortia nouveaux ou déjà constitués dans les territoires et sélectionnés prochainement sur appels à manifestation d’intérêt et appels à projets. Le tout sera adossé à un dispositif d’intégration et d'accélération innovant, ce premier volet sous la responsabilité du CNRS étant doté de 40M€. L’objectif est la co-construction de nouveaux outils utiles, performants et validés scientifiquement, tout en tenant compte « des besoins très différents entre la maternelle et l’enseignement supérieur ». L’émergence de l’informatique comme nouvelle discipline scolaire, enseignée notamment au lycée, peut aussi être l’occasion d’applications, en relation notamment avec la didactique et les sciences de l’éducation. Côté équipements, le PEPR intègre la conception d’un « data hub éducation » visant à centraliser des données actuellement trop dispersées, avec l’objectif d’optimiser leur exploitation scientifique ; une infrastructure libre et souveraine de Carnets numériques dynamiques, interactifs et collaboratifs pour l’Enseignement (CANDYCE), et l’Equipex8 « innovation, données et expérimentations en éducation » (IDEE), qui facilitera la conduite de recherches expérimentales à grande échelle en éducation. Le PEPR dispose pour tout cela d’un budget de 77 M€ sur 10 ans.
« Dans le cadre des défis du COP du CNRS, et avec les nouveaux dispositifs – PPR, PEPR – mobilisant les scientifiques sur des sujets connexes, le sujet de l’éducation monte en puissance au CNRS », résume Alain Schuhl.
- 6Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (CNRS/Université Clermont Auvergne).
- 7Le PEPR est coporté par le CNRS, Aix-Marseille Université et Inria.
- 8L’établissement porteur de cet « Équipement structurant pour la recherche » est PSL, avec pour partenaires l’Université Grenoble Alpes, IEP Paris, le CEA, l’École d’économie de Paris et le CNRS.
Médaille de Bronze 2020 : Alejandrina Cristia, chercheuse en sciences cognitives
Portrait d' Alejandrina Cristia, lauréate de la Médaille de Bronze 2020 du CNRS, chercheuse en sciences cognitives au Laboratoire de sciences cognitives et psycho-linguistique, et animatrice de l'équipe Language acquisition across cultures, spécialiste en acquisition des langues natives.
Audiodescription
La formation des enseignants, un challenge relevé par les instituts du CNRS
Le 20 mars et le 3 avril 2019 dans 25 villes de France, se sont tenues des journées nationales de formation destinées aux enseignants et enseignantes en chimie du second degré. Le but : enrichir la connaissance et la culture scientifique des participants, en transmettant les dernières nouvelles de la recherche via des conférences, des ateliers et des visites de laboratoires. Une démarche inédite pour le CNRS, conçue par l’Institut de chimie (INC) dans le cadre de l’opération 2018-2019 « Année de la chimie, de l’école à l’université », une initiative du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, en association avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et dont le CNRS était partenaire.
Vu le succès de l’opération – 1100 professeurs et environ 132 000 élèves touchés – et l’enthousiasme des enseignants comme des scientifiques qui ont participé, une initiative similaire a été mise en place lors de l’année scolaire 2019-2020 dédiée aux mathématiques. L’offre proposée par les unités de recherche en mathématiques dont le CNRS est tutelle a permis à de nombreux enseignants de lycée de visiter un laboratoire de mathématiques, de découvrir le quotidien des chercheurs et chercheuses et de réfléchir en petits groupes aux applications possibles dans leur pratique. Une entente a été signée le 9 juillet 2021 entre l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions du CNRS (INSMI) et l’Assemblée des directeurs des Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (ADIREM) pour pérenniser ces actions. Autour du livre « Étonnante chimie », l’INC pérennise également ses actions envers les enseignants.
L'année 2021-2022, désignée « année de la biologie », reproduit le même dispositif conçu cette fois par l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS. Ciblant près de 60 000 professeurs du premier degré au supérieur, cette année thématique mettra également la biologie à l’honneur auprès d’un large public à travers le partage de contenus, de ressources pédagogiques et d’événements de culture scientifique.
Durant cette même année scolaire, des rencontres seront aussi organisées dans toute la France entre des élèves et des scientifiques de l’INC autour de l’ouvrage Étonnante chimie, afin de nourrir la préparation du Grand oral des candidats au baccalauréat.
Les six défis du COP
Le CNRS a inscrit dans son COP 2019-2023 six défis auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et que l’organisme souhaite éclairer de manière déterminante dans les prochaines années, via une mobilisation coordonnée de ses dix instituts. Des défis complexes qui ont été révélés ou sont portés par les sciences, comme le changement climatique et l’intelligence artificielle, ou qui peuvent être éclairés par celles-ci, comme la transition énergétique. Dans un dialogue inter-institut coordonné par la Direction générale déléguée à la science, des groupes de travail dédiés ont identifié les actions et projets déjà menés au sein des laboratoires sur les six défis sociétaux sélectionnés.
Les six défis :
- Changement climatique
- Inégalités éducatives
- Intelligence artificielle
- Santé et environnement
- Territoires du futur
- Transition énergétique