Le CNRS fait germer la transition environnementale
Alors qu’une seconde édition vient de s’achever, l’appel à projets CNRS Bas Carbone, initié l’an dernier, a permis l’éclosion d’initiatives inédites en faveur de la transition environnementale des laboratoires de recherche.
Pour favoriser l’essaimage des initiatives en matière de transition environnementale au sein des laboratoires dont il est cotutelle, le CNRS lançait, début 2023, la première édition de son appel à projet CNRS Bas Carbone, doté de 225 000 euros. 32 projets en avaient été lauréats et répondaient pour la plupart aux quatre axes thématiques – achats, énergie, mobilité et numérique – et trois transverses – sensibilisation/formation, valorisation et mesure – du plan de transition du CNRS, tandis que quelques-uns proposaient des actions en faveur de la biodiversité ou d’une meilleure gestion de l’eau. Devant le succès de cette première édition, un second appel à initiatives « Transition environnementale » – intégrant l’ensemble des enjeux de la transition au-delà du seul impact carbone – a été lancé en mai 2024 avec 78 projets déposés, 46 projets lauréats et 230 000 euros de co-financement CNRS.
Réutiliser le plastique à usage unique
Outre le financement d’actions de transition devenues désormais ordinaires dans les laboratoires de recherche – ainsi des bilans de gaz à effet de serre, des ateliers de sensibilisation ou encore l’installation d’équipements vélo pour favoriser les mobilités douces –, CNRS Bas Carbone facilita la floraison d’initiatives originales. C’est ainsi le cas du projet de réutilisation du plastique à usage unique porté par Laurence Salomé à Toulouse. Constatant l’intérêt marqué de ses collègues, tant en biologie qu’en chimie, de trouver des alternatives au plastique – aussi polluant que coûteux pour le budget d’un laboratoire –, cette directrice de recherche CNRS et référente développement durable à l’Institut de pharmacologie et biologie structurale1 proposa de fédérer six autres unités toulousaines et, via des expérimentations, de « trouver des conditions de réutilisation du plastique à usage unique sans risque de contamination » des cultures biologiques ou solutions chimiques.
Ce qui s’apparentait à l’origine à « un petit projet à la marge a très vite pris de l’ampleur » au vu de l’enthousiasme suscité auprès de ses collègues. Un sondage sur leurs usages mené au sein des sept laboratoires a révélé que plusieurs équipes avaient d’ores et déjà remplacé le plastique par des instruments en verre ou réutilisaient dès à présent des contenants en plastique. Il a également permis à Laurence Salomé et ses collègues d’identifier quatre usages prioritaires à tester vis-à-vis de la contamination par des adjuvants du plastique, mais aussi de leurs problématiques propres que sont les cultures cellulaire et bactérienne, la conservation de solutions tampons et celle de biomolécules. Différents modes de lavage seront éprouvés pour chacun de ces usages. Pour faciliter l’adoption de ces nouvelles pratiques, les solutions les plus simples, comme le « « rinçage à l’eau ultra-pure ou le passage dans un bain à ultrasons ou dans un bain d’alcool en fonction du contenu du tube », sont prioritairement envisagées, afin – faute de personnel dédié – de ne pas surcharger de travail les membres du laboratoire. L’impact environnemental des protocoles retenus pour la réutilisation du plastique à usage unique sera évalué par une analyse de cycle de vie. Ces travaux qui produiront leurs premiers résultats fin juin 2024 devraient déboucher sur une publication scientifique, voire une journée d’études dans la capitale occitane. Alors que les achats représentent près des trois quarts de l’empreinte environnementale du CNRS, Laurence Salomé se montre confiante : « La réutilisation est une des solutions pour la réduction de notre impact, notre projet ne répondra pas à toutes les questions mais on aura ouvert une voie ».
- 1CNRS / Université Toulouse III – Paul-Sabatier.
Une conférence internationale hybride
Après les achats, les déplacements professionnels représentent le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre du CNRS avec 13 % du total. Les missions en avion comptent pour 90 % de ces émissions. C’est dans l’optique de « garder une conférence, une activité sociale et scientifique, tout en limitant les voyages » que Karim Benabed, astronome à Sorbonne Université au sein de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP)1 , et ses collègues Guilhem Lavaux et Henry Joy McCracken ont décidé d’organiser fin 2023 une conférence internationale en astronomie mêlant présentiel et distanciel. Plutôt que de basculer toutes les interventions en visioconférence, l’astronome et ses collègues ont opté pour un format hybride inédit. À la manière d’un plateau télévisé, alternant direct et différé pendant cinq jours, la conférence « Debating the Potential of Machine Learning in Astronomical Surveys » se tenait simultanément à Paris – au sein de l’IAP – et New York – dans le Flat Iron Institute –, deux sites bien connus de la communauté scientifique aisément accessibles en train au sein de leurs continents respectifs et décalés de seulement six heures.
Inconnu de la plupart des participants, le format séduit aussitôt l’assemblée en raison de la très bonne qualité de la vidéo permise par des équipements audiovisuels pour partie financés par CNRS Bas Carbone. Si l’impact environnemental d’une telle conférence est encore en cours de calcul à l’IAP, Karim Benabed estime que celle-ci a permis d’éviter 100 allers-retours Paris-New York en avion, soit « deux fois le chauffage annuel de l’IAP » ! Même si le scientifique regrette que la « distance sclérose tout de même les communautés de part et d’autre de l’Atlantique » et que la coordination de deux sites exige un surcroît de travail, en particulier des personnels support, il considère malgré tout qu’un tel événement permet simultanément de « réduire l’impact carbone de la recherche et de conserver la qualité des échanges scientifiques lors de conférences de grande taille et de longue durée ».
- 1CNRS / Sorbonne Université.
La conférence à l'IAP
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Une mini-forêt dans un laboratoire
Outre la réduction des émissions carbone des activités scientifiques, l’appel à projets du CNRS a soutenu des actions en faveur de la biodiversité au sein des campus universitaires. La plantation en février 2024 d’une mini-forêt, selon la méthode Miyawaki1 qui consiste à planter densément des espèces locales d’arbres, sur un site caennais du CNRS en est exemplaire. Laurent Dezileau, professeur à l’université Caen-Normandie, directeur du laboratoire Morphodynamique continentale et côtière2 et membre de l’association MiniBigForest Normandie, qui promeut ladite méthode, en explique la genèse : « Depuis trois ans, notre laboratoire s’est engagé dans une démarche d’écoresponsabilité. Après avoir établi notre bilan de gaz à effet de serre, estimé à 6 t eqCO2/an et par personne, et sensibilisé nos collègues via des ateliers Ma Terre en 180 minutes, le temps de l’action était venu ». Du fait de la motivation de plusieurs doctorants, post-doctorants et de la direction, l’idée d’une mini-forêt pour enrichir « la grande pelouse de 400m² et son pauvre arbre » à l’entrée du bâtiment germe au sein du laboratoire.
Une surprise de taille déroute cependant les futurs sylviculteurs : « tout d’abord, le sol manquait un peu de potassium, mais surtout le carottage a révélé sa très faible épaisseur, à peine trente centimètres avant d’atteindre la plaquette calcaire », se rappelle encore le directeur. Le projet est toutefois possible en adaptant la méthode Miyawaki : au lieu de planter trois arbres par m², il se contente d’en planter un seul par m². CNRS Bas Carbone permet d’acheter 400 arbres, issus de 26 espèces locales peu gourmandes en eau – comme le charme, l’aubépine ou encore le troène –, 50 tonnes de compost, 3 tonnes de fumier de cheval et la paille à déposer au sol.
Ladite plantation a lieu mi-février et réunit, lors d’un « moment génial et fédérateur qui apporte du sens autour du végétal et de l’humain » selon Laurent Dezileau, aussi bien des personnels de l’université que des voisins et des bénévoles de l’association MiniBigForest Normandie. Même si les arbres sont encore loin d’avoir atteint leur taille adulte, la petite forêt attire d’ores et déjà les chalands, qui viennent s’y promener, voire manger sur place. À terme, elle fournira un îlot de fraîcheur au sein d’un quartier très urbain et pourrait en prime s’articuler à la trame verte de la métropole de Caen, qui court de la Vallée des jardins jusqu’au bassin Saint-Pierre en passant par le Jardin des plantes et le château de la ville aux cent clochers.
- 1Inspirée du botaniste japonais Akira Miyawaki, cette méthode consiste à planter de jeunes plants, d'une trentaine de centimètres de manière très dense, issus d’espèces végétales locales, pour favoriser l’entraide racinaire et optimiser la couverture végétale. Elle permet une croissance naturelle rapide et un écosystème autonome au bout de trois ans.
- 2CNRS / Université Caen-Normandie / Université Rouen-Normandie.
Plantation d'une mini-forêt au M2C
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Si l’appel à projets CNRS Bas Carbone n’a pas de lui-même suscité toutes ces initiatives, il aura permis de voir le jour à celles en gestation au sein des laboratoires en transition. Gageons qu’il en aille de même pour les projets lauréats des futures éditions.