L’Afrique et l’Europe veulent coconstruire des relations équilibrées pour la recherche

Institutionnel

Co-organisé par le CNRS et l’IRD, un événement a rassemblé Européens et Africains le 29 juin à Bruxelles pour imaginer un nouveau partenariat scientifique entre les deux continents.

« En cette période incertaine où se succèdent crises nationales et mondiales, la coopération en matière d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation est un atout majeur pour relever ensemble les défis actuels et à venir », assure Antoine Petit, président-directeur général du CNRS. Afin que « la communauté euro-africaine de la recherche convienne collectivement d’une approche commune pour promouvoir et stimuler » cette coopération entre les deux continents, un événement « Imaginer un nouveau partenariat scientifique entre l’Europe et l’Afrique » a été organisé au Palais des Académies à Bruxelles en Belgique le 29 juin, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (voir encadré).

Table-ronde
Plusieurs tables rondes ont rassemblé des acteurs européens et africains pour échanger sur les dispositifs de coopération, la mobilité et les réseaux. © CNRS

Visant à renforcer les bonnes pratiques et faire émerger de nouveaux partenariats revitalisés et plus équilibrés entre les deux continents, cette journée a rassemblé des représentants de plus de 46 nationalités sur place ou en ligne. Étaient ainsi par exemple présents Fulufhelo Nelwamondo, PDG de la National Research Foundation d’Afrique du Sud ; Kathrin Maria Scherr et Lydie Hakizimana, directrices générales respectivement de la Fondation Max Planck et de l’African Institute for Mathematical Sciences (AIMS) Global Network ; Francine Ntoumi, présidente de la Fondation congolaise pour la recherche médicale en République du Congo ; Bakri Osman Saeed et Manuel Tunon De Lara, présidents respectivement de l’Association des universités africaines, et de France Université ; Patrick Levy, membre du conseil d’administration de l’European University Association ; Aïda Hamdi, déléguée générale de la Chaire UNESCO femmes et science à Paris-Dauphine ; ou encore Fadila Boughanemi, cheffe adjointe de l’unité Asie, Afrique, MENA et relations extérieures à la Commission européenne.

Placer la science au cœur de la PFUE : mission réussie pour le CNRS

La journée euro-africaine du 29 juin fut le dernier événement d’une série de neuf rendez-vous portés par le CNRS pour « faire rayonner aussi la science » dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Union Européenne (PFUE) qui a pris fin le lendemain. Ces manifestations étaient notamment destinées à démontrer aux institutions européennes le rôle central des producteurs de science en Europe, dont le CNRS, dans l’établissement de relations et de coopérations scientifiques avec les pays tiers, et spécialement les pays d’Afrique pour ce dernier événement. « Pour construire plutôt que subir le futur, il est essentiel que les gouvernements, les entreprises et nos sociétés comprennent l’importance de l’avancée des connaissances permise par la recherche fondamentale et sachent exploiter les innovations scientifiques, techniques et sociales qui en sont issues pour le bien-être de l’humanité, de l’économie et de l’environnement », explique Antoine Petit, PDG du CNRS, qui veut « placer la science fondamentale comme moteur de progrès au service de la société ».

Face aux défis technologiques, sociétaux et environnementaux auxquels font face nos sociétés, « la science et la recherche sont indispensables pour progresser, via des coopérations qui doivent aller au-delà des disciplines, des institutions et des frontières », a ajouté Antoine Petit. Renforcer et renouveler la coopération scientifique avec l’ensemble des pays du continent africain, en tendant vers davantage de partenariats d’excellence, équitables et durables, est ainsi au cœur du plan pluriannuel de coopération du CNRS avec l’Afrique. Celui-ci s’inscrit dans une démarche de co-construction « absolument essentielle » pour définir les sujets et les modalités de coopération « en veillant à la complémentarité des approches portées par les différents acteurs » et en prenant en compte « la spécificité » des différents pays. La journée a ainsi été construite avec les partenaires du CNRS, français, européens et africains, et en particulier en partenariat avec l’IRD, pour échanger sur les stratégies à mettre en œuvre pour mieux construire des coopérations scientifiques. Les échanges ont été organisées autour de trois volets clés que sont les dispositifs de coopération, la mobilité et les réseaux.

Co-construire des partenariats équitables et durables

« Ce nouveau modèle de partenariat que nous voulons développer ensemble a pour but de réduire les asymétries de pouvoir et de savoir entre continents pour mieux collaborer et produire la connaissance dont les citoyens et décideurs ont besoin », a confirmé Valérie Verdier, PDG de l’IRD. Mohammed Belhocine, commissaire en charge de l'enseignement, des sciences, des technologies et de l’innovation au sein de l’Union Africaine1 , a de son côté appeler à « veiller à ce que les écosystèmes de recherche et d’innovation solides et intégrés que nous arriverons à créer reposent sur des partenariats équitables et un respect mutuel », adaptés aux différents contextes « afin de répondre aux problématiques et besoins locaux et nationaux prioritaires ».

  • 1L’Union africaine est une organisation continentale, fondée en 2002, qui rassemble 55 États du continent africain.
2,4 % des scientifiques

L’Afrique représente aujourd’hui au niveau mondial 2,4 % des scientifiques.

< 1 % des dépôts de brevet

L’Afrique représente aujourd’hui au niveau mondial moins de 1 % des dépôts de brevet.

< 4 % des publications

L’Afrique représente aujourd’hui au niveau mondial moins de 4 % des publications.

Renforcer les relations entre les pays africains et européens était un des objectifs que s’était donnée la France pendant la PFUE. Mais comment passer de l’agenda politique à la pratique ? « Cela se fait naturellement », a expliqué Fulufhelo Nelwamondo, PDG de la National Research Foundation (NRF) d’Afrique du Sud, lors de la première table-ronde de la journée autour des outils de coopérations existants et à définir : « Les scientifiques créent des partenariats, non pas simplement pour faire des partenariats, mais parce que nous devenons meilleurs à résoudre nos problèmes si nous travaillons ensemble ». Même si chaque pays d’Europe ou d’Afrique a ses propres défis, les enjeux globaux rendent nécessaires ces collaborations.

x 2,3 en 10 ans

Une production scientifique annuelle multipliée par 2,3 en 10 ans.

Et une certaine évolution est visible : le fort développement scientifique du continent africain et l’investissement financier des gouvernements permettent de définir des priorités de recherche co-construites avec l’Europe et d’en utiliser localement les résultats. La recherche et l’innovation deviennent des sujets d’importance dans les discussions entre l’Union européenne et l’Union africaine, au centre du dialogue et des négociations. La participation des scientifiques africains aux projets soutenus par le programme-cadre Horizon Europe est par exemple déjà plus élevée que dans le précédent programme Horizon2020.

Personnes discutant par petits groupes
Plus de 46 nationalités étaient représentées lors de l'événement. © CNRS

Mais il reste encore beaucoup à faire. En particulier, les différents pays africains ne sont pas tous au même niveau de développement de leur recherche et de leur enseignement supérieur. De plus amples relations entre les pays anglophones et les pays francophones au sein du continent sont donc indispensables pour renforcer l’unité de l’ESR africain dont les systèmes locaux sont aujourd’hui très variés.

Outre les questions financières, plusieurs éléments peuvent contribuer à relever ce défi. « L’un des éléments clés est la capacité à évaluer les partenariats qui doivent atteindre les objectifs co-construits pour lesquels ils ont été mis en place », détaille Fulufhelo Nelwamondo, tout en signalant la difficulté de mesurer l’impact de recherches sans application directe à court terme pour les décideurs et les populations et donc l’importance du développement de la culture scientifique.

De multiples mobilités à renforcer

Faciliter les mobilités fait aussi partie des éléments efficaces mentionnés comme outil face aux manques de personnels formés, d’équipements et d’infrastructures disponibles. Toutes les mobilités – intra-africaines et entre les pays d’Afrique et les pays européens, dans les deux sens, temporaires ou durables – ont leur rôle à jouer : mettre en commun les ressources, renforcer les collaborations et garantir la richesse des regards, permettre aux étudiants et scientifiques de se former dans un pays qui possède d’autres compétences et moyens techniques ou, pour les scientifiques de ces pays, en important avec eux leurs connaissances et compétences dans les secteurs qui intéressent la population locale…

Pour cela, les partenariats équitables doivent s’inscrire dans la durée, être financés à la hauteur des enjeux qu’ils représentent et la mobilité doit pouvoir concerner à la fois les étudiants et étudiantes que les chercheurs et chercheuses. « La France est aujourd’hui le premier pays d’accueil des étudiants africains au monde, mais une compétition mondiale se met en place pour attirer les talents qui ne trouvent pas de poste dans leur propre pays », estime Béatrice Khaiat, DGA de Campus France.

25 ans en 2050

En 2050, plus de la moitié des Africains auront moins de 25 ans.

Les mobilités répondent aussi à un défi démographique important, avec de plus en plus de jeunes qui accèdent aux études supérieures dans la plupart des pays du continent mais des infrastructures et financements qui ne suivent pas et peu de postes à la clé, que ce soit dans le public ou le privé. En plus de co-construction de diplômes entre l’Afrique et l’Europe, la diaspora pourrait ici aider de deux manières : en facilitant l’accueil dans le pays où ils se sont installés ou en revenant aider au développement de la recherche et de l’innovation, et des industries liées, dans leur pays d’origine. « C’est en développant toute la chaîne de valeur que l’on peut faire en sorte que les étudiants sortent de l’université avec non seulement un diplôme mais aussi un emploi », assure ainsi Roger Tsafack Nanfosso, recteur de l’Université de Dschang au Cameroun.

Des réseaux à toutes les échelles

Une autre piste pour aider au développement de la recherche et des partenariats : les réseaux. Ils se déploient de plus en plus en Afrique, au sein des pays et de manière régionale, à l’image des centres d’excellence de l’African Research Universities Alliance (ARUA) qui compte aujourd’hui 16 membres ou du réseau en mathématiques African Institute for Mathematical Sciences Global Network, mais aussi à l’international avec par exemple le réseau des Chaires Unesco2 . Outre une meilleure utilisation des ressources techniques et financières disponibles sans redondance, ces réseaux permettent aux scientifiques de talent de mettre en commun leurs connaissances et compétences pour s’attaquer à des problèmes transnationaux. En atteignant une masse critique de scientifiques sur un sujet donné, la visibilité acquise permet d’attirer des financeurs et de s’assurer que les savoirs produits auront un impact.

Francine N'toumi à un pupitre à côté d'un écran présentant une citation
Francine Ntoumi a présenté les principaux enjeux et freins relatifs au développement de la recherche et de la diffusion de la culture scientifique en Afrique. © CNRS

Les réseaux ont un fort intérêt également pour aider à la mobilité des scientifiques et étudiants, créer du lien et promouvoir les bonnes pratiques comme la science ouverte. Leur rôle dans la formation et l’innovation n’est plus à démontrer. Face au risque de « fuite des cerveaux » que peut causer la mobilité et dans un cadre de développement durable, l’utilisation d’outils numériques pour des enseignements et collaborations à distance, sous forme de réseaux, peut aussi être utile. Les diverses méthodes de financement et d’organisation ont été discutées, avec un point commun : l’implication des institutions, scientifiques ou gouvernementales, est indispensable pour pérenniser ces réseaux, souvent nés d’abord d’échanges informels entre scientifiques et laboratoires.

C’est d’ailleurs ainsi qu’est né ce qui allait devenir l’International research laboratory (IRL) "Environnement, Santé, Sociétés"3 . Son directeur, Lamine Gueye, est venu partager les éléments ayant contribué à la « success story » du seul, à ce jour, laboratoire international du CNRS en Afrique de l’Ouest, lors d’une des trois interventions d’experts et expertes qui ont rythmé la journée. Il a notamment cité l’importance de la formation à la recherche pour rendre les projets et les réseaux durables sur le long terme. Ce haut niveau de partenariat formel facilite les coopérations et permet d’apporter des éclairages complémentaires sur des questions en lien avec les contraintes du milieu de vie et les mutations sociétales identifiées dans la région.

La diffusion des connaissances, une clé pour le futur

Une autre intervention très remarquée fut celle de Francine Ntoumi, présidente de la Fondation congolaise pour la recherche médicale en République du Congo, qui a présenté les principaux enjeux et freins relatifs au développement de la recherche et de la diffusion de la culture scientifique en Afrique, composantes essentielles de la lutte contre les fausses informations et pour l’attractivité des carrières scientifiques auprès des jeunes. Elle est professeure en épidémiologie moléculaire des maladies infectieuses, en particulier le paludisme, la tuberculose et le Sida, à l’Université de Tübingen (Allemagne), et présidente du conseil scientifique de l’IRD. « Parler de science, c’est parler du futur. Parler de culture scientifique, c’est parler d’investissement multiforme dans l’humain », a-t-elle résumé, avant d’insister sur l’urgence « de mutualiser nos efforts face aux défis démographiques, climatiques, technologiques », comme l’a montré la crise du Covid.

  • 2Lancé en 1992, le réseau des Chaires Unesco (Programme UNITWIN) est un autre exemple qui encourage la coopération entre les universités au niveau international, afin d’améliorer leurs résultats et de mutualiser les expertises. Il rassemble près de 900 chaires dont 89 sur le continent africain.
  • 3CNRS/Centre national pour la recherche scientifique et technique (Maroc)/Université Gaston Berger Saint Louis du Sénégal/Université Cheikh Anta Diop (Dakar)/Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (Mali).

La place des femmes en recherche en Europe et en Afrique

Un focus a également été fait sur la place des femmes dans le monde de la recherche, de l'ingénierie et de l’innovation. Avec une conclusion : il y a de bons et de mauvais élèves à la fois en Europe et en Afrique, la proportion de femmes s’engageant dans ces filières étant fort dépendante de la culture et de l’histoire de chaque pays. Le plafond de verre, qui se traduit par un plus faible nombre de femmes dans les hauts postes comparativement aux viviers, est un souci omniprésent. Deux éléments semblent faire la différence : le rôle des autorités publiques qui reste capital, en particulier pour améliorer l’enseignement des sciences et l’information sur ces carrières dès la petite enfance, et l’accès à des modèles à suivre.

« La science doit jouer un rôle majeur et décisif dans la construction d’une nouvelle Afrique », dont la construction est déjà engagée, a-t-elle continué. Principal frein : le manque de volonté politique, « aucun pays » n’ayant tenu ses engagements en matière d’investissement dans la recherche et le dialogue entre scientifiques et décideurs politiques étant faible. Mais « l’Afrique compte des scientifiques de talent » et les pays du Sud ne veulent pas être de « simples consommateurs » de solutions conçues au Nord. Il faut donc développer les politiques publiques adéquates. Côté culture scientifique, de nombreuses actions sont organisées pour « développer la conscience du monde qui nous entoure » : ouvrages et kits de science pour les enfants, programmes de mentorat et campagnes de sensibilisation auprès des femmes et jeunes filles (voir encadré), etc. Mais les financements sont insuffisants, pour soutenir ces actions de médiation scientifique ou la recherche elle-même. Tout partenariat qui veut réussir doit donc prendre en compte tous ces paramètres. « Je crois en ce partenariat entre l’Europe et l’Afrique si les moyens y sont alloués », a lancé la chercheuse. Ce qui résume très bien les attentes de tous les acteurs présents à cette journée.

Avant tout, rectifier les asymétries

Pour conclure la journée, un témoignage exalté a touché l’audience. Enseignante-chercheuse à l’Université Gaston Berger au Sénégal, Mame-Penda Ba est venue présenter la nouvelle revue scientifique Global Africa4  dont elle est rédactrice-en-chef et qui fête son premier anniversaire. À partir de cet exemple, elle est revenue sur les enjeux relatifs à la transformation de l’écosystème global de production et de partage des connaissances sur le continent africain : les presses universitaires s’efforcent de redevenir efficaces face aux éditeurs étrangers, malgré le manque de personnes formées aux divers métiers de l’édition, les difficultés d’accès aux revues – la thématique de la science ouverte ayant été souvent citée dans la journée –, l’absence de formation à l’écriture scientifique des chercheurs et chercheuses exclus de fait du système international. « Nous n’avons pas besoin d’un partenariat mutuellement bénéficiable. Nous voulons un partenariat de qualité, centré sur l’Afrique, qui rectifie les asymétries profondes entre le Nord et le Sud, entre l’Europe et l’Afrique. », a-t-elle asséné dès le début de son discours, demandant « moins de promesses » et plus d’actions concrètes qui permettent de « tout revoir ». Reconnaître et soutenir les revues locales, les efforts d’édition et les études décoloniales qui identifient les racines des problèmes actuels, concevoir les institutions manquantes comme des hubs régionaux, aider à retrouver les compétences disparues, s’appliquer à inclure les travaux des scientifiques africains dans les articles publiés sont quelques-unes des pistes identifiées par l’enseignante-chercheuse.

« Les différents sujets abordés lors de cet événement démontrent l’existence de nombreuses actions internationales et d’une réelle volonté de renforcer la coopération entre nos deux continents. Il reste cependant une marge de progression. », reconnaît Antoine Petit. La journée aura donc, l’espère-t-il, été un « catalyseur » pour rapprocher les communautés et acteurs de la recherche afin de poursuivre les échanges sur le long terme. Ceux-ci ont d’ores et déjà commencés suite à cet événement sur des questions spécifiques et un workshop dédié est prévu en Afrique du Sud en fin d’année avec la NRF pour « réfléchir ensemble aux thématiques prioritaires de recherche communes ».

  • 4Revue co-construite par quatre institutions : le LASPAD de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), l’Institut de recherche et développement (France), l’Université internationale de Rabat (Maroc) et le LASDEL de Niamey-Parakou (Niger-Bénin).

Forum | Imaginer un nouveau partenariat scientifique entre l'Afrique et l'Europe

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