Innover avec et pour la nature
Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire SOLU-BIOD – piloté par le CNRS et INRAE – va analyser les possibilités de développer des solutions fondées sur la nature pour faire face aux changements environnementaux. Doté d’un budget de 44,2 millions d’euros sur 9 ans, il soutiendra l’émergence de stratégies durables pour la biodiversité et la multifonctionnalité des écosystèmes en vue de relever différents défis sociétaux. Entretien avec Martine Hossaert, directrice du programme pour le CNRS.
Le PEPR SOLU-BIOD - que vous coordonnez avec Xavier Le Roux (INRAE) - vise à identifier et à promouvoir des "solutions fondées sur la nature pour la biodiversité". De quoi s’agit-il et à quels enjeux répondent-elles ?
Martine Hossaert1
: On observe une perte alarmante de biodiversité dans tous les écosystèmes à travers le monde. Cette tendance est accélérée par les activités humaines et le changement climatique. De plus, nous faisons face à de nombreux défis de grande ampleur qui requièrent des changements fondamentaux en vue de préserver la biodiversité, atténuer le changement climatique, améliorer la santé, etc. En ce sens, les solutions fondées sur la nature peuvent jouer un rôle transformateur et répondre à ces nouveaux enjeux.
Ces approches innovantes visent à protéger, restaurer et innover avec la nature de manière adaptative et durable. Elles se différencient ainsi des services écosystémiques qui utilisent la nature à des fins plutôt économiques. Par exemple, ces derniers réintègrent des pollinisateurs dans le but d’accroître la récolte, là où les solutions fondées sur la nature le font afin d’améliorer l’équilibre d’un écosystème. Elles ont donc un impact positif pour la biodiversité. Toutefois, si ces solutions doivent être résilientes dans le temps, afin de faire face aux changements globaux, nous manquons encore de concepts sur le sujet.
À quels défis répondra ce PEPR ?
M. H : Les communautés internationales s’intéressent de plus en plus aux solutions fondées sur la nature (SfN), mais on ne connaît pas les bases fondamentales pour soutenir leur développement. Comme il s’agit d’une approche nouvelle, presque tout reste à faire, autant dans sa définition que dans sa mise en œuvre. Plus particulièrement, nous avons identifié trois grands défis spécifiques à la communauté française.
Premièrement, nous n’avons pas d’organisation nationale sur les SfN. D’un côté, des partenaires privés proposent des solutions sans mesurer exactement ce qu’ils font et réclament un cadre conceptuel clair. De l’autre, bien que la communauté française de la recherche en écologie soit mondialement reconnue, il y a très peu d’experts nationaux sur les solutions fondées sur la nature. Il n’est donc pas possible aujourd’hui d’apporter ce cadre aux partenaires privés. Le premier défi est alors de créer rapidement un réseau scientifique et d’entreprises sur cette thématique.
Deuxièmement, nous allons développer une recherche fondamentale très innovante qui s’attaquera à des problématiques sur le long terme en lien avec quatre enjeux majeurs. Tout d’abord : la diversité génétique, l’évolution et l’adaptation de solutions basées sur la nature. Par exemple, dans une démarche communale de plantation d’arbres, il faut prendre en compte les conditions environnementales changeantes, l’origine et la diversité des espèces plantées, etc. afin d’adopter une stratégie durable. Ce n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, il n’existe pas de normes. Autrement dit, chacun s’approprie l’appellation à souhait. Le PEPR va donc définir des règles et un cadrage sociétal pour les délimiter. Et des travaux d’acceptation sociale des SfN compléteront ces évolutions.
Autre point clé : mesurer les performances des solutions. À quel moment évaluer les retours sur la biodiversité ? quels seront les effets pratiques sur le changement climatique ? Il faut penser aux répercussions sur la faune et la flore locales, la façon dont l’environnement va à son tour impacter la durabilité des systèmes mis en place. Nous allons ainsi développer des indicateurs de réussite.
Enfin, des travaux sur les scénarios (changement climatique, aménagement du territoire, etc.) permettront d’évaluer l’évolution de solutions proposées dans un cadre temporel théorique. Pour répondre à ces enjeux, nous nous appuierons sur les communautés scientifiques françaises existantes. Nous envisageons également la construction de chaires internationales pour combler aux manques de connaissances qui seront identifiés. Un dernier enjeu portera enfin sur le transfert. Nous allons faciliter les interactions et collaborations entre les secteurs public et privé.
Comment allez-vous sélectionner les solutions qui seront testées par le PEPR ?
M. H : Les solutions fondées sur la nature que nous expérimenterons ne sont pas encore identifiées. Afin d’amorcer des projets pertinents, une phase de prospection sera nécessaire. Nous allons profiter d’événements comme les journées « Services écosystémiques et solutions fondées sur la nature » fin novembre2
pour alimenter nos réflexions et les échanges avec des partenaires, des entreprises ou des représentants des communes.
Plus généralement, nous allons lancer des centres de synthèse (ou knowledge hubs) pendant les dix-huit premiers mois du PEPR. Des chercheurs et chercheuses réfléchiront dans ce cadre sur les défis scientifiques susmentionnés. Une fois que nous aurons identifié les questions pertinentes, un nouvel appel à projets sera lancé via l’ANR.
L’autre aspect important de ce PEPR sera sa phase expérimentale qui permettra d’évaluer les solutions identifiées. Comment allez-vous procéder ?
M. H : Nous allons mettre en place des laboratoires vivants (ou living labs) qui permettront d’explorer toutes les dimensions de la durabilité environnementale et socio-économique. Ils réuniront pour cela différentes parties prenantes : habitants, usagers, scientifiques, etc. Ces structures seront les plus à même de générer des transferts vers des entreprises, les collectivités territoriales ou encore les communes.
Les structures existantes serviront de support aux expérimentations dans quatre familles d’écosystèmes. Des observatoires seront réalisés en zones urbaines sur des sujets d’aménagement territorial. D’autres seront menés sur les littoraux comme en Guyane française sur la mangrove ou en Polynésie française. Les réserves naturelles et les parcs serviront également de lieux d’expérimentation, comme dans les Alpes. Enfin, nous ciblerons des systèmes d’agriculture biologique. Un intérêt particulier sera porté sur le rôle des insectes dans le fonctionnement de ces écosystèmes.
Qu’est-ce que la communauté française peut apporter au paysage international qui dispose déjà d’experts sur le sujet et à la stratégie française sur la biodiversité ?
M. H : Les recherches internationales actuelles n’intègrent que très peu les notions de diversité et d’évolution des écosystèmes. La France, à travers ce PEPR, va enrichir la discipline grâce à son expertise sur ces deux domaines. De plus, le travail interdisciplinaire mené au sein du PEPR est inédit. L’intégration d’experts en sciences humaines et sociales permettra d’aboutir à des solutions plus avancées répondant aux enjeux sociétaux.
En outre, nos indicateurs de mesure, qui n’existent nulle part ailleurs, intéressent déjà l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)3 ou encore la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)4 . Nous pourrons ainsi les aider à construire des solutions et à mesurer leurs impacts au niveau mondial.
Côté national, le PEPR s’aligne sur les besoins sociétaux au cœur de plusieurs programmes lancés par les ministères de la recherche et de l’environnement. Il apportera ainsi un cadre conceptuel pour les aider à intégrer les solutions fondées sur la nature au sein de la stratégie nationale sur la biodiversité.
- 1Chercheuse en écologie au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/École pratique des Hautes Études/IRD/Université de Montpellier) et conseillère scientifique biodiversité et Outre-mer pour le CNRS-INEE.
- 2Journées organisée par le LabEx CeMEB (Centre Méditerranéen de l’Environnement et de la Biodiversité) les 28 et 29 novembre 2022.
- 3L'UICN est l'une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature.
- 4L’IPBES est un groupe international d'experts sur la biodiversité.