Du coaching pour les projets collaboratifs européens
Première institution de recherche européenne bénéficiaire de l’ERC, le CNRS veut renforcer sa participation aux programmes européens collaboratifs. Pour cela, le Bureau du CNRS à Bruxelles a organisé des séances pilotes de coaching pour les candidats et nouveaux coordinateurs de projet.
« Pour un scientifique, coordonner un projet collaboratif européen demande de bien vouloir sortir de sa zone de confort : il ne s’agit plus seulement de recherche mais de se transformer en une sorte de chef d’orchestre, certains se comparant à un chef d’entreprise. », explique Victoire Teisserenc, chargée d’affaires européennes au Bureau du CNRS à Bruxelles. Ces projets doivent impliquer des partenaires (dont souvent des industriels) d’au moins trois États membres ou associés de l’Union européenne, pour répondre à des défis technologiques et sociétaux1 . Pour « dédramatiser » ce changement de rôle et inciter plus de chercheurs et chercheuses à se lancer dans l’aventure, elle a mis en place au premier trimestre 2021 des séances de « coaching » dans lesquelles des porteurs de projets collaboratifs européens chevronnés sont venus partager leur expérience et leurs conseils. Une opération qui résonne avec la nouvelle feuille de route Europe du CNRS par laquelle l’organisme souhaite notamment déployer un soutien particulier dans le montage et la gestion de projets européens, l’organisme ayant coordonné 165 projets collaboratifs sur les deux derniers programmes cadres européens (FP7 et Horizon 2020, entre 2007 et 20202 ).
Une action au succès immédiat
Cette « action pilote de coaching par les pairs » a rassemblé neuf coordinateurs volontaires – membres du réseau des coordinateurs de projets collaboratifs animé par le Bureau de Bruxelles – qui ont tenu quinze sessions « remplies en moins de 24 heures ». Malgré une diffusion restreinte et un préavis très court, 70 chercheurs et chercheuses aux « profils variés » ont participé3 , ce qui a permis d’identifier « deux temps d’intérêt » pour un tel coaching : en amont de la sélection, les scientifiques viennent chercher des informations et conseils pour soumettre une « bonne » candidature au « bon » appel, se convaincre de la plus-value de passer de participant à coordinateur du projet, ou encore se remotiver après un ou plusieurs échecs ; après une sélection, de nouveaux porteurs de projet sont venus chercher des conseils spécifiques sur la gestion d’un consortium et des relations avec les industriels.
« Avec son implantation au plus proche des institutions européennes, le CNRS frappe fort et cela fait la différence », salue Jean-Christophe Mayer, directeur de recherche CNRS à l’Institut de recherche sur la renaissance, l'âge classique et les lumières4 . Le chercheur s’intéresse aujourd’hui à la manière dont la population (en particulier pauvre et de classe moyenne) considérait le médium de l’écriture manuscrite dans six pays européens du 16e au 18e siècle, au moment où l’imprimerie prenait son essor. Face à l’importance croissante des appels à projet nationaux et européens, il a participé à une dizaine de formations, et « la qualité des experts, en empathie avec les candidats », grâce à la sélection judicieuse effectuée par Victoire Teisserenc, lui a « mis le pied à l'étrier » pour se lancer dans les appels européens.
Premier conseil de Victoire Teisserenc : « Nul besoin de savoir tout faire soi-même, ce qui est d’ailleurs impossible vu le caractère multidisciplinaire et souvent intersectoriel des projets collaboratifs. Le rôle des coordinateurs est de mettre en contact les bonnes personnes pour faire avancer le projet, et de savoir écouter et comprendre les contraintes des uns et des autres. »
Encourager à persévérer
« En recherche, on n’avance jamais tout seul, le partage et les échanges sont essentiels », confirme Régine Basséguy, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de génie chimique5 et coordinatrice du projet BIOCOR qui a obtenu un prix des Étoiles de l’Europe en 2014, récompense qui valorise les coordinateurs et coordinatrices français de projets européens. Un message que la scientifique a voulu faire passer lors de la séance de coaching qu’elle a animée, soulignant que témoigner de son expérience fait donc partie de son rôle. Financé entre 2009 et 2013, le réseau de formation BIOCOR Network a réuni 18 équipes internationales, dont sept orientées industrie, autour de la biocorrosion, c’est-à-dire l’accélération de la corrosion sous l’effet de microorganismes, un phénomène à comprendre et contrer6 . Action Marie Sklodowska-Curie7 , le projet a permis de dynamiser la thématique scientifique, avec 16 bourses pour 12 doctorants et 4 chercheurs expérimentés, et des financements confortables. Mais « construire un réseau demande une longue maturation, il faut persévérer malgré les échecs » et « ce n’est jamais de l’énergie perdue » : même de manière infructueuse et sans publication, faire des propositions permet de gagner en visibilité, tant européenne que nationale, et l’investissement est reconnu par les institutions, notamment au CNRS au niveau des carrières8 .
Ce message, Cécilia Ménard-Moyon l’a bien enregistré. Chargée de recherche CNRS au laboratoire Immunologie, immunopathologie et chimie thérapeutique9 , elle développe des nanoparticules multi-fonctionnelles pour des applications biomédicales. Suite à l’échec d’un premier dépôt de projet européen de type « doctoral network » en tant que coordinatrice, elle entend le soumettre à nouveau et était donc à la recherche « de conseils et d’informations ». Elle a participé à deux séances « complémentaires » et a apprécié d’avoir le retour de coordinateurs expérimentés qui peuvent « partager leur cheminement », expérience peu commune dans les réunions d’informations habituelles sur les appels à projet. Ravie de pouvoir à nouveau contacter ces coordinateurs en cas de question pendant le montage de son projet, la chercheuse se dit aussi « renforcée dans sa volonté » d’entrer dans la base de données des experts-évaluateurs de la Commission européenne, afin de connaître « les deux côtés » du processus.
Lever les appréhensions
« Quand nous avons voulu lancer notre projet, nous avons suivi des séminaires et formations, mais ce format nouveau de coaching en petit comité est plus efficace. On peut vraiment répondre aux questions et s’adapter aux cas particuliers », témoigne à son tour Etienne Gheeraert, coordinateur d’un projet collaboratif Horizon 2020 intitulé GreenDiamond. Celui-ci vise à développer de l’électronique pour l’énergie à base de diamant qui permet de plus hautes puissances avec une meilleure efficacité, donc en réduisant les pertes d'énergies. Eux-mêmes spécialistes de petits composants, Etienne Gheeraert et son équipe ont dû rassembler des diamantaires, des designers d’électronique, des experts en packaging, génie électrique et bien sûr des industriels pour monter un projet de plus grande envergure. « La réputation du diamant, coûteux et réservé à la joaillerie, nous dessert quand il s’agit d’aborder des industriels qui font, de plus, peu de R&D », raconte le chercheur à l’Institut Néel10 , professeur à l’Université Grenoble Alpes. Un défi relevé avec succès puisque GreenDiamond a impliqué trois industriels, en France, Espagne et Angleterre, et a contribué à l’émergence de la start-up DiamFab, spin-off du laboratoire.
En animant des séances de coaching, le chercheur veut aussi corriger certaines idées reçues, notamment sur la charge de travail et la dose d’administration : « Il faut s’appuyer sur une bonne équipe rapprochée et bien s’entourer dès l’étape de la conception du projet », explique-t-il. Participant justement à cette séance, le chargé de recherche CNRS Hocine Khemliche se disait particulièrement inquiet de ces aspects administratifs « extra-scientifiques ». Il avoue avoir été « rassuré » par le discours du coach qui a expliqué les différents soutiens humains et financiers disponibles en amont et une fois le projet démarré. Le CNRS propose ainsi l’aide d’Ingénieurs de projets européens (IPE) qui viennent en appui des chercheurs et chercheuses dans les différentes phases de préparation (relations partenariales, rédaction du dossier), candidature (oraux blancs), négociation du contrat (propriété intellectuelle, notamment s’il y a des partenaires industriels) et dans la phase initiale de lancement du projet (recrutements, achats, etc.). Ces IPE étaient également présents lors des séances de coaching, un « binôme très complémentaire » selon Etienne Gheeraert. Les universités partenaires et des cabinets de consultants sont aussi disponibles, par exemple pour identifier les bons partenaires et aider à monter le consortium du projet. L’Agence nationale de la recherche (ANR) lance également des appel à projets « Montage de réseaux scientifiques européens ou internationaux » (MRSEI) qui peuvent être utiles pour préparer les premières étapes. Enfin, la Commission européenne organise des « ECT proposers’ day » pour présenter ces nouveaux programmes et appels, répondre aux questions techniques des candidats et faciliter la rencontre d’éventuels partenaires.
Chercheur à l’Institut des sciences moléculaires d'Orsay11 , Hocine Khemliche a aussi voulu prendre part à cette action pilote de coaching pour « explorer la possibilité de déposer un projet en tant que coordinateur », après avoir découvert la « force de frappe des projets européens » en tant que participant. Le spécialiste du développement d’instrumentation pour l'analyse des surfaces et le suivi de croissance de couches minces retient également la possibilité de participer à la rédaction de nouveaux appels à projets : « Je ne suis pas sûr d’avoir la fibre lobbyiste mais il est intéressant de savoir que chaque chercheur peut, au travers des représentants des institutions françaises à l’Europe, aider à rendre les appels à projets plus pertinents pour ses recherches en proposant des mots clés ». Une influence renforcée par « l’effet ‘boule de neige’ d’une coordination de projet » multiplicatrice de publications et de nouvelles opportunités, rappelle Victoire Teisserenc.
Identifier les besoins pour imaginer la suite
Si chaque coach a organisé ses présentations à sa manière, des thèmes se sont ainsi fait récurrents : l’intérêt de la coordination, la persévérance nécessaire après un échec, la nécessité de bien s’entourer. « Je voulais mettre en avant le côté rencontre, défi et stimulation intellectuelle de ce genre de projets : les coordonner est très enrichissant et excitant », insiste pour sa part Suzanne Dumouchel, coordinatrice du projet « Triple »12 . Celui-ci rassemble 19 partenaires de 13 pays pour développer une plateforme de découverte des données, des projets de recherche et des profils de chercheurs en SHS au niveau européen et en 9 langues, avec un budget de 5,6 millions d’euros. Ce service sera l’un de ceux proposés par l’infrastructure de recherche européenne OPERAS, qui fait partie de l’association EOSC dont Suzanne Dumouchel est membre du directoire. « En SHS, nous sommes dans une position naturelle pour coordonner ce type de projets », précise l’ingénieure de recherche CNRS. Des conseils parfois utiles aussi pour les appels à projets nationaux qui tendent à s’aligner sur les exigences européennes en termes de représentation des genres et de médiation scientifique par exemple.
Selon la coordinatrice, si les séances de coaching – temps d’échanges rares – ont été l’occasion de découvrir des collègues aux sujets et compétences différentes, les profils variés des étudiants nécessitaient cependant un discours restant général. « C’est une première étape utile qui permet d’enlever une première barrière, mais il faudrait ensuite un mentoring plus personnalisé pour aller plus loin », conseille-t-elle.
Côté Bureau de Bruxelles, face à l’enthousiasme général, les idées foisonnent pour faire fructifier cette action pilote. À cause de la crise sanitaire, les ateliers ont cette année été organisés en visioconférence, un format qui risque de se maintenir tant il optimise le temps des coachs comme des participants, et permet la participation de personnes situées à l’étranger. Des déclinaisons locales (via les délégations régionales intéressées) et thématiques (par les instituts du CNRS), voire inter-institut sur des thématiques transverses, pourraient être organisées. Elles seraient complémentaires, tandis que le Bureau de Bruxelles maintiendrait des sessions plus ouvertes pour identifier les nouveaux besoins et les nouveaux publics ou, au contraire, des séances en coaching individuel à plus long terme. Un groupe de réflexion a été constitué pour envisager les suites à donner. « La demande est évidente du côté des chercheurs et chercheuses, et les instituts et délégations sont intéressés », assure Victoire Teisserenc.
- 1Dans le programme cadre Horizon Europe, les projets collaboratifs européens s’inscrivent dans les challenges (défis sociétaux) du Pilier 2 ou dans le cadre du Conseil européen de l’innovation du Pilier 3 (EIC Pathfinder, anciennement FET dans Horizon 2020). Ils comprennent également des réseaux de formation par la recherche (actions Marie Sklodowska-Curie du Pilier 1).
- 2Selon les données disponibles.
- 3Chaque participant pouvait suivre plusieurs sessions.
- 4CNRS/Université Paul Valery Montpellier.
- 5CNRS/Toulouse INP/Université de Toulouse Paul Sabatier.
- 6Aujourd’hui, Régine Basséguy travaille sur un projet qui vise maintenant à tirer parti de cette biocorrosion pour protéger des matériaux : http://micoatec.eu/
- 7Au sein du programme cadre Horizon Europe, les actions Marie Skłodowska-Curie visent à encourager la mobilité des chercheurs entre pays, secteurs et disciplines : réseaux de doctorants, bourses ou programmes postdoctoraux, échange de personnels.
- 8Les activités de coordination, mais aussi de préparation d’un projet, sont à indiquer dans le compte rendu annuel d'activité des chercheurs CNRS (CRAC). Les enseignants-chercheurs peuvent de leur côté bénéficier d’une décharge partielle d’enseignement.
- 9CNRS.
- 10CNRS.
- 11CNRS/Université Paris-Saclay.
- 12Au CNRS, le projet Triple implique les Très grandes infrastructures de recherche (TGIR) Huma-Num (CNRS/Campus Condorcet) à laquelle Suzanne Dumouchel est rattachée et OpenEdition, portail de publication porté par l’OpenEdition Center (CNRS/Aix-Marseille Université/Avignon Université/EHESS).