Création d’un laboratoire commun consacré à l’étude de sels fondus

Innovation

Le CNRS, l’Université Paris-Saclay et l’entreprise NAAREA s’associent pour créer un laboratoire commun, intitulé Innovation Molten Salt Lab (IMS Lab). Il se concentrera sur l’étude des sels fondus pour des applications nucléaires et non nucléaires. 

NAAREA (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All) est une entreprise francilienne, lauréate de l’appel à projets « Réacteurs Nucléaires Innovants » du plan d’investissement France 2030. Elle développe le XAMR® (eXtrasmall Advanced Modular Reactor), un micro-réacteur nucléaire à sels fondus.

Le CNRS présente une expertise reconnue dans le secteur de l’étude de la chimie des réacteurs à sels fondus (molten salt reactor en anglais, d’où le nom du laboratoire commun), une équipe dédiée à cette chimie ayant été créé à l’IPN d’Orsay dès 2005. Après une première coopération sous la forme de contrat de collaboration de recherche, les deux acteurs ont annoncé le 26 juin 2024 le lancement d’un laboratoire commun pour une durée de cinq ans.

Une collaboration sous le signe de l’excellence


Les micro-réacteurs sur lesquels travaille l’équipe de NAAREA ont pour objectif de générer de l’électricité et de la chaleur à partir de combustibles nucléaires usagés issus des réacteurs conventionnels du parc nucléaire actuel. Il s’y produit une réaction de fission intrinsèquement autorégulée à haute température (environ 700 °C), grâce à un combustible liquide composé de sels fondus.

« La connaissance précise de la chimie des sels aide à avoir un réacteur plus performant », indique Timothée Kooyman, directeur technique chez NAAREA. « Monter un laboratoire du niveau de l’IJCLab prendrait plusieurs années, et avoir accès à l’expertise de l’équipe de recherche permet de gagner un temps précieux » ajoute-t-il.

Sylvie Delpech, directeur de recherche au CNRS au sein de l’IJCLab (CNRS/Université Paris Saclay) dans l’équipe CHIMENE (Chimie, Irradiation, Matériaux, Modélisation, Electrochimie, pour le Nucléaire et l’Environnement) et co-responsable du laboratoire commun, confirme la place primordiale du laboratoire du CNRS dans l’écosystème. « L’IJCLab est le seul laboratoire en France à pouvoir manipuler de grandes quantités de matière active en milieux sels fondus, et nous avons acquis un socle de données solides au cours des années. De plus, nous sommes situés dans la même région que NAAREA, et des liens professionnels préexistaient. » 

© NAAREA

Des axes de recherche ambitieux autour des sels fondus


David Lambertin, responsable de projets cycles matières chez NAAREA (et qui rappelle avoir réalisé sa thèse sous la direction de Sylvie Delpech il y a vingt-sept ans) présente les axes de recherche prioritaires pour NAAREA. « L’enjeu scientifique est d’étudier nos sels combustibles et caloporteurs, afin de travailler sur la préparation et la synthèse des sels, en parallèle de l’acquisition de toutes les données de base sur les sels, avec notamment le comportement de l’uranium et de certains produits de fission dans le sel combustible. » 

Sylvie Delpech abonde sur l’importance de maîtriser la synthèse des sels, pour laquelle il n’existe actuellement pas de méthode industrielle. « Nous étudierons également la corrosion entre les différents éléments et les matériaux de structure, la gestion des gaz produits dans le réacteur, ainsi que le retraitement du combustible usé. »

Les équipes œuvrent ensemble au quotidien afin d’atteindre ces objectifs de recherche, trois ingénieurs NAAREA passant une partie de la semaine au laboratoire à Orsay, en Île-de-France. Une proximité qu’apprécie Sylvie Delpech : « cette façon de travailler est très enrichissante, on a le sentiment d’un brainstorming permanent. Depuis le début de la collaboration, nous avons fait de nombreuses découvertes sur des “petites” problématiques, qui seront tout à fait utilisables pour d’autres secteurs. Le laboratoire commun permet d’intensifier cela. »

Des domaines d’application variés


Les recherches réalisées au sein du laboratoire commun sont en effet importantes afin d’avancer sur le prototypage de réacteurs nucléaires à sels fondus. Appartenant à la quatrième génération des réacteurs nucléaires, ils ont le potentiel de présenter un profil de sécurité optimal grâce aux propriétés intrinsèques du sel liquide qui permettent à la réaction de s’auto-réguler.

Le micro-réacteur conçu par NAAREA a vocation d’être produit en série, et sa miniaturisation ainsi que l’absence de besoin d’approvisionnement en eau autoriserait à l’installer au plus près des usagers, qu’il s’agisse d’industriels ou de municipalités. Enfin, il s’agirait d’une solution de valorisation énergétique et décarbonée des matières combustibles usagées.

Mais l’intérêt d’une compréhension fine du comportement des sels fondus ne se limite pas au domaine du nucléaire. Elle pourrait également trouver une application dans des domaines non nucléaires, notamment pour les centrales solaires thermiques à concentration et la production d’aluminium et sodium métal.

Souveraineté énergétique et rayonnement de l’expertise française


Dans un contexte de crise énergétique, la recherche portant sur de nouvelles formes de production s’intensifie au niveau mondial. À terme, le micro-réacteur de NAAREA a pour objectif de sécuriser l’approvisionnement énergétique, en se déployant de manière indépendante sur le territoire et en reposant sur la réutilisation de matières combustibles nucléaires usagées et déjà disponibles.

« La France bénéficie d’une expertise reconnue sur le sujet des sels fondus, et la meilleure façon de la faire vivre, c’est de la valoriser au sein de projets tels que celui du laboratoire commun », conclut Timothée Kooyman. « NAAREA est fier de contribuer financièrement à la réalisation des essais, et l’enjeu pour nous est de faire du laboratoire commun un centre d’étude à la renommée internationale, afin d’attirer ensuite d’autres acteurs du secteur. »