Le PEPR ICCARE favorise la rencontre entre recherche et acteurs culturels et créatifs
Financé à hauteur de 25 M€, le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Industries culturelles et créatives (ICCARE) a pour objectif, de créer les conditions d’une rencontre et d’un dialogue entre communautés de recherche et acteurs culturels et créatifs. Retour sur les enjeux du programme avec Solveig Serre et David Cœurjolly, co-directeurs du programme.
Qu’entend-on par « industries culturelles et créatives » et quels sont les enjeux associés ?
Solveig Serre : La filière « Industries culturelles et créatives » comprend essentiellement les secteurs de la musique, de l’édition, de l’audiovisuel, des arts visuels, des jeux vidéo, du spectacle vivant, des métiers d’art et de mode, du design et de l’architecture, des musées et du patrimoine. Si du point de vue de l’action publique les industries culturelles et les industries créatives sont associées de manière systématique au point de faire sigle – ICC –, cette catégorisation recouvre dans les faits des réalités différentes. Elle comprend un très large continuum d’activités économiques, de pratiques culturelles, d’échanges marchands, de techniques, technologies et savoir-faire, englobe aussi bien les acteurs créateurs isolés que les collectifs ou les associations, les entreprises, petites ou grandes, les établissements publics, etc., et articule une grande variété de structures et de positions ainsi que de multiples échelles d’action, de création et de production.
Les industries culturelles et créatives sont confrontées aujourd’hui à de nombreux enjeux tels que l’accès au financement, l’accroissement de la concurrence, la transformation des modes de création, le bouleversement des modes de production et de diffusion, la diffusion de l’offre culturelle française à l’international et l’émergence d’entreprises culturelles et créatives sur tout le territoire. Face à ces enjeux que les ICC sont devenues l’une de ses stratégies nationales du gouvernement, adoptée en 2021 suite à l’organisation d’États généraux des ICC en 2019. Cette stratégie poursuit de multiples objectifs : renforcer la solidité et la compétitivité des entrepreneurs de la filière, hisser la France au premier rang de la nouvelle économie numérique en matière culturelle, renforcer la place des ICC à l’international, les inscrire dans les dynamiques de transformation territoriale, faire de la filière un secteur de référence en matière de responsabilité sociale et écologique. ICCARE a pour vocation de contribuer à répondre à ces enjeux.
Quels sont les enjeux de recherche d’ICCARE ?
Solveig Serre : Notre constat de départ est que les communautés de recherche en sciences humaines et sociales et celles en sciences informatiques, toutes deux impliquées dans le programme, dialoguent encore peu entre elles et sont relativement distantes des acteurs culturels et créatifs. Dans les recherches, l’accent est par ailleurs souvent mis sur un seul secteur de la filière ICC, ce qui a pour conséquence de surestimer les spécificités du secteur étudié au détriment des interactions intersectorielles et des enjeux généraux de la production industrielle et de la valorisation des biens et services culturels. De même, les tendances liées au déploiement des plateformes, des dispositifs de traitement algorithmique des données, des interfaces de visualisation, d’interaction (en réalité virtuelle ou d’intelligence artificielle par exemple) sont abordées soit dans des perspectives mono-sectorielles, soit avec des approches techno-centrées.
Du côté des industries culturelles et créatives, l’investissement dans la recherche publique est faible, hormis sur des questions technologiques ciblées ou relatives à la question des usages et des analyses économiques, par le biais d’études de stratégie marketing, d’analyses instantanées d’usages ou de marchés. Or si les ICC ont besoin de chiffres, elles ont aussi besoin, pour les analyser, de savoir ce qu’ils signifient. Aussi leur stratégie d’accélération ne doit-elle pas seulement porter sur la manière de développer le secteur, mais sur ce que cette croissance peut signifier. C’est là un domaine où la recherche a pleinement un rôle à jouer.
Par conséquent, créer les conditions d’une rencontre et d’un dialogue interdisciplinaire entre les communautés de recherche et les communautés professionnelles est un des enjeux majeurs du programme. C’est ce que nous avons appelé la SAPICC, la « science avec et pour les ICC ». Celle-ci implique de transférer certains acquis de la recherche fondamentale vers le terrain, mais aussi de nourrir la recherche par les retours du terrain dans un dialogue fécond. Elle implique également que les communautés scientifiques et professionnelles soient capables de co-concevoir, de co-construire et de co-réaliser les opérations de recherche, ce qui est loin d’être évident. Tous ces enjeux de recherche seront menés avec l’aide de deux interlocuteurs particuliers, l’IR* Huma-Num pour ce qui concerne la réflexion autour des données et métadonnées des ICC, et l’Equipex+ Continuum pour la mise en expérimentation sur les plateformes recherche d’interaction immersive et de réalité virtuelle.
Comment pensez-vous créer le lien entre les différents acteurs ciblés/concernés ? Pouvez-vous donner quelques exemples précis ?
David Coeurjolly : L’efficience de cette stratégie repose sur plusieurs piliers :
- Le développement, la structuration et le renforcement d’une dynamique de recherche qui favorise les croisements fertiles interdisciplinaires, en lien avec les acteurs culturels et créatifs. L’objectif est de permettre une acculturation réciproque et interactive au regard des méthodologies mises en œuvre des résultats obtenus comme de la production de connaissances sur des champs où des marges de progrès existent, notamment ceux issus des interactions entre les sciences humaines et sociales et les sciences informatiques ;
- La mise en évidence du potentiel de dialogue entre recherche et ICC en cartographiant en continu et de manière très fine, tout au long du projet, l’ensemble des forces de recherche en sciences humaines et sociales et en sciences informatiques ainsi que les acteurs des différents secteurs des ICC susceptibles d’être intéressés par les actions du programme national de recherche, en lien avec ses objectifs ;
- La capacité à faire remonter les propositions des ICC destinées à faire émerger les besoins, à comprendre en quoi peuvent consister les modes d’expertise de la recherche pour les ICC et en quoi ils peuvent en compléter d’autres, à évaluer aussi les potentiels des différents secteurs des ICC (où est-on leader, où est-on émergent ?) ainsi que les possibilités de développement scientifiques.
Pour ce faire, au sein d’ICCARE, et de manière très concrète, plusieurs dispositifs ont été conçus pour faciliter ce lien. Nous sommes tout d’abord en train de construire une plateforme de rencontre (ICCARE-Meet) qui doit permettre, en quelques clics, de favoriser les synergies non seulement entre chercheurs mais aussi entre acteurs de la recherche et acteurs culturels et créatifs. L’apprivoisement des chercheurs et acteurs des ICC à leurs cultures réciproques se fera surtout au moyen d’un volet d’animation extrêmement soutenu (une cinquantaine de journées par an). Enfin, la gouvernance du programme travaille pleinement ce lien, en intégrant dans les différents comités (qu’ils soient scientifique, de pilotage ou au niveau des parties prenantes) des acteurs du monde de la recherche et des acteurs culturels et créatifs.
Quels axes seront particulièrement développés au sein du programme national de recherche Industries culturelles et créatives ?
David Coeurjolly : Durant la période d’élaboration du programme, un important travail princeps de cartographie a été réalisé, qui a permis de jeter les bases d’une « équipe de France » composée de chercheurs et d’enseignants-chercheurs (en sciences humaines et sociales et en sciences informatiques) répondant aux objectifs fixés dans la stratégie nationale d’accélération. Il s’agit à présent, pendant les six ans du projet, de consolider cette équipe, de l’animer de manière très intense et de la faire dialoguer avec les acteurs culturels et créatifs à toutes les étapes du processus de recherche. Ce dialogue sera de trois ordres :
- Un dialogue au sein de l’ICCARE-LAB, qui a pour objectif de développer des approches intégrées et systémiques autour des enjeux propres à chacun des grands secteurs ICC tout en faisant dialoguer l’ensemble de la filière ICC. Il s’agira également d’animer les communautés de recherche et professionnelles, de structurer et de coordonner les activités de recherche, d’assurer une mission de veille et de préparer l’avenir.
- Un dialogue autour de six projets thématiques (« projets ciblés ») qui viendront irriguer le programme par une approche transversale et interdisciplinaire tout en s’articulant étroitement avec l’ICCARE-LAB. Ces projets concernent la création à l’heure de la transition numérique et de l’intelligence artificielle (HARMONIE), les publics (THEMIS), les crises (EUPRAXIE), les alternatives culturelles et créatives (DEDALE), les univers métaversiques (STYX et COMET).
- Un appel à manifestation d’intérêt, lancé à l’automne 2024, dont l’objectif sera d’aborder de nouvelles questions non couvertes encore par le programme, ou de les aborder différemment.
Quelles sont les prochaines grandes étapes prévues, après le lancement du 19 juin ?
Solveig Serre : L’ensemble des dispositifs d’ICCARE (plateforme de rencontre, animation) va pouvoir commencer à fonctionner dès l’automne, avec un effort qui sera, de notre côté, porté plus particulièrement sur l’organisation de l’appel à manifestation d’intérêt.