Vers des organes sur puce au chevet des patients
Le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire MED-OOC – piloté par le CNRS, le CEA et l’Inserm – va promouvoir une nouvelle génération d'organes et d’organoïdes sur puce basée sur des cellules dérivées de patients dans une perspective de médecine personnalisée. Il est financé à hauteur de 48 millions d’euros sur une durée de six ans. Entretien avec Anne-Marie Gué, directrice du PEPR pour le CNRS.
Pouvez-vous nous présenter les enjeux en lien avec la médecine personnalisée qui sont à l’origine du PEPR MED-OOC que vous codirigez avec Xavier Gidrol (pour le CEA) et Jean Rosenbaum (pour l’Inserm) ?
Anne-Marie Gué1 : D’une part, nous observons que le taux de réussite global des essais cliniques de nouveaux médicaments dont l'efficacité a été démontrée chez l'animal n'est que d'environ 10 %. Cela signifie que les modèles animaux ne permettent pas de prédire suffisamment la toxicité et/ou l’efficacité de molécules pour l’humain. D’autre part, les systèmes modèles cellulaires 2D in vitro actuels ne permettent pas de bien reproduire les mécanismes physiologiques ou pathologiques qui se produisent dans notre corps. Ils ne permettent pas non plus de rendre compte de la variabilité entre les patients qui est une des questions centrales de la médecine personnalisée.
Toutefois, ces dernières années, nous avons vu émerger un nouveau type de modèles biologiques appelés organes et organoïdes sur puce, selon leur mode d’élaboration. Ces dispositifs miniaturisés contiennent des cultures cellulaires tridimensionnelles mimant les fonctions d’organes ou de tissus vivants dans un microenvironnement contrôlé. Ces systèmes peuvent reproduire un ou plusieurs aspects physiologiques ou pathologiques. Il est aussi possible de relier différents modèles d’organes entre eux pour étudier leurs interactions. En ce sens, il s’agit d’une innovation clé qui pourrait répondre à de nombreux défis de santé publique en reproduisant fidèlement les conditions in vivo dans des modèles humains in vitro.
Quels sont alors les objectifs de MED-OOC ?
A-M. G : Jusqu’à présent, les organes et organoïdes sur puce ont été réalisés essentiellement à partir de lignées cellulaires obtenues depuis une cellule originelle ou des cultures de cellules souches. Le PEPR MED-OOC2 souhaite les développer à partir de cellules de patients à des fins de médecine personnalisée. Ces modèles aideront alors à déterminer et à choisir le meilleur traitement possible pour un patient donné. Par exemple, en cancérologie, il faut souvent tester plusieurs approches thérapeutiques avant de trouver la bonne, car chaque cancer est particulier et chaque patient a ses particularités. À terme, l’enjeu sera de tester au préalable les différents traitements non plus sur le patient, mais sur des modèles dérivés de sa tumeur, par exemple afin que le traitement soit le plus efficace possible.
De plus, ces nouveaux dispositifs présenteront l’avantage de réduire le recours à l’expérimentation animale, ce qui est aussi une forte attente sociétale.
Quels seront les principaux axes de recherche du PEPR ?
A-M. G : Le programme se déploie sur l’ensemble de la chaîne de développement, du fondamental aux applications cliniques. Nous avons identifié trois axes de recherches primordiaux. Le premier visera au développement de ce que nous appelons des « jumeaux cliniques » de patients. Nous devons encore comprendre quels éléments fonctionnels doivent être implémentés a minima dans les organes et organoïdes sur puce pour représenter fidèlement la pathologie d’un patient.
L’objectif du deuxième axe sera de complexifier les dispositifs. Par exemple : en mimant la circulation sanguine ou en reconstituant les interactions entre plusieurs organes de façon à pouvoir cibler et valider des médicaments conventionnels, des immunothérapies et des biothérapies. Ces couplages sont essentiels afin de représenter au mieux les mécanismes physiologiques et pathologiques. Le dernier axe consistera à instrumenter ces modèles sur puce avec des capteurs afin de mesurer et de suivre en temps réel les fonctions mimées.
L’ensemble de ces recherches seront appliquées en priorité à trois pathologies avec un fort impact en santé publique : le cancer du sein, le diabète de type 2 et le syndrome métabolique (des dérèglements liés, par exemple, à une alimentation trop riche en sucres et graisse, l’insuffisance hépatique, l’obésité, etc.). À cet effet, nous concevrons et validerons des organes et organoïdes sur puce hébergeant des tumeurs dans le cas du cancer, des cellules pancréatiques pour le diabète et un couplage foie – tissu adipeux dans le dernier cas.
Comment le PEPR va transférer ces modèles depuis les laboratoires aux chevets des patients ?
A-M. G : Pour faire des organes sur puce à partir des cellules des patients ou d’explants (des prélèvements tumoraux), nous devons amener nos développements au plus près des cliniciens, dans les centres hospitaliers. En ce sens, nous allons initier un réseau national d’infrastructures spécifiquement dédiées à la mise en œuvre de ces nouveaux modèles. Nous démarrerons avec quatre hôpitaux français : l’Institut Curie à Paris, les Centres hospitaliers universitaires de Grenoble et Toulouse et l’hôpital Paul Brousse de l’AP-HP à Villejuif. Ces plateformes permettront de finaliser le développement de nos puces avec les cellules des patients puis de les utiliser en milieu hospitalier. On espère que tous les grands hôpitaux pourront, à terme, se doter de tels centres afin d’offrir à leurs patients la possibilité de bénéficier de ces technologies.
Quels verrous devront être levés pour mener à bien ce transfert vers la société ?
A-M. G : Le marché de la médecine personnalisée est en cours de développement. Des industriels devront s’emparer de nos technologies afin de fabriquer et de commercialiser les puces. Il y a donc toute une filière industrielle à créer avec des applications en médecine et en pharmacologie visées par le PEPR, mais on peut imaginer des utilisations dans l’agroalimentaire et la cosmétique. Les organoïdes et organes sur puce peuvent, par exemple, leur servir pour des tests d’allergies ou de tolérance.
L’industrialisation devra prendre en compte toutes les problématiques de normalisation, de standardisation et de certification associées. Pour travailler dans cette perspective et déboucher sur des produits approuvés le plus rapidement possible, nous avons prévu de créer un comité dans le PEPR MED-OOC afin de faire le lien avec les agences et autorités sanitaires qui délivrent les autorisations pour les nouvelles technologies en santé, mais également les industriels du domaine.
Ce travail s’inscrit aussi dans une volonté de souveraineté nationale. Il est impensable que les hôpitaux et les industriels français aient à faire appel à des fournisseurs étrangers pour approvisionner ces dispositifs stratégiques en santé, alors que nous avons toutes les capacités nécessaires en France pour être à la pointe de ces technologies d’avenir.
- 1Directrice de recherche CNRS au Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (CNRS / INSA Toulouse / Toulouse INP / Université Toulouse III Paul-Sabatier).
- 2Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et considérés comme prioritaires au niveau national ou européen.