Créer du lien entre le monde scolaire et la recherche

Institutionnel

L’Année de la physique débute à la rentrée 2023. Thierry Dauxois, directeur de l’Institut de physique du CNRS, revient sur ses objectifs et les principales actions prévues.

À quelle ambition répond l’Année de la physique ?
Thierry Dauxois. L’objectif principal est de renouveler le regard du citoyen sur la physique, en particulier de la jeune génération. La physique est souvent perçue comme une discipline complexe, difficile à comprendre, abstraite. Elle reste associée à des termes techniques et parfois à des souvenirs scolaires déplaisants. Bien qu’elle soit reconnue comme une discipline fondamentale essentielle pour comprendre le monde, des grands astres aux phénomènes naturels terrestres, son importance dans le quotidien et sa contribution aux enjeux sociétaux (énergie, climat, santé, etc.) demeurent méconnues du grand public : qui connaît toute la physique qui se cache dans nos téléphones portables ? Il y a donc une fascination mais qui laisse le grand public à une certaine distance de la discipline et des spécialistes. Nous souhaitons vraiment réduire cette distance.

L’Année de la physique s’adresse en priorité aux lycéennes et lycéens. Pourquoi ?
T. D. Pour relever les défis sociétaux actuels, nous avons besoin de sciences, spécifiquement de chercheurs et d’ingénieurs formés en physique, capables de comprendre les mécanismes, de faire des modélisations et de proposer des solutions nouvelles. Or, depuis la réforme du baccalauréat, la spécialité « physique » est moins choisie que ne l’était la voie S – un phénomène qui s’accentue d’année en année1 . C’est préoccupant : la population générale perd en connaissances de base sur la physique. Cela manquera aux générations futures.

Nous avons donc décidé de nous concentrer sur le milieu scolaire afin de montrer à ces jeunes, au moment des choix auxquels ils font face, que faire de la physique est une orientation professionnelle sensée. Cela permet de mieux comprendre, au-delà de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, l’infiniment complexe qui nous entoure, à notre échelle. Mais c’est aussi utile à la société : la physique fournit des clés pour comprendre les sujets qui interpellent, comme le changement climatique, les événements extrêmes, la diminution des ressources en énergie, la pollution plastique, etc. Et le taux d’emploi est excellent.

Notre attention se porte particulièrement sur la nécessité d’encourager plus de jeunes filles à se tourner vers cette discipline. La proportion de femmes dans les études scientifiques post-bac reste faible, comme les taux d’ingénieures et chercheuses en physique2 . Pourtant, la science a besoin de femmes. Depuis mon arrivée à la direction de l’Institut de physique, nous essayons d’inverser cette tendance mais cela prendra du temps et il faut commencer au niveau scolaire. L’Année permettra aux lycéennes de rencontrer des femmes scientifiques, de les interroger sur leurs parcours, de trouver des opportunités de stages.

physicienne manipulant une expérience complexe
L’Année de la physique permettra notamment aux lycéennes de rencontrer des femmes scientifiques et de les interroger sur leurs parcours. © MAX RELID

Pour répondre à ces enjeux, le CNRS a signé une convention avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (MENJ). Pouvez-vous nous en dire plus ?
T. D. Les enseignants et enseignantes des filières générales, techniques et professionnelles sont des relais efficaces pour atteindre les élèves, générant un effet multiplicateur important. L’Année vise à former le corps enseignant à la recherche actuelle en physique, pour renouveler l’illustration de leurs cours et l’attrait des jeunes pour la discipline. À l’image des précédentes Années organisées par le CNRS et le MENJ, les quatre instituts qui portent l’Année de physique3 vont donc déployer, avec les délégations régionales du CNRS, des formations dans trente-cinq villes à travers le pays, avec des conférences mais aussi des ateliers et des visites de laboratoires et plateformes scientifiques. L’objectif est de dévoiler la réalité d’un laboratoire de physique et le travail collectif qui s’y déroule, de donner à voir la recherche en marche et des expériences de pointe. Nous apporterons aussi des clés de médiation en physique aux chercheurs et enseignants-chercheurs, femmes et hommes, qui assureront ces formations.

Le CNRS a donc proposé au MENJ de signer une convention pour intégrer nos actions dans le programme national officiel de formation du ministère. Le doyen de l’Inspection générale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, membre du comité de pilotage de l’Année, et son équipe nous ont aidés à sélectionner des thématiques appropriées. Des référents « Année de la physique » ont aussi été nommés dans chaque académie pour coordonner les actions. Le monde de l’Éducation nationale sera largement représenté lors de la journée de lancement, le 3 octobre – jour de l’annonce du prix Nobel de physique – à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. Cet événement accueillera des scientifiques renommés, tels que Alain Aspect, lauréat du prix Nobel en 2022, ou la climatologue Valérie Masson-Delmotte. Nous espérons que ce partenariat concret engagé pour l’Année entre recherche et enseignement en physique se prolongera au-delà de 2024 car il est essentiel.

Vos actions présentent aussi la diversité des métiers de la physique. C’était important pour vous ?
T. D. Tout à fait. Nous tenons à démontrer aux lycéens et lycéennes que la physique n’est pas réservée aux chercheurs : elle implique aussi des ingénieurs et des techniciens, hommes et femmes. Un laboratoire regroupe des compétences diverses travaillant en équipe qui sont importantes et complémentaires. Par exemple, en nous inspirant de l’Institut de chimie, nous mettons en place une opération « grand oral » destinée aux élèves de 1re et terminale de toutes les filières préparant cette épreuve du baccalauréat. Cette opération s’appuie sur les livres Étonnants infinis et Étonnante physique publiés par CNRS Éditions. Le second, qui paraîtra le 26 octobre, rassemble des textes de 70 médaillés du CNRS issus des quatre instituts concernés, couvrant des thématiques variées de la physique actuelle. Il sera notamment question de bulles de savon, de nanomédecine, de matière noire, de télescopes, de matériaux biosourcés, de volcans ou encore du monde quantique. Ces auteurs et autrices sont répartis sur tout le territoire et dans tous les métiers de la recherche, et l’ouvrage respecte la parité.

Concrètement, les élèves prépareront un exposé sur le modèle du grand oral à partir d’articles extraits de ces livres. Au premier semestre 2024, lors d’une journée de restitution dans leur lycée, ces élèves présenteront leur travail devant les auteurs et leurs équipes, notamment des doctorants et doctorantes, avant une table ronde sur les métiers de la physique. Nous souhaitons ainsi créer du lien entre ces élèves et le monde de la recherche, et ouvrir leurs perspectives d’orientation professionnelle. Cela aura lieu dans de nombreuses académies, avec la volonté d’aller vers les zones rurales et défavorisées.

Autre exemple : l’INP prépare une bande dessinée qui mettra en lumière différents métiers en physique, sans exhaustivité, par douze portraits de membres de nos laboratoires – six femmes et six hommes – de la main de l’illustratrice Hélène Bléhaut. Cette BD, à paraître début 2024, soulignera la diversité de ces personnes et de leur travail. Nous souhaitons qu’elle aide les jeunes à s’envisager à leur place, à se projeter dans une carrière au sein d’un laboratoire de physique.

BD
Extrait de la bande dessinée, à paraître début 2024, qui mettra en lumière différents métiers en physique. © Hélène Bléhaut

Le grand public est-il aussi la cible de cette Année de la physique ?
T. D. Bien sûr. Même sans ambition de carrière en physique, acquérir une culture scientifique est important pour prendre des décisions éclairées en tant que citoyen, notamment face à la prolifération des fake news. L’Année vise donc à sensibiliser le grand public à la démarche scientifique et à promouvoir l’esprit critique. Le livre Étonnante physique sera par exemple disponible en librairie. Nous encourageons aussi les laboratoires et leurs membres à mettre en œuvre leurs propres actions – conférences, expositions, spectacles, rencontres, productions multimédia, etc. – envers les scolaires mais aussi le grand public. Enfin, la Fête de la science à l’automne 2023 sera un autre moment fort de l’Année de la physique.

Pourquoi avoir voulu organiser cette Année en lien avec les partenaires du CNRS ?
T. D.  L’Année de la physique est portée par le CNRS – via quatre instituts et les délégations régionales –, le CEA, France Universités, la Société française de physique et le MENJ. Mais elle rassemble de nombreux partenaires institutionnels (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Académie des sciences), des sociétés savantes françaises et autres associations.

J’ai tenu à cette approche partenariale afin de faire de cette Année un élément fédérateur pour notre communauté de physiciennes et de physiciens. Il est parfois plus facile d’avancer tout seul, mais on va moins loin et les enjeux ici sont d’importance pour les physiciennes et les physiciens, mais aussi pour la société en général. Nos actions impliquent donc des scientifiques issus de l’ensemble des catégories de personnels de tous ces partenaires, qui organisent également leurs propres actions. Celles-ci seront mises en valeur sur le site web de l’Année de la physique, qui regroupera aussi des ressources accessibles à tous et toutes.

  • 1En 2019, 51,5 % des candidats et candidates au baccalauréat de la filière générale concouraient en filière S. En 2020, 33,7 % des élèves de la filière générale ont gardé la spécialité « physique » en terminale – un taux qui descend à 31,3 % en 2021 et 30,1 % en 2022. Source : Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du MENJ.
  • 234,6 % des filles et 52,1 % des garçons choisissent la spécialité « physique-chimie » en classe de 1re. 31,3 % des filles poursuivent des études universitaires en sciences fondamentales et appliquées. Les femmes représentent 29,7 % des étudiants en classes préparatoires scientifiques et 28 % des étudiants en écoles d’ingénieurs (toutes filières). Les femmes ne représentent que 20 % des personnels chercheurs de l’INP.
  • 3Institut de physique (INP), Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), Institut national des sciences de l’Univers (Insu) et Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis).