Le CNRS intensifie sa coopération scientifique avec les pays africains : vers un partenariat d'avenir basé sur une stratégie coconstruite et durable
La dernière campagne d'appels à projets CNRS-Afrique, lancé dans le cadre du plan pluriannuel de coopérations avec le continent, a vu la sélection de projets innovants et avec une haute valeur ajoutée pour les sociétés en Afrique et en Europe. Retour sur ces initiatives qui englobent une large variété de domaines de recherche, de l'urbanisme à la géologie, et démontrent l'importance de la coconstruction des connaissances pour le futur de la recherche.
Ces dernières années ont marqué un tournant dans le renforcement des coopérations entre le CNRS et ses partenaires du continent africain. Trois appels à projets, dans le cadre du plan pluriannuel de coopérations avec l’Afrique, parachèvent l’élaboration d’une stratégie coconstruite et durable implémentée depuis 2019. Après les dispositifs de soutien des collaborations avec l’Afrique subsaharienne (DSCA) lancés en 2021 et 2022, la campagne d’appels à projets CNRS-Afrique 2023, regroupant trois nouveaux dispositifs innovants de coopération, a dévoilé ses lauréats. Sur 155 projets déposés, 32 ont été sélectionnés respectivement sous la forme de Joint Research Programs (12), Residential Research Schools ou écoles thématiques (10) et Visiting Fellowships (10). Ils associent un porteur ou une porteuse au sein d’un laboratoire du CNRS et un porteur ou une porteuse au sein d’une institution académique africaine. Une vingtaine de pays du continent africain sont représentés ainsi que toutes les disciplines scientifiques du CNRS. Outre l’excellence scientifique des dossiers évalués par les Instituts du CNRS, un comité de sélection multi-acteurs1 a veillé à un équilibre entre régions de collaboration et thématiques pour le choix des projets à financer dès cette première vague de financement en 2023.
« Ces appels à projets visent non seulement à renforcer la coopération scientifique bilatérale, mais également à soutenir la jeune génération de chercheurs et chercheuses africains. Le CNRS a bien conscience de l'importance de leur rôle dans le futur de la recherche africaine mais aussi mondiale », souligne Christelle Roy, directrice de la Direction Europe et International du CNRS. La stratégie du CNRS avec l'Afrique a pour fondement la coconstruction, mettant l'accent sur le partage mutuel de connaissances et de compétences. L'objectif est de développer des réseaux de chercheurs et de chercheuses engagé(e)s dans une dynamique commune, qui serviront de passerelle entre cultures, disciplines et continents.
Urbanisme et coopération en Afrique du Sud et Angola
Initiative clé, le dispositif Visiting Fellowship finance la mobilité et facilite la mise en relation entre deux chercheurs, offrant du temps pour la recherche en commun et un accès à des infrastructures en France et sur le continent africain à deux scientifiques partenaires, l’un issu d’un laboratoire du CNRS et l’autre d’une institution académique africaine. Cette année, l’appel a récompensé 10 projets couvrant une grande partie des domaines de la connaissance, à l’image par exemple de travaux de recherche portant sur la compréhension de la dynamique de dislocations dans le fer au Niger et l’analyse des aléas météorologiques au Burkina Faso.
Parmi les exemples d’initiatives sélectionnées : le partenariat entre les chercheuses Chloé Buire du laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM)2 et Sylvia Croese de l'University of the Witwatersrand (Afrique du Sud), lauréates d’un Visiting Fellowship. Leur projet se penche sur la question de la construction urbaine en Afrique, en se basant sur leurs expériences respectives en Afrique du Sud et en Angola. Leur objectif est « d'apporter une vision dynamique et critique de la construction des villes africaines, en interrogeant les enjeux politiques du pouvoir local et les enjeux éthiques de la co-production des savoirs », explique Chloé Buire. En travaillant avec les habitants des villes, les maires et d'autres acteurs locaux, elles espèrent contribuer à la littérature sur les villes africaines et questionner les modèles top-down souvent imposés.
« La bourse Visiting Fellowship est l’occasion pour nous deux de formaliser tout le travail que nous avons mené en parallèle l’une de l’autre sur la question de la fabrique urbaine en Afrique depuis plusieurs années », rapporte Sylvia Croese qui sera notamment accueillie au sein du LAM et donnera des cours à Sciences Po Bordeaux en novembre dans le cadre du projet. « C’est l’opportunité de partager mon travail et de mener des discussions sur les collaborations entre chercheurs et sur les collaborations sur le terrain. Ce seront pour moi des moments de réflexion », ajoute-elle. Mais c’est aussi l’occasion pour les deux chercheuses de « donner en retour » alors qu’elles prévoient une mission de terrain en Angola pour mentorer des collègues et des étudiants. Par la suite, les deux chercheuses ont pour ambition d’organiser une conférence internationale en 2025 réunissant collègues et communautés du monde entier.
Coopération renforcée en sciences de l’Univers
De leur côté, les Residential Research Schools, ou écoles thématiques, ont pour ambition de faciliter le transfert de connaissances en combinant des cours allant des concepts de base aux résultats de recherche les plus avancés, ainsi que la maîtrise des outils et de la méthodologie de recherche dans les thématiques concernées. Elles permettent ainsi une formation de plusieurs semaines et sont un outil précieux pour renforcer la coopération scientifique. Sur les projets retenus, les thématiques vont du recyclage de ressources au Ghana, à l’électrochimie au Bénin ou encore à l’étude de matériaux nanostructurés fonctionnels au Maroc.
Le projet ‘TanzaShule’ porté par Stéphanie Gautier-Raux du laboratoire Géosciences Montpellier3 et Remigius Lucius Gama de l’Université de Dar Es Salaam (Tanzanie) sur l'évaluation et la gestion des aléas géologiques dans le nord de la Tanzanie, fait partie des projets de Residential Research Schools retenus en 2023. Ce projet est le fruit d'une collaboration entre le CNRS et les universités de Dar Es Salaam et de Dodoma ainsi que le Geological Survey of Tanzania.
Depuis 2013, les deux chercheurs travaillent pour étudier le Rift Est Africain dans le Nord de la Tanzanie, où cette structure tectonique majeure est dans son stade le plus précoce. La présence de volcans et de séismes témoigne de l’activité géologique de cette région et crée des aléas naturels. Cette école thématique a pour objectif d'offrir aux étudiants une formation complète sur ces aléas géologiques, en combinant la théorie et la pratique sur le terrain. Les intervenants sont des spécialistes tanzaniens et français en tectonique, volcanologie, géophysique et géographie. « L'idée principale de notre approche est d’apporter les compétences théoriques et pratiques pour une meilleure compréhension et évaluation de ces aléas. En plus des cours-conférences, cette école comporte une composante de formation aux instruments et méthodes de mesures, jusqu’au traitement informatique des données enregistrées. Cette approche intégrée est nécessaire pour une estimation quantitative des aléas volcaniques et sismiques. Notre objectif est de fournir aux participants les outils qui vont leur permettre de cartographier et de quantifier ces aléas. Ces documents sont des éléments importants à transmettre et à discuter avec les acteurs socio-économiques locaux, afin qu'ils puissent améliorer la prévention et la gestion des risques naturels dans cette région », explique Stéphanie Gautier. Entre dix et quinze étudiants seront accueillis à l’occasion de cette école thématique dont 75 % tanzaniens. « Nous aimerions pérenniser cette école pour la faire tous les deux ou trois ans et l’ouvrir à d’autres pays d’Afrique voisins comme l’Ouganda ou le Kenya, des pays également concernés par la thématique ». Cette initiative pourra s’appuyer sur le GDR Rift, un groupement de recherche inter-instituts du CNRS, pour qui la formation et les interactions avec et entre les pays du Grand Rift Africain est une priorité.
Menaces sur les ressources en eau souterraine en Côte d’Ivoire
Parmi les dispositifs nouvellement créés de coopération avec les partenaires du continent africain dans le cadre de cet appel, le Joint Research Program (JRP) a pour objectif d’encourager la recherche et la formation en renforçant des activités de collaboration existantes entre binômes de chercheurs, respectivement du côté du CNRS et d’une institution partenaire en Afrique. Cet outil comprend des financements pour l'organisation de colloques internationaux et des mobilités pour les scientifiques parties au projet, ainsi qu’une bourse doctorale de trois ans. Des équipes du Maroc, du Sénégal, du Gabon, du Kenya, de Namibie, du Botswana, de la Côte d’Ivoire et du Nigeria font partie des lauréates de ce programme, menant des recherches sur des sujets aussi variés que l'intelligence artificielle pour le développement en terre crue, les théories mathématiques, l'élaboration de céramiques et de terres poreuses, les ressources en eaux souterraines et la résistance aux antibiotiques.
C’est pour faire face aux défis complexes et croissants liés à l'approvisionnement en eau potable de La Côte d’Ivoire que le projet DREEMES-CI (Dynamique de Recharge et Menaces sur les Ressources en Eau Souterraine en Côte d’Ivoire) a vu le jour. « La croissance démographique, le changement climatique, la pression anthropique, et l'urbanisation accélérée, notamment à Abidjan, sa capitale économique, mettent sous pression ses ressources en eau, en particulier les eaux souterraines », rapporte Bernard Adiaffi, maître de conférences au Laboratoire des sciences du sol, de l’eau et des géomatériaux de l’Université Felix Houphouet-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire).
Collaborant ensemble depuis 25 ans, Christelle Marlin, professeur au laboratoire Geosciences Paris-Saclay et Bernard Adiaffi, tous deux porteurs du projet DREEMES-CI, ont uni leurs compétences pour étudier la recharge de la nappe d’eau souterraine sous Abidjan, la salinisation des aquifères côtiers et le transfert de contaminants de l’hydrosystème, dans un contexte de changement climatique et de pression démographique accrue. « L'équipe de recherche rassemble une dizaine de scientifiques spécialisés en géologie, géochimie, géomatique et hydrogéologie, et bénéficie d'un budget de 300 000 euros sur 4 ans, incluant le financement d’une thèse CNRS et une bourse de thèse côté ivoirien », rapporte Christelle Marlin. La collaboration se construit notamment autour de mobilités pour l’analyse des résultats et l’organisation d'ateliers thématiques. Par exemple, les étudiants ivoiriens se rendront à Orsay pour se former aux outils isotopiques, tandis que l'équipe française bénéficiera des apports de l'analyse multicritère pour identifier les zones à risques et vulnérables.
« Tous ces projets ont pour but d’approfondir et de nouer des relations qui pourraient structurer davantage ou donner naissance par la suite à des collaborations d’encore plus grande envergure », souligne Christelle Roy. Le CNRS confirme ainsi son rôle en tant qu'acteur majeur dans la promotion de l'excellence scientifique en Afrique. « Par le biais de nos différents appels à projets, le CNRS s’engage à construire un véritable partenariat d'avenir avec ses partenaires en Afrique, soutenant les chercheurs et les chercheuses dans leur démarche de coopération avec leurs homologues du continent, promouvant le partage de connaissances et développant des réseaux de collaboration. Ces initiatives soulignent l'ambition du CNRS de capitaliser sur les collaborations existantes entre les communautés de chercheurs pour coconstruire un partenariat durable et renforcer des liens déjà solides en recherche avec les partenaires du continent », conclut la Directrice Europe et International du CNRS.