Défi Transition énergétique : vers un « Giec de l’énergie »
Le séminaire « Transition énergétique et société », qui s’est tenu le 28 avril dernier au CNRS, a souligné l’importance des comportements humains pour faire face à ce défi majeur et la façon dont la recherche pouvait mieux y répondre.
« Cet hiver, nous avons évité la crise énergétique grâce à une mobilisation des populations, des entreprises et des collectivités qui a permis une baisse de 10 % des consommations d’énergie », indique Frédéric Wurtz, coordinateur du groupe Approche systémique de la Transition énergétique et coorganisateur du séminaire Transition énergétique et société. Un objectif que l’on ne pensait pas obtenir en deux ans a été donc été atteint en quelques semaines, sans aucune innovation technologique. « Cela prouve que la technique n’est pas l’unique levier vers la transition énergétique. Il faut également prendre en compte l’aspect des comportements. Cela représente des terrains d’investigations scientifiques dans le temps long. » Voilà un exemple des questionnements mis en avant lors du séminaire « Transition énergétique et société » qui avait lieu le 28 avril au siège du CNRS à Paris. Un séminaire organisé dans le cadre du défi Transition énergétique du Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023 du CNRS.
La transition énergétique, un dialogue entre SHS et science des systèmes
Parmi les six défis délimités par le COP du CNRS, celui sur la Transition énergétique nécessite des dialogues et des arbitrages pour trouver le bon équilibre entre la santé de notre planète et l’activité humaine. S’il s’appuie sur des recherches scientifiques et technologiques autour des systèmes énergétiques, une autre part s’étaye des recherches sur l’impact de ces technologies sur l’environnement et sur la société en termes de mode de vie, de comportements sociétal et économique.
Le défi Transition énergétique a notamment délimité trois ambitions majeures : la résilience, la flexibilité́ et la sobriété́ à intégrer dans ses prospectives technologiques et sociales. Dans ce cadre, le séminaire « Transition énergétique et société » s’est tenu le lendemain d’un colloque important organisé par la cellule Energie du CNRS1 – cellule sur laquelle s’appuie le défi. « C’est la première fois que l’on adosse un évènement scientifique à un colloque de la cellule Energie du CNRS. Nous souhaitions proposer une réflexion transversale sur la transition énergétique mélangeant sciences humaines et sociales et science des systèmes », rapporte Xavier Arnauld de Sartre, coordinateur du groupe de travail ‘Approche sociétale de la Transition énergétique’ du défi et co-organisateur du séminaire.
Structurer les débats
Suite à la création du défi Transition Énergétique et selon les conclusions de plusieurs groupes de travail, le verdict est sans appel : il existe un « réel manque de structuration ». « La recherche sur la transition énergétique n’est pas organisée au travers d’un objet structurant et pour cela nous restons très peu audibles », explique Frederic Wurtz.
Aujourd’hui celui qui semble structurer les débats est Réseau de transport d’électricité (RTE), le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. « RTE est l‘entité principale qui gère l’équilibre électrique en France – de la production au transport en passant par la distribution. C’est à eux qu’est revenu la prévision du mix énergétique de 2030 et 2050 et ce sont les scénarios de RTE qui structurent notre vision de l’énergie. Il est dommage que d’autres voix, non partie prenante du jeu d’acteurs énergétiques ne soient pas audibles », ajoute Xavier Arnauld de Sartre. Le colloque Energie est revenu sur les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) en lien avec la transition énergétique et copilotés par le CNRS2 . « Si beaucoup de PEPR sont en lien avec la transition énergétique, il n’en existe pas sur la transition énergétique. Nous pourrions donc à terme nous trouver face à des angles morts. » L’un des objectifs de cette journée était donc de mettre l’accent sur ces fragilités de la recherche sur la transition énergétique pour aller vers une structuration plus importante.
Transition énergétique & société
Le séminaire a mis en avant l’importance des comportements en termes de consommation d’énergie et donc de transition énergétique. Trois tables y étaient dédiées. « Nous avons choisi des thématiques d’actualité telles que le délestage et les back out, les communautés énergétiques et les approches sociotechniques pour la transition », explique Frédéric Wurtz. Chaque table ronde interrogeait les modes de consommation et les « mini-modèles de transition » avec par exemple, la peur des black-out de cet hiver qui a entrainé des phénomènes de sobriété inattendus, ou encore le phénomène des communautés énergétiques3 qui pose de nombreuses questions tant sur le plan économique, juridique ou sociologique, ou encore le terme de « sobriété » auparavant prônée par le monde de la décroissance et aujourd’hui adopté par l’État dans ses discours.
Un Giec de l’énergie ?
Le séminaire sera également l’un des outils de reflexion pour rédiger un rapport qui détaillera la future structuration de la recherche sur la transition énergétique. « Proposons-nous plutôt un groupement de recherche ? un groupement d’intérêt scientifique ? un observatoire ? Nous souhaitons entrer dans une logique de Giec de l’énergie4 avec une capacité à fédérer les chercheuses et les chercheurs de la transition énergétique le tout avec un regard interdisciplinaire », décrit Xavier Arnauld de Sartre Pour les co-porteurs du rapport il y a tout un travail de restitution mais également d’interaction à mener. « Est-ce que les scientifiques sont suffisamment présents pour éclairer le débat ? Il faut nous positionner. » Un futur séminaire en septembre sera l’occasion de poser cette question. « Nous demandons un Giec avec une commande politique un peu sur le modèle du Haut conseil pour le climat5 , mais avec une base scientifique plus forte. Voilà la forme la plus haute et la plus ambitieuse de notre structuration », affirme le chercheur.
- 1La cellule Energie a été créée en 2012. Elle est hébergée à l’Institut des Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes (INSIS) mais ses actions sont au service des 10 instituts du CNRS. Sa mission principale est d’animer des actions en vue de l’émergence d’une Stratégie scientifique du CNRS dans le domaine de l’énergie. Elle contribue ainsi fortement à la Stratégie Nationale de Recherche sur l’Energie (SNRE).
- 2Les PEPR Technologies avancées des systèmes énergétiques ; Ville durable et bâtiments intelligents ; Sous-sol bien commun ; DIADEME ; Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux recyclés.
- 3Coopératives énergétiques locales. Il en existe 170 en France.
- 4Référence au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
- 5Organisme indépendant chargé d'évaluer la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France.
Les six défis du COP
Le CNRS a inscrit dans son COP 2019-2023 six défis auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et que l’organisme souhaite éclairer de manière déterminante dans les prochaines années, via une mobilisation coordonnée de ses dix instituts. Des défis complexes qui ont été révélés ou sont portés par les sciences, comme le changement climatique et l’intelligence artificielle, ou qui peuvent être éclairés par celles-ci, comme la transition énergétique. Dans un dialogue inter-institut coordonné par la direction générale déléguée à la science, des groupes de travail dédiés ont identifié les actions et projets déjà menés au sein des laboratoires sur les six défis sociétaux sélectionnés.
Les six défis :
- Changement climatique
- Inégalités éducatives
- Intelligence artificielle
- Santé et environnement
- Territoires du futur
- Transition énergétique