« Entre le CNRS et la recherche brésilienne, une dynamique bien engagée »
Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, s’est rendu au Brésil du 5 au 8 mars accompagné d’une importante délégation comprenant plusieurs membres du comité de direction pour rencontrer les principaux partenaires de l’organisme et annoncer la création prochaine d’un Centre international de recherche avec l'Université de São Paolo.
La décision est donc prise. Un nouveau Centre international de recherche – le cinquième dans le monde1 pour le CNRS – verra le jour début 2024 entre l'organisme de recherche français et l’Université de São Paulo(USP), université la plus réputée du Brésil et la 2ème de toute l’Amérique latine.
« Nous avons – et depuis longtemps – de très riches et nombreuses collaborations avec la communauté scientifique brésilienne, et en particulier avec l’Université de São Paulo. », a souligné le président-directeur général du CNRS Antoine Petit, lors de la signature de la lettre d’intention avec le recteur de l’USP Carlos Gilberto Carlotti Júnior le 6 mars dernier. Cette cérémonie marquait la première étape d’une visite de trois jours par une délégation importante du CNRS2 , venue approfondir la coopération scientifique avec les institutions brésiliennes3 .
De nombreux hauts représentants de la recherche y ont assisté, comme Vahan Agopyan, secrétaire à la science, à la technologie et à l'innovation de l'État de São Paulo, Marco Antonio Zago, le président de la Fondation d'appui à la recherche de l'État de São Paulo (FAPESP), Fernando Menezes, le directeur administratif de cette même fondation, mais aussi le consul général de la France au Brésil accompagné de ses principaux conseillers scientifiques.
- 1Les 4 centres internationaux existants sont avec Imperial College London, University of Arizona, University of Tokyo, University of Chicago.
- 2Composée du délégué général à la science, de la directrice de la Direction Europe et internationale, du directeur de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions, de la directrice de la Direction des données ouvertes, du directeur du Bureau du CNRS à Rio, de directeurs adjoints scientifiques en mathématiques et en sciences humaines et sociales, d’une délégué scientifique de l’Institut des sciences biologiques ainsi qu’un directeur adjoint de la direction Europe et internationale et un responsable de pôle de la Direction de la communication.
- 3Le Brésil est le premier partenaire du CNRS en Amérique latine, avec un partenariat structuré autour de 12 International Research Projects, 12 Emerging Actions, et la participation à 8 International Research Networks. Il existe également un International Research Laboratory en mathématiques, situé à l’IMPA (Rio de Janeiro). Le CNRS dispose d’un Bureau au Brésil localisé à Rio de Janeiro depuis le 1er janvier 2010. Le directeur est actuellement Liviu Nicu (directeur de recherches au CNRS).
Visite de la délégation CNRS au Brésil en images.
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« Rapprocher la recherche brésilienne et française »
L’Université de São Paulo, qui compte plus de 99 000 étudiants et une dizaine de campus, fournit un quart de l’ensemble de la production académique brésilienne. Une production largement ouverte aux collaborations internationales car 45 % sont menées avec au moins un partenaire étranger. La France est le 4ème pays1 partenaire de l’USP et le CNRS est son premier co-publiant2 étranger devant les universités d’Harvard et du Michigan. Elle représente près de 50 % des dispositifs structurants de coopération du CNRS au Brésil3 .
« Notre partenariat avec le CNRS est bien établi dans le domaine des sciences humaines ou encore dans lesdomaines de l'énergie et de l'environnement. », explique Carlos Gilberto Carlotti Júnior. « Avec ce nouveau centre, nous nous appuierons sur des initiatives existantes et chercherons également à établir de nouvelles collaborations afin de disposer d'un centre interdisciplinaire et pluridisciplinaire, renforçant ainsi la recherche brésilienne et française. »
Christelle Roy, directrice de la Direction Europe de la recherche et coopération internationale du CNRS, rappelle que – comme avec Imperial College London ou l’Université de Tokyo – le centre international de recherche (IRC en anglais)4 est une « structure ombrelle » qui permet aux différentes actions communes, d’évoluer au fil du temps. « Dans cinq ans, par exemple, nous pourrions avoir une collaboration dans le domaine de l'informatique quantique que nous n’aurions pas initiée au départ. », renchérit Antoine Petit. Même si deux laboratoires internationaux de recherche5 sont déjà à l’étude – un en SHS, l’autre en immunologie – l’important est surtout de laisser le temps à la construction scientifique, qui se fera lors d’une série de workshops prévus d’ici la fin de l’année.
L’état de São Paulo, premier actionnaire de la recherche brésilienne
Autre rendez-vous clé : une réunion bilatérale avec Marco Antonio Zago, président de la Fondation d'appui à la recherche de l'État de São Paulo, premier organisme de financement brésilien. Cette structure, équivalente à l’Agence nationale de la recherche française, finance aussi bien des bourses et programmes d’échanges, que des projets de recherche fondamentale – comme l’installation de capteurs au cœur de l’Amazonie – et appliquée – sur l’économie bas carbone avec des partenaires industriels, par exemple.
« Au Brésil, la recherche scientifique est financée par un éventail de sources diverses et complémentaires. » explique Liviu Nicu, qui pilote le Bureau du CNRS à Rio de Janeiro et gère les affaires courantes de l’ensemble des actions partenariales avec l’Amérique du Sud. « Cela montre la nécessité de mobiliser des ressources de différentes natures pour répondre aux défis complexes auxquels est confrontée la société brésilienne. » Car entre inégalités sociales, santé, problématiques importantes liées à l’Amazonie, intelligence artificielle ou quantique, le pays de 211 millions d’habitants – qui investit en moyenne 1,21% de son PIB en recherche et développement6 – fait également face à des enjeux globaux.
Avec seulement 20 % de la population, l’État de Sao Paolo représente à lui seul 42 % des investissements en recherche et technologie du pays. « La raison est simple », explique Liviu Nicu. « Chacun des 27 états brésiliens doit dépenser 1 % de ses recettes fiscales7 en recherche et développement. L’État de São Paolo concentre le plus d’entreprises et représente, à lui seul, plus d’un tiers du PIB brésilien. » Le budget de la FAPESP représente, en 2023, près de 436 millions d’euros.
La FAPESP possède de nombreux accords avec la France8 et, depuis 2004, a lancé avec le CNRS 18 appels à propositions conjoints, qui ont donné lieu à 106 projets de collaboration. « Notre premier accord dated'il y a une vingtaine d'années et nous aimerions faire progresser cette collaboration. », explique Antoine Petit. La FAPESP a déjà confirmé qu’elle apportera son soutien au futur centre international avec l’Université de São Paulo, et d’autres projets sont envisagés, comme la création d’un vaste programme de recherche dans l’Atlantique Sud et en Antarctique associant l’État de São Paulo, l’Argentine et la France9 . « Il est aussi important de mieux soutenir les sciences humaines et sociales et la France pourrait avoir un rôle important à jouer. », souligne Marco Antonio Zago, qui souhaite combler un « manque d'interdisciplinarité » avec les autres projets scientifiques.
Des infrastructures de pointe
C’est aussi en visitant les infrastructures de recherche que les investissements brésiliens sont clairement visibles, comme celles liées à l'Institut Pasteur qui a ouvert en 2019 la plateforme scientifique Pasteur-USP (SPPU) sur le campus de l’USP, « lui permettant, ainsi qu’à ses partenaires, d’étudier les maladies infectieuses dans un pays qui est un hot-spot de la biodiversité mondiale », indique Marie-France Delauw, déléguée scientifique de l’Institut des sciences biologiques. Mais d’autres infrastructures sont tout aussi impressionnantes, comme celles sur le campus de la commune de Campinas, près de 100 km au nord de la ville de São Paulo, qui abrite le Centre national de recherche en énergie et matériaux (CNPEM). L’ensemble des laboratoires du centre possèdent des plateformes expérimentales de niveau mondial, comme l’unique synchrotron de l’Amérique latine (SIRIUS) – il existe dans le monde seulement deux autres synchrotrons de 4ème génération – inauguré en 2020. Ses 14 lignes de lumière – il est prévu d’en ouvrir au total 40 – permettent aujourd’hui de révéler avec une très haute précision la structure moléculaire, atomique et électronique de tous types d’échantillons, du solide au vivant. Il devrait d’ailleurs bientôt devenir l’unique synchrotron au monde capable d’intégrer un laboratoire P4 (pour « pathogène de classe 4 ») afin d’étudier des micro-organismes très pathogènes.
Autre « hot-spot » scientifique du pays, le Centre brésilien de recherche en physique (CBPF), à Rio de Janeiro– où a été inauguré un graffiti couvrant 240 mètres carrés d’un mur. Le centre abrite plusieurs plateformes expérimentales dont une salle blanche, des techniques de microscopie (dont un microscope électronique à transmission), ou de spectroscopie et de magnétométrie avancées. Le CNRS y collabore sur deux projets de recherches internationaux en biomatériaux10 , mis en valeur lors d’un workshop organisé par le directeur du CPBF Marcio Portes de Albuquerque en présence de nombreux chercheurs et chercheuses, ainsi que de Jerson Lima da Silva, président de la Fondation de soutien à la recherche de l’État de Rio (FAPERJ).
« Nous souhaitons continuer à populariser les mathématiques chez les jeunes »
C’est dans les hauteurs de Rio de Janeiro, aux abords de la forêt atlantique, que s’est achevée cette visite. L’Institut de mathématique pure et appliquée (IMPA), situé à Rio de Janeiro, est une institution leader en mathématiques au Brésil et parmi une des meilleures au monde (Arthur Avila, médaille Fields en 2014, y a fait son doctorat avant d’être recruté au CNRS en 2003). « Le CNRS y a créé son unique IRL dans le pays en 2005, le laboratoire international Jean-Christophe Yoccoz, afin de mieux accompagner les relations franco-brésiliennes en mathématiques. », explique Christophe Besse, directeur de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions du CNRS. « L’objectif est de permettre aux mathématiciens et mathématiciennes en poste en France, surtout les jeunes, de passer de longues périodes dans ce centre d’excellence des mathématiques. »
Marcelo Viana, directeur de l’IMPA, a rappelé deux enjeux actuels. « Nous souhaitons continuer à populariser les mathématiques chez les jeunes », grâce notamment à l’organisation des olympiades de mathématiques, qui permet de tester près d’un million d’élèves et de détecter très tôt les plus prometteurs et prometteuses dans la discipline. Le deuxième enjeu consiste à favoriser les liens entre recherche mathématique et monde industriel. Un défi soutenu par l’actuel maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes, qui compte créer d’ici la fin de l’année un centre de 10 000 m² dans la région portuaire de la ville réunissant des acteurs de la recherche et la formation (dont l’IMPA est le fer de lance) et de l’innovation (start-ups).
Les acteurs brésiliens de la recherche partagent donc de nombreuses idées et ambitions avec le CNRS : une volonté incontestée de financer la recherche fondamentale, mieux accompagner la société, un rapprochement avec le monde industriel et une ouverture vers l’international. « Sans oublier les questions de science ouverte, dans lesquelles le Brésil a été pionnier. », rappelle Sylvie Rousset, directrice des données ouvertes et de larecherche du CNRS qui se rend fréquemment dans le pays pour échanger sur les objectifs communs en la matière.
« Le Brésil investit beaucoup dans la recherche, il compte des infrastructures de premier rang mondial, il est donc naturel que le CNRS continue à y structurer des collaborations conséquentes, en particulier avec la première université du pays. », conclut Alain Schuhl, délégué à la science du CNRS, qui se réjouit d’accueillir les représentants de Säo Paolo en visite-retour à Paris le 29 mars pour poursuivre les échanges.
- 1Après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
- 22995 publications communes ont été effectuées entre le CNRS et l’USP entre 2017 et 2022 (soit 53 % des copublications France/USP).
- 3Soit 1 International Emerging Action (INSHS) et 5 International Research Projects (dont 3 INSHS, 1 INSB, 1 INSU).
- 4Un IRC est un nouveau dispositif institutionnel qui vise à instaurer un dialogue stratégique ambitieux entre le CNRS et son partenaire académique pour définir leurs intérêts communs et les collaborations leur permettant d’y répondre ensemble, sous la forme de laboratoires de recherche internationaux (IRL), de projets de recherche (IRP), de réseaux thématiques (IRN), ou d’autres dispositifs existants ou à développer.
- 5International Research Laboratory - Ces unités de recherche sous tutelle du CNRS et d’au moins un partenaire étranger, ainsi parfois que d’autres institutions de recherche françaises et étrangères, accueillent, en un lieu identifié et de manière significative et durable, des scientifiques travaillant ensemble sur des axes scientifiques définis.
- 6https://data.worldbank.org/indicator/GB.XPD.RSDV.GD.ZS?locations=BR
- 7Son budget correspond au transfert de 1 % des recettes prélevées sur la circulation des marchandises dans l’État.
- 8http://www.fapesp.br/agreements/france/
- 9Program for the South Atlantic Ocean and Antarctic (PROASA).
- 10IRP Biointerfaces, Biominerals, Biomaterials dirigé par Karine Anselme (IS2M Mulhouse) : 2021 – 2024, et IRP FEED_MM : Formation et évolution de biominéraux issus de matériaux biologiques minéralisés et biomimétiques : études multi-échelles et multi-techniques dirigé par Ovidiu Ersen (IPCM Strasbourg) : 2023 – 2027.