AFRAMED : un laboratoire à distance
Lancé le 31 août, l’International Research Network (IRN) AFRAMED permet à des scientifiques de laboratoires africains de piloter à distance un diffractomètre à rayons X localisé en France. Retour sur ce projet avec son porteur, Claude Lecomte.
Comment est né le projet AFRAMED (Appui à la Formation Doctorale et à la Recherche en Afrique par des Mesures à Distance) ?
Claude Lecomte1
: Au cours de ma carrière, j’ai eu l’opportunité d’enseigner à de nombreux étudiants originaires d’Afrique. Hélas, à chaque fois, le même constat s’imposait : une fois rentrés dans leur pays, ces étudiants ne pouvaient continuer leurs travaux de recherche puisque la quasi-totalité des universités sur le continent africain souffre d’un déficit en matériels et en crédits. Pour pallier à ces obstacles et soutenir mes collègues africains, nous avions mis en place, à l’occasion de l’année internationale de cristallographie en 2014, le projet Open Lab. Ce projet issu d’une collaboration entre l’Unesco2
et de l’Union internationale de cristallographie3
avait pour objet la formation à la cristallographie expérimentale des collègues des pays en voie de développement, en particulier en Afrique4
. Avec l’Open Lab, nous proposions une formation expérimentale sur 15 jours en apportant sur place un diffractomètre prêté et acheminé gratuitement par une entreprise. Nos collègues ont vu tout de suite l’intérêt d’avoir cet instrument et l’opportunité de le piloter ! Jusqu’en 2020, ce projet s’est tenu au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Afrique du nord et plus encore… Mais il s’est arrêté à cause du Covid-19. Il nous est alors venu l’idée du Remote Lab, c’est-à-dire du laboratoire à distance. J’ai alors approché le CNRS qui a tout de suite souhaité soutenir ce projet - qui s’inscrivait au sein de son Plan pluriannuel de coopération avec l’Afrique – en créant l’International Research Network (IRN5
) AFRAMED, qui a été officiellement lancé le 31 août.
Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne l’IRN AFRAMED et quels sont ses objectifs ? Comment va-t-il favoriser la transmission des connaissances ?
C. L. : Le principe du projet est simple. Quatre scientifiques, respectivement du Gabon, d’Égypte, du Cameroun et du Togo, sont actuellement en France pour une formation intensive à l’utilisation du diffractomètre de la Plateforme de mesures de diffraction et de de diffusion des rayons X du laboratoire Cristallographie, résonance magnétique et modélisation (CRM2)6
; cette formation est donnée par les responsables technique et scientifique de cette plateforme Emmanuel Wenger, El Eulmi Bendeif et moi-même. Seule difficulté pour ces formations : la manque d’homogénéité des connaissances des scientifiques formés qui peut ralentir l’apprentissage des connaissances. Mais en sélectionnant d’anciens participants d’Open Lab nous pourront contourner cette difficulté.
Les scientifiques formés, membres du réseau AFRAMED pourront par la suite se connecter par internet depuis leurs laboratoires à ce même diffractomètre et le piloter à distance grâce à des caméras installées tout autour de l’appareil. La seule action devant être réalisée par le personnel du laboratoire CRM2 sera de centrer le cristal sur l’appareil. Ensuite les scientifiques en Afrique prennent la main pour déterminer les paramètres de maille, mesurer les intensités diffractées et résoudre la structure de leur composé de manière totalement indépendante.
L’IRN va permettre de payer le stage de formation à trois scientifiques pendant 5 ans soit 15 scientifiques de 15 pays africains (l’année prochaine les scientifiques viendront du Congo Brazzaville, du Sénégal et de la Cote d’Ivoire), ainsi que les frais de fonctionnement du diffractomètre lorsque utilisé à distance. Chaque scientifique préalablement formé pourra utiliser l’instrument de l’ordre de 3 jours par an ce qui est suffisant pour analyser une dizaine de cristaux nouveaux et initier les étudiants aux mesures sur instruments scientifiques mi-lourds. L’idée est donc de permettre à nos collègues scientifiques dont le domaine de recherche dépend de la cristallographie – chimistes , physiciens, géologues ou encore biologistes – de réaliser depuis leurs pays des expériences de diffraction en ayant accès par internet à un diffractomètre français. Bien entendu, ces collègues pourront ensuite former leurs propres collègues et étudiants.
Cette mise à disposition des appareillages facilitera également les collaborations Afrique -CNRS pour l’élaboration de nouveaux matériaux naturels ou synthétiques pour applications industrielles et pharmaceutiques. Les liens avec le monde socio-économique constitueront des voies de recrutement potentiels au sein des entreprises.
A terme, le projet a vocation à s’étendre à d’autres laboratoires et d’autres appareils. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C.L. : Ce projet est très ambitieux et nécessitera à terme de très nombreuses heures d’utilisation des diffractomètres français d’où l’association future d’autres laboratoires du CNRS et d’universités (Toulouse, Bordeaux, Lille, Grenoble...).
Nous souhaitons aussi prolonger ce projet vers l’accès aux scientifiques partenaires à d’autres instruments mi-lourds, microscopes électroniques, l’imagerie par résonance magnétique qui sont des techniques de recherche importantes en physique, chimie, géologie, sciences des matériaux et biologie. Ce sont des instruments très chers qui peuvent valoir plusieurs millions d’euros, donc inabordables en Afrique. Pour cela, il nous faudra encore plus de financements et nous travaillons sur un partenariat avec l’Unesco, avec d’autres laboratoires du CNRS et l’entreprise Bruker7 . Cela nous permettra également de multiplier les coopérations avec nos partenaires en Afrique et ainsi former encore plus de scientifiques.
De plus, le concept du Remote Lab intéresse beaucoup : l’Unesco souhaite étendre le projet aux pays d’Amérique du Sud et d’Asie. Nous sommes actuellement en train de finaliser le contrat. Et plusieurs collègues en Afrique et Amérique Latine ont déjà pris contact avec nous pour organiser des Open Lab et Remote Lab pour leurs scientifiques.
- 1Claude Lecomte est professeur émérite de cristallographie à l'Université de Lorraine. Il a été le directeur du Laboratoire Cristallographie, résonance magnétique et modélisation (CNRS/Université de Lorraine) qu’il a fondé en 1995.
- 2Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.
- 3L'Union internationale de cristallographie est une union scientifique internationale. Ses objectifs sont de promouvoir la coopération internationale en cristallographie et de contribuer à tous les aspects de la cristallographie, de promouvoir la publication internationale de la recherche cristallographique, de faciliter la normalisation des méthodes, des unités, des nomenclatures et des symboles, et de former un centre d'intérêt pour les relations de la cristallographie avec d’autres sciences.
- 4Le projet Open Lab a eu lieu en Afrique, en Amérique latine et en Asie.
- 5Ces outils structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche.
- 6CNRS/Université de Lorraine.
- 7Fabricant d'instruments scientifiques pour la recherche académique , industrielle , ainsi que pour l'analyse industrielle.