Une université d’été pour la Grande muraille verte du Sahel
L’Observatoire hommes-milieux international rassemble traditionnellement chaque année des chercheurs de tous horizons pour une université d’été à Widou Thiengoly, au Sénégal. Cette opportunité pour les experts d’échanger sur la lutte contre la désertification et les effets du changement climatique s’est tenue, pour la deuxième année de suite pour cause de covid, à Poitiers.
Sur près de 8000 kilomètres et onze pays différents, la Grande muraille verte protège de la désertification et de l’épuisement des ressources au Sahel. Cet ambitieux programme de reboisement, démarré il y a quinze ans, fait l’objet de suivis scientifiques, notamment de la part de l’Observatoire hommes-milieux international Téssékéré1 qui assure des missions de formation et de recherche sur des thématiques comme l’adaptation de la biodiversité, animale et végétale et au changement climatique, la santé des populations ou leur utilisation des plantes.
« Nous tenons chaque année une université d’été en Afrique, mais, depuis l’an dernier, nous l’organisons à Poitiers à cause du covid, précise Gilles Boëtsch, directeur de recherche émérite au CNRS et directeur de l’OHMI. Cet évènement nous permet de faire le point sur de nombreuses questions liées à la Grande muraille verte : biodiversité, agriculture, l’accès à l’eau et à l’hygiène… » L’université d’été de l’OHMI s’est ainsi déroulée à Poitiers du 4 ou 8 juillet, avec le soutien de l’Institut Balanitès (Poitiers), de l’ENSI Poitiers2 , de l’université de Poitiers, du CNRS, de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, de l’Espace Mendès France et du CHU de Poitiers.
Une belle occasion pour les chercheurs de l’OHMI de présenter leurs travaux et d’inviter d’autres acteurs et experts de la lutte contre les effets du changement climatique et de la désertification. « L’OHMI est un véritable laboratoire à ciel ouvert où se rencontrent des chercheurs du Nord et du Sud, se réjouit Aliou Guissé, professeur à l’UCAD et co-directeur de l’OHMi. Mais notre recherche ne doit pas rester dans les tiroirs, nous avons donc avant tout organisé cette université d’été pour partager nos résultats. »
Cette question est d’autant plus importante que l’OHMI insiste sur la diffusion de ses travaux et sur l’implication des populations locales. « Nous avons ainsi mené une enquête pour savoir quelles espèces végétales elles préféreraient voir planter autour des habitations et des hameaux, en fonction de leurs différents usages : alimentaire, médicinal, cosmétique, etc. », poursuit Aliou Guissé.
Les chercheurs ont alors identifié sept espèces à favoriser afin que la muraille verte, en plus des bienfaits du reboisement en tant que tel, bénéficie au maximum aux personnes concernées. On y retrouve par exemple des balanites, des arbres dont les fruits fournissent une huile riche en nutriments, ou des Boscia senegalensis, arbustes eux aussi très utiles pour l’alimentation. Les nombreuses interventions d’experts pendant l’université d’été ont bien mis en avant ce souci de ne jamais être hors-sol ni de perdre des yeux les populations locales.
« L’OHMI nous permet de nous déployer en zone rurale et d’observer directement les impacts sur la santé des modifications de l’environnement, explique Lamine Gueye, professeur de médecine à l’UCAD et directeur du laboratoire international Environnement santé société (IRL ESS)3 . En Afrique, les efforts se sont longtemps concentrés sur les maladies infectieuses. Or nous nous sommes rendu compte que, en ville comme à la campagne, les pathologies des sociétés modernes sont de plus en plus présentes, notamment sous la forme de maladies chroniques non transmissibles comme l’hypertension, l’obésité ou le diabète. »
Un système d’enquêtes sur le terrain permet, depuis 2008, de faire remonter certains de ces changements aux chercheurs. « Alors que nous nous attendions à une faible présence de l’hypertension artérielle à la campagne, où 50 % de la population a moins de vingt ans et est a priori moins impactée par les styles de vie occidentaux, elle est 4 % plus prévalente dans ces populations peules qu’à Dakar, détaille Priscilla Duboz, ingénieure de recherche CNRS à l’IRL EES et directrice adjointe de l’OHMI. Face à cette surprise, l’OHMI nous a permis de trouver l’appui de différentes disciplines. »
L’impact de la pollution de l’air, causée ici par des poussières issues du Sahara et du Sahel, a ainsi pu être vérifié, puis les chercheurs ont identifié une piste plus probante avec la découverte d’un taux de sel élevé dans certains forages profonds, seules sources d’eau potable pendant neuf mois de l’année. Des études sont également en cours afin de regarder l’effet de critères génétiques et physiologiques.
Tout cela n’aurait pas été possible sans la vocation pluridisciplinaire et transdisciplinaire de l’OHMI, qui donne aux chercheurs les moyens de trouver les expertises qui pourraient leur manquer. L’université d’été se tient sur une ligne similaire, et a même invité des intervenants qui ne travaillent pas sur le Sahel. Serge Morand, directeur de recherche CNRS détaché au CIRAD4 , est ainsi venu présenter l’observatoire social-écologique biodiversité et santé de Saenthong, en Thaïlande.
« Ce projet est issu de dix années de collaboration et de recherche sur la santé communautaire, celle des animaux domestiques et sauvages, l’impact du changement d’usage des terres… détaille Serge Morand. En cela, nous partageons de nombreux thèmes avec l’OHMI. Il faut promouvoir ces échanges d’expérience et de résultats dans des collaborations de recherche de très haut niveau en zones intertropicales. »
L’université d’été a également été l’occasion de réfléchir à un projet d’université ouverte panafricaine dédiée à la Grande Muraille verte, pour étendre le modèle de coopération scientifique qui fonctionne au Sénégal à des pays tels que le Burkina Faso, le Niger ou le Tchad. « De nombreuses organisations académiques, étatiques et des ONG gravitent autour de la Grande muraille verte, et nous cherchons un nouveau moyen de faire circuler les informations entre les différents points de recherche », précise Gilles Boëtsch.
Enfin, l’université d’été de l’OHMI, qui a accueilli Antoine Petit, PDG du CNRS, ou encore d’Agathe Euzen, directrice adjointe scientifique de l’Institut écologie et environnement du CNRS (INEE), a permis de discuter de coopération internationale entre l’Europe et l’Afrique. « L’IRL ESS et l’OHMI sont des contre-exemples de ce qui s’est longtemps fait, car les relations entre le CNRS et les universités africaines impliquées sont quotidiennes », insiste Priscilla Duboz.
« Le partenariat entre le CNRS et les différentes tutelles de l’IRL EES prouve qu’un cadre formel peut parfaitement contribuer au développement de la recherche et de l’enseignement, abonde Lamine Gueye. Nous avons ainsi formé sur place une trentaine de docteurs issus du Sénégal, du Mali et du Burkina Faso. Il est essentiel de donner des moyens et des compétences à l’Afrique afin qu’elle atteigne une masse critique de talents. »
- 1OHMI, CNRS/Université Cheikh Anta Diop de Dakar [UCAD]
- 2École Nationale Supérieure d'Ingénieurs de Poitiers
- 3Sous tutelle du CNRS, de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (USTTB, Mali), du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST, Burkina Faso), de l’UCAD et de l’Université Gaston Berger (UGB, Sénégal).
- 4Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.