Bernard Bigot, une vie au service de la science et de la recherche
Fervent promoteur de la chimie, Bernard Bigot a mené une carrière scientifique de premier plan marquée par son engagement dans la politique de la recherche. Il s’est éteint le 14 mai 2022 à l’âge de 72 ans. Le CNRS s’associe aux nombreux hommages rendus par la communauté et adresse ses plus sincères condoléances à ses proches. Le chimiste Alain Sevin revient sur le parcours de son collègue et ami de la première heure.
Né en janvier 1950 à Blois, élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud (promotion 1969), Bernard Bigot obtient son agrégation en physique à l’âge de 23 ans. Il enchaîne en 1979 avec un doctorat en chimie théorique avant de rejoindre l’ENS de Lyon, nouvellement créée, en 1985, comme professeur et directeur des études. À quelle occasion avez-vous rencontré Bernard Bigot ?
Alain Sevin :1
Nous nous sommes croisés vers la fin des années 70 alors qu’il préparait sa thèse, dans l’équipe de Lionel Salem à l’Université d’Orsay. C’était le premier thésard du Laboratoire de chimie organique théorique2
tout juste créé par Alain Devaquet.3
Nous avons alors eu l’occasion de travailler ensemble, notamment sur l’étude théorique des processus de réactions chimiques.4
Sa thèse obtenue, Bernard Bigot nous a quitté assez rapidement pour rejoindre, effectivement, l’École normale supérieure de Lyon. Il hésitait à partir pour l’ENS ; je lui avais prédit qu’il finirait par en assurer la direction. La suite ne m’a pas contredit puisqu’après avoir occupé plusieurs fonctions dès sa création, il en est devenu le directeur, 15 ans plus tard, entre 2000 et 2003. Avant cela, en 1985, il menait de front ses fonctions à l’ENS et le développement d’un laboratoire et d’un groupe de chimie théorique du CNRS, l’Institut de recherche sur la catalyse, utilisant les méthodes de modélisation théoriques sur la catalyse les plus avancées de l’époque. Il en devient d’ailleurs le directeur de 1998 à 2002. Bernard Bigot est l’un des plus brillants chimistes que j’ai pu croiser au cours de ma carrière. C’est aussi, rapidement, devenu un ami.
Bernard Bigot est largement reconnu pour sa carrière scientifique mais pas que. Il avait deux casquettes : le savant et le politique. Qu’est ce qui l’a poussé à s’engager dans l’orientation de la recherche publique, dès 1993, auprès du Ministère de la recherche ?
A. S. : On l’a souvent présenté comme un grand commis de l’État. C’est vrai. Il a eu tout au long de sa vie la volonté de mettre ses compétences au service d’une mission qui le dépassait, le bien public. Il avait cette double casquette : rompu aux grandes affaires d’État, c’était aussi un grand directeur qui a su mener des travaux scientifiques de pointe. Il est également resté très proche d’Alain Devaquet. Fin connaisseur du monde de la recherche, Bernard Bigot rejoint la politique, d’abord comme Chef de la mission scientifique et technique puis comme directeur général de la Recherche et de la Technologie au Ministère chargé de la recherche entre 1993 et 1997. Il fut ensuite directeur adjoint chargé de la recherche jusqu’en 2000. Il entre, en 2002, dans le cabinet de Claudie Haigneré alors ministre déléguée à la Recherche et aux nouvelles technologies dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il n’a pour autant jamais délaissé la recherche du quotidien puisqu’il poursuivait ses activités à l’Institut de recherche sur la catalyse. À cette époque, j’étais moi aussi tout occupé par mes recherches au Laboratoire de chimie théorique, à Jussieu. Et quand nous nous rencontrions, nous étions bien heureux de ne pas parler lui de son travail, moi du mien. Mais la chose publique lui importait au plus haut niveau. C’est ce qui l’a mené, sans aucun doute, à être nommé Haut-commissaire à l’énergie atomique en 2003 puis Administrateur général du CEA en janvier 2009 jusqu’en 2015 : sous sa direction, à l’énergie atomique s’ajoutent les énergies alternatives.
Il avait aussi le souci de s’adresser à un plus large public et aux jeunes générations…
A. S. : Effectivement, il était très attaché à la communication et à la valorisation de la chimie au plus grand nombre. En plus de toutes ses activités, Bernard Bigot avait accepté, en 2006, de prendre les fonctions de Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie.5
Il a notamment assumé la gestion et développé des actions envers le grand public et les plus jeunes comme les colloques « Chimie et… ». Il avait par ailleurs présidé le dernier en date, « Chimie et Notre-Dame », en février dernier. Ce souci de la chose publique s’illustrait également par ses préoccupations autour de l’énergie future. Depuis 2015, à l'unanimité des pays participants, il avait pris la direction de l’ITER,6
une structure internationale dédiée à la construction du réacteur à fusion nucléaire expérimental, alors en difficulté. L’objectif de cette structure est d’apprivoiser, en milieu contrôlé, une source d’énergie similaire à celle opérant au cœur du Soleil et des étoiles. Peu polluante et quasiment inépuisable, la fusion nucléaire est considérée par certains comme l’énergie de demain. Bernard Bigot était un scientifique d’une grande rigueur, mais pas rigide, qui ne mesurait pas ses efforts ; il était parvenu à relever ce nouveau défi. Je dirai que c’était un homme d’exception, entièrement dévoué à sa tâche et acteur majeur de la recherche sur l’énergie, qui manquera à beaucoup.
- 1Directeur de recherche émérite, Alain Sevin était enseignant à l'École polytechnique et directeur du Laboratoire de chimie théorique à Paris.
- 2En 1996, le Laboratoire de chimie organique théorique se joint au laboratoire Dynamique des interactions moléculaires, laboratoire propre du CNRS rattaché à l’UFR de physique, pour constituer le Laboratoire de chimie théorique (LCT, CNRS/Sorbonne Université) actuel. Alain Sevin a dirigé ces deux laboratoires.
- 3Alain Devaquet (1942-2018), lui aussi ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé en chimie, s’engage dès 1979 en politique d’abord comme député puis comme ministre délégué de la Recherche et de l’Enseignement supérieur en 1986. Il sera également maire du 11e arrondissement de Paris.
- 4Ces calculs quantiques se faisaient au CIRCE, le Centre inter-régional de calcul électronique d’Orsay , fondé quelques années plus tôt par le CNRS, en 1969.
- 5Succédant à Pierre Potier, médaille d’or du CNRS en 1998 pour ses avancées dans la lutte contre le cancer.
- 6Pour International thermonuclear experimental reactor.