Au One Ocean Summit, la recherche a le vent en poupe

Institutionnel

Du 9 au 11 février 2022, la France a organisé à Brest le One Ocean Summit, premier sommet international consacré à la préservation de l’océan. Entre enjeux politiques et sociétaux, la recherche se mobilise pour apporter ses réponses.

Une respiration sur deux. Voici ce que représentent les enjeux liés à la protection de l’océan, à la fois producteur d'oxygène et régulateur du climat. Le One Ocean Summit—qui se tenait dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne et organisé avec le soutien des Nations Unies – avait bien pour objectif de relever le niveau d’ambition de la communauté internationale sur les sujets maritimes et traduire en actions la responsabilité partagée sur l’océan. L’évènement, qui se tenait à Brest du 9 au 11 février, a donné lieu à plus d’une trentaine d’ateliers, forums et rencontres, et rassemblé plus de 500 personnalités représentant de plus de 65 pays, et une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement. Plus de 100 000 auditeurs ont répondu présent en ligne.

Plusieurs initiatives importantes y étaient lancées. L’enjeu de ce sommet est, « par des actions concrètes, immédiates et efficaces, d’avancer sur les sujets de protection des écosystèmes océaniques, la préservation des ressources, la lutte contre la pollution en particulier plastique, la prise de conscience du rôle du milieu marin dans la lutte contre le changement climatique et l’amélioration de la prise en compte de l’océan dans les négociations environnementales internationales, » rappelle Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.  

CE
Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lors de la conférence de presse One Ocean Summit © MEAE

« Il n’y aura pas de planète en bonne santé, sans un océan en bonne santé »

L’Océan qui était resté pendant longtemps en marge des grands rendez-vous de l’agenda international et européen, profite actuellement d’une forte mobilisation, notamment insufflée par la Décennies des Nations-Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030). « Il n’y aura pas de planète en bonne santé, sans un océan en bonne santé », prévient Peter Thomson, envoyé spécial des Nations-Unies pour l’océan, rappelant le rendez-vous à venir de la Conférence de Lisbonne sur les océans, le 27 juin prochain dédiée à l’objectif de développement durable 141  des Nations-Unies, ‘Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable’. « Il n’y aura pas de Brest sans Lisbonne, et il n’y aura pas de Lisbonne sans Brest », déclare-t-il, soulignant la continuité des deux rendez-vous.

Pour la ministre de la Mer, Annick Girardin, ce sommet de Brest permet notamment d’aborder quatre défis autour de l’Océan : Édifier un cadre international protecteur pour les marins et les ressources marines ; Accélérer les efforts de verdissement du transport maritime ; Approfondir la connaissance des océans ; et Préserver le vivier d’emploi maritime.

« Il nous faut contribuer à l’investissement dans le domaine océanographique opérationnel qui est une application pratique de la science de plus en plus stratégique pour affronter les défis de l’océan », souligne Annick Girardin en mentionnant ce troisième défi et rappelant que l’océanographie était un « domaine représentatif de l’excellence française ».

« Nous ne connaissons quasiment rien de l’océan »

Pour la communauté scientifique, le One Océan Summit était l’occasion de mettre un coup de projecteur sur la recherche actuelle et les enjeux énormes autour de l’océan. « L’océan se réchauffe, s’acidifie et perd son oxygène. Nous ne savons pas jusqu’à quand il pourra jouer son rôle de régulateur du climat », prévient Françoise Gaill, conseillère scientifique Milieux marins et océaniques à l’Institut Écologie et Environnement (INEE) du CNRS. Pourtant l’océan rend de multiples services :  il atténue le réchauffement climatique, recycle la matière, fournit notre oxygène et est aussi un formidable espace de richesses. Mais, une exploitation se fait « sans se soucier des conséquences » alors que l’océan s’encombre de déchets plastiques et chimiques.

Pour Françoise Gaill le défi à relever par la communauté scientifique est la « gestion durable de l’océan » avec « le triptyque océan-climat-biodiversité. » Et pour protéger l’océan, il faut le connaitre donc l’explorer car « nous ne connaissons quasiment rien de l’océan, tant du point de vue de la circulation océanique, des espèces maritimes, de la cartographie des fonds marins, ou encore du comportement des océans. » Le sommet de Brest était l’occasion de mettre en avant la multitude d’initiatives scientifiques pour relever ces enjeux, allant d’un jumeau numérique de l’océan, au programme européen Copernicus de collecte de données sur l’état de la Terre, d’ADN environnemental, d’équité des savoirs, de culture océan ou encore de nouveaux modes de gouvernance.

OOS
Relevé des signatures sonores d’un récif corallien, lagon de Moorea 
© Yannick CHANCERELLE / CRIOBE / CNRS Photothèque

Un programme de recherche français sur l’océan à 40 millions

C’est dans cet environnement européen et international favorable – entre la mission Starfish de l’Union Européenne2  et la Décennies des Nations-Unies pour les sciences océaniques – que la France – qui dispose de forces de recherche puissantes sur l’océan (voir encadré) - a lancé un Programme prioritaire de recherche (PPR) Océan et Climat en juin 2021. Ce dernier, piloté par le CNRS et l’Ifremer, est doté d’un budget de 40 millions d’euros sur une durée de six ans et a été construit autour de sept défis3 , organisés autour de trois grandes priorités : la prévision de la réponse de l’océan au changement climatique et les scénarios d’adaptation ; l’exploitation durable de l’océan et la préservation de sa biodiversité et de ses services écosystémiques ; et la réduction de la pollution océanique. « Il existe de grandes coordinations face à certains enjeux internationaux par exemple en bio-géochimie ou en exploration des fonds marins, explique Catherine Jeandel, océanologue et co-pilote du PPR pour le CNRS. L’océan est un milieu si vaste et complexe qu’il force à collaborer et se coordonner au niveau mondial pour obtenir des résultats cohérents, et sortir de la ‘boite marine’ pour aborder les enjeux sous l'angle de plusieurs disciplines. Et c’est notamment là que le CNRS et ses 10 instituts se posent comme un élément de force »,

Depuis son lancement, 22 projets de consortium ont été déposés auprès de l’ANR. « Des résultats tangibles sont attendus à la fin de ce PPR, et il doit être transformant sur le plan scientifique mais aussi sociétal », indique Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. 

ff
Deux scientifiques baguent un albatros à sourcils noirs, "Thalassarche melanophris", de la colonie du Canyon des Sourcils Noirs à Kerguelen. 
© Déborah PARDO/CEBC/CNRS Photothèque
​​​​​

2 000 chercheurs CNRS en lien avec l’océan dans une cinquantaine de laboratoires
« Avec plus de 2 000 chercheurs en lien avec l’océan dans une cinquantaine de laboratoires, le CNRS se mobilise à tous les niveaux d’actions. Il existe une volonté des scientifiques de s’organiser pour aborder les défis auxquels sont confrontés les océans », rappelle Joachim Claudet, conseillé Océan auprès de la Direction générale délguée à la science du CNRS.

Le CNRS, fort d’une interdisciplinarité exceptionnelle en sciences de la mer, a intensifié sa mobilisation en lançant en avril 2021 le Groupement de Recherche (GdR)4  Océan et Mers (Omer), qui se veut un lieux de science fortement interdisciplinaire. 

Car la particularité du GdR Omer est son envergure et sa multi-disciplinarité, ainsi que la priorité de garder la science toujours au centre du débat et de co-construire avec l’ensemble des partenaires académiques et non académiques. « Le GdR OMER fonde un espace de réflexion souple et ouvert à l’ensemble de la communauté scientifique qui permettra d’amorcer le dialogue entre de multiples disciplines et de créer de nouvelles dynamiques de recherche », note Fabrizio D’Ortenzio, coordinateur du GdR Omer et chercheur en océanographie.

ff
Plongeur et rascasse volante, "Pterois volitans" dans le lagon de Nouvelle-Calédonie, océan Pacifique. 
© Erwan AMICE/IRD/CNRS Photothèque

Aujourd’hui ce GdR anime une communauté regroupant plus d’un millier de scientifiques. Car le CNRS est bien « l’un des tout premiers organismes de recherche sur les mers et l'océan au monde. C’est une richesse, d’autant plus que ce GdR regroupe des chercheurs et chercheuses des institutions partenaires du CNRS, établissement et organismes. Peu de pays ont autant de chercheurs travaillant sur le sujet, » indique Alain Schuhl.

Mais le GdR n’est pas le seul outil qui sera mis en place. Parmi les ambitions des scientifiques, la création d’Ocean Kan, un outil de co-conception et co-création des sciences océaniques pour le développement durable entre scientifiques et parties prenantes (voir encadré) ou encore un panel international de scientifiques appelé IPOC (International panel on ocean change) qui se poserait comme un Giec5  pour l’océan dans le cadre de la stratégie du développement durable. « Nous proposons une approche pour évaluer l’évolution du comportement de l’océan sous la pression des activités humaines, de disposer d’un outil de compréhension du comportement de l’océan, d’aide à la décision pour les acteurs de la mer, les décideurs et les États et, enfin une solution pour savoir quelles stratégies adoptées pour conserver un océan durable », informe Françoise Gaill.

  • 1Partie intégrante de l’ensemble de 17 objectifs de transformation inscrits dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté en 2015, l’objectif 14 souligne la nécessité de conserver et d’utiliser durablement les océans, les mers et les ressources marines de la planète.
  • 2Cette mission est l’une des cinq missions du prochain programme cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne, Horizon Europe (2021-2030), avec la lutte contre le cancer, l’adaptation au changement climatique, les villes « vertes » et le maintien de la santé des sols au bénéfice de l’alimentation de la nature et du climat.
  • 3Sept défis ont été délimités pour le PPR Océan etClimat : 1) Prévoir les impacts des phénomènes extrêmes liés au changement climatique en Outre-mer pour guider les politiques territoriales ; 2) Intensifier les recherches dans des océans polaires en pleine mutation et aux enjeux géostratégiques majeurs ; 3) Améliorer la protection et la résilience des milieux marins par le développement de nouvelles approches intégratives de gestion ; 4) Exploiter durablement les ressources de l’océan en s’appuyant sur la science de la durabilité ; 5) Caractériser l’exposome océanique pour protéger les écosystèmes marins ; 6) Développer des programmes d’observation et de modélisation innovants ; 7) Partager avec le grand public la découverte de l’Océan et les enjeux sociétaux associés de l’océan.
  • 4Un Groupement de recherche (GDR) est un instrument important de la politique scientifique du CNRS. Il a un financement et des missions propres. Il est créé pour une durée maximale de 5 ans et peut être renouvelé. Il existe actuellement 225 GDR au CNRS.
  • 5Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

Les forces océanographiques françaises

Avec ses 11 millions de km2 (dont 97 % situés en outre-mer), la France est présente dans la plupart des mers du globe1  et est le 2e État en termes de zone économique exclusive marine, juste derrière les États-Unis. Avec ses organismes de recherche et ses universités, il fait notamment partie des cinq premiers pays à produire des connaissances scientifiques sur la thématique. Parmi ses domaines d’excellence, les questions d’observation de l’Océan avec par exemple le programme international Argo2  dont elle est le premier contributeur européen et le 2ndmondial après les États-Unis, ou encore la biologie des grands fonds et la géochimie marine. De plus, la France opère au travers de l’Ifremer l’une des trois plus grandes flottes océanographiques européennes.

  • 1Atlantique, Manche, Mer du Nord, Méditerranée, Océan Pacifique, Océan Indien, Caraïbes, Antarctique.
  • 2Système global d’observation des océans (par flotteurs profilants autonomes) mis en place pour suivre, comprendre et prévoir le rôle de l’océan sur le climat de la planète. La France coordonne les réseaux européens du programme, Euro-Argo.

Ocean Kan, pour une science du terrain

Qu’est-ce que l’Ocean Knowledge-Action Network (Ocean Kan) qui sera présenté lors du One Ocean Summit ?

Linwood Pendleton1  : L’élément le plus important dans Ocean Knowledge-Action Network est le mot « réseau ». La Décennies des Nations-Unies pour les sciences océaniques souhaite faire évoluer la façon dont se fait la science de l’océan, en impliquant les parties prenantes et responsables politiques dès le début des recherches. C’est une requête difficile pour la communauté scientifique car elle doit trouver ces interlocuteurs et les motiver à collaborer. Ocean KAN peut commencer à répondre à ce défi en identifiant des personnes aux quatre coins de la planète qui ne travaillent pas encore ensemble pour les mettre en relation.

Ocean KAN, c’est aussi reconnaitre que beaucoup d’initiatives existent sur la thématique de l’océan aux niveaux international, européen et national. Il y a énormément de réunions, de programmes, et de personnes à qui parler. C’est fabuleux, mais un environnement qui peut être complexe à comprendre pour les scientifiques. Ocean KAN veut les aider à trouver les interlocuteurs qui leur correspondent. Pour cela, nous nous sommes basés sur des programmes spécifiques de la Décennies des Nations-Unies pour l’océan. Nous nous rapprochons par exemple actuellement du programme Vie Marine 2030, qui touche énormément de chercheurs français travaillant sur la thématique de la biodiversité marine pour les connecter, notamment à travers le GdR Omer et le PPR Océan et Climat.

Comment se structure Ocean Kan ?

L. P. : Ocean KAN a été créé par une équipe des bénévoles soutenus par Future Earth2 , SCOR, et WCRP.  L’International Project Office de l’Ocean KAN (Ocean KAN IPO) était     lancé le 1er juillet 2021. Il est soutenu par un consortium français : le CNRS3  qui est son plus grand soutien et son gestionnaire ; Sorbonne Université et l’Université de Brest et plus précisément l’Institut de l’Océan et l’Institut universitaire européen de la mer4  qui l’hébergent ; et l’Ifremer, l’IRD et le CNES. Ce consortium d’organismes particulièrement impliqués dans les sciences océaniques a permis de lier des programmes à travers le monde. Aujourd’hui, nous avons créé 25 réseaux comprenant chercheurs et parties prenantes, et liés à des programmes de la Décennies des Nations-Unies pour l’océan ou encore de Future Earth. Les réseaux partagent leurs carnets d’adresse et leurs connaissances de terrain, autant d’un point de vue opérationnel, politique, que scientifique.

Lier la science et les parties prenantes est le nœud stratégique d’Ocean KAN. Pourquoi sont-elles si importantes lors d’une initiative scientifique ?

L. P. : Par le passé, il est arrivé que la science réalisée sur le terrain n’ait pas toujours été utile ou réaliste face aux parties prenantes. Sans co-conception, la recherche scientifique peut par exemple se concentrer sur la collecte d'informations d’espèces scientifiquement intéressantes alors que le gestionnaire des pêches aurait besoin de plus d'informations sur des espèces peut être moins intéressantes d'un point de vue scientifique, mais importantes pour la sécurité alimentaire locale. La co-conception de la science vise à aider les scientifiques à mieux comprendre quelle science est nécessaire et quand elle est nécessaire afin de travailler avec les décideurs à planifier une science la plus utile.

Aujourd’hui, le monde scientifique fait beaucoup d’effort de médiation scientifique visant le grand public et le monde politique. Mais ce n’est pas assez, il faut une science donnée par et donnant à la société. Il nous faut écouter dès le premier jour les parties prenantes – c’est-à-dire toute personne dans le cas d’Ocean KAN dont l’activité affecte l’océan ou est affectée par l’océan - pour comprendre leurs décisions et produire les données et les initiatives qui vont aider la société. 

  • 1Linwood Pendleton est un économiste américain de l'environnement. Il est le directeur exécutif de l'Ocean Knowledge-Action Network et chercheur à l’Institut universitaire européen de la mer.
  • 2Réseau international de scientifique collaborant pour une planète plus durable.
  • 3Plus particulièrement l’institut national des sciences de l’univers (INSU) et l’institut Écologie et Environnement (INEE).
  • 4CNRS/Université de Brest/IRD/Ifremer.