La recherche française en déplacement outre-Atlantique
Une importante délégation du monde de la recherche française, présidée par Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, s’est rendue aux États-Unis du 3 au 7 décembre. L’objectif ? Renforcer les liens entre les deux puissances engagées pour l’excellence de la recherche.
Aucune envie de manquer cette occasion. Le sixième Comité mixte franco-américain pour la coopération en science et technologie (Comix) se tenait à Washington « en présentiel » ce tout début décembre, et la recherche française souhaitait montrer son plein engagement. « La coopération entre la France et les États-Unis est essentielle pour maintenir la science et la technologie au plus au niveau. Le CNRS est pleinement engagé dans le renforcement des collaborations entre les deux pays », explique Antoine Petit, président-directeur général du CNRS qui y a accompagné la Ministre de l’Éducation supérieure, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, aux côtés de Gilles Bloch, directeur général de l’Inserm1 , ou encore Jeanick Brisswalter, président de l’Université́ Nice Côte d’Azur.
Ce déplacement se déroulait également dans un contexte de retour en force des sujets environnementaux et climatiques sous l’administration du nouveau président, Joe Biden, et de la tenue récente de la COP26 à Glasgow. L’occasion d’afficher la relance de collaborations bilatérales entre la France et les États-Unis dans ces domaines et de souligner l’importance des liens qui unissent ces deux partenaires en matière de recherche. Les États-Unis sont le premier partenaire scientifique de la France grâce à plus de 21 000 co-publications en 2021, plusieurs accords de coopération entre les organismes de recherche français comme le CNRS (voir encadré) et les universités ou agences de recherche américaines, et de nombreux programmes favorisant les échanges entre les chercheurs, doctorants ou étudiants dans les laboratoires de chaque pays. Des liens forts que cette visite souhaitait souligner avec au programme trois arrêts : New York, Boston et Washington.
De l’aménagement urbain aux nouvelles fabriques de start-up
Dans la « Big Apple », ville symbole de l’aménagement urbain, la délégation a visité le Center for Urban Science and Progress de l’Université de New-York. « Le CNRS pilote ou copilote des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) sur les thématiques de la ville intelligente2 . Il est important pour nous de découvrir les recherches et technologies qui se développent outre-Atlantique, mais également d’y collaborer », indique Antoine Petit. À Boston, reconnu pour son maillage réussi entre recherche académique et monde de l’entreprise, deux temps forts ont été retenus : la visite de LabCentral, un incubateur de start-up dans les biotechnologies qui pourrait inspirer l’implantation d’un même modèle en France, et celle du Broad Institute, lieu de recherche transdisciplinaire issu du MIT et de Harvard spécialisé en santé digitale et thérapie génétique. Mais le point d’orgue de cette visite était le 6e Comité mixte franco-américain sur la science (Comix) à Washington les 6 et 7 décembre, qui s’est déroulé au Eisenhower Executive Office Building au sein de la Maison Blanche, en présence de nombreux homologues américains comme Eric Lander, conseiller scientifique du Président Joe Biden.
« Le comité offre un espace de dialogue »
Ces comités mixtes, qui ont normalement lieu tous les deux ans – le dernier remonte à mars 2018 – résultent de l’accord de coopération scientifique et technologique signé en octobre 2008 à Paris entre les deux gouvernements. Ils ont pour objectif d’identifier les domaines d’intérêt commun ou encore de superviser et recommander des activités et des coopérations à mener. « Le comité offre un espace de dialogue afin d’échanger sur les principaux développements scientifiques et technologiques des deux pays et définir des priorités en matière de collaborations futures », explique Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS qui était présent à Washington.
À l’occasion du 6e Comix, plusieurs points étaient à l’ordre du jour. Et notamment la relance de la collaboration entre la France et les États-Unis dans le domaine de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique. Sur cette thématique, les sciences du climat, pour lesquelles le CNRS est très présent, étaient particulièrement mises en avant.
« Le CNRS opère de grandes campagnes nationales que les équipes américaines réalisent également en parallèle, et cela vient renforcer le développement instrumental scientifique », rapporte Jean-François Doussin, directeur adjoint scientifique Océan-Atmosphère à l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS. Et le CNRS et les États-Unis disposent de services d’observation communs avec par exemple, le réseau pour la détection du changement de la composition atmosphérique, le NDACC ou encore le réseau robotique de suivi des aérosols, AERONET. « Le Comix est l’occasion d’amplifier les partages de données pour l’observation de la Terre pour laquelle il faut aller encore plus loin. La grande plus-value scientifique viendra par exemple de la fusion des données du sol et de l’espace, et cette dernière sera encore plus grande si les équipes internationales collaborent entre elles. La France et les États-Unis ont par exemple pour projet de créer un observatoire du climat de la Terre qui irait dans ce sens. » Le CNRS a également appuyé l’importance de coordonner des campagnes conjointes et « offrir des opportunités pour une meilleure synergie » qui existe déjà entre chercheurs mais pour lesquels « la tâche pourrait être facilitée ».
Deuxième point important : définir des collaborations prioritaires autour de technologies émergentes. Le CNRS, très engagé dans ces nouvelles technologies, est par exemple pilote avec le CEA et l’Inria du PEPR Sciences quantiques en France. « Nous avons une longue histoire de coopération en physique des atomes froids avec les États-Unis. Et ces derniers sont particulièrement intéressés par des partenariats sur les nouvelles technologies quantiques, en matière de calcul, capteurs et communication quantiques, alors qu’ils ont eux aussi mis en place un plan quantique national », rapporte Sébastien Tanzilli, directeur adjoint scientifique Sciences et technologies quantiques à l’Institut de physique du CNRS. Ces coopérations soulèvent cependant la question de la souveraineté nationale sur des technologies sensibles : « Va-t-on rester sur de la science fondamentale ou aller plus loin en travaillant sur des technologies ? », s’interroge-t-il.
La santé était également le troisième point au cœur des discussions lors du Comix, événement pour lequel des groupes de travail franco-américains avaient été créés pour préparer les discussions. « L’idée est de pérenniser ces groupes de travail et de continuer à les faire vivre par la suite pour soutenir les collaborations », rapporte Alain Schuhl.
Trois annonces, un avenir commun
Suite à ce comité, les deux pays ont souligné la nécessité de renforcer leur coopération bilatérale en matière de recherche, notamment à travers des opportunités en préparation aux pandémies, atténuation du changement climatique avec un focus sur les technologies hydrogènes, la biodiversité marine, le quantique et l’IA. « La rencontre a également réaffirmé l’importance de faire progresser la science au service de la société et d’améliorer la compréhension du public, en particulier sur le changement climatique », explique Alain Schuhl. Et finalement, suite aux discussions, un accord cadre sera signé entre la Fondation nationale pour les Sciences aux États-Unis (NSF) et l’Agence nationale de la recherche en France (ANR) pour faire progresser le partage des données scientifiques et améliorer les échanges de chercheurs et chercheuses entre les deux pays.
- 1Institut national de la santé et de la recherche médicale. Les recherches de l’Inserm sont entièrement dédiées à la santé humaine.
- 2Les PEPR ‘Solutions pour la ville durable et innovations territoriales’ ou encore ‘Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux recyclés’ et ‘Enseignement et numérique’.
Les États-Unis, premier pays partenaire du CNRS
Les États-Unis sont le premier pays partenaire pour le CNRS en nombre de co-publications – plus d’un quart de ses co-publications internationales – et en nombre de missions. « En 2019, on compte près de 6000 missions d’agents CNRS aux États-Unis et le CNRS a accueilli dans ses différents laboratoires 85 doctorants américains et 92 post-doctorants ces deux dernières années. Ces chiffres témoignent d’un partenariat de confiance entre nous », souligne Sylvette Tourmente, directrice du Bureau du CNRS en Amérique du Nord, installé à Washington.
Six laboratoires et un centre de recherche internationaux
Pour structurer ses collaborations internationales, le CNRS dispose d’outils qu’il a installés de l’autre côté de l’Atlantique. En 1947, le Bureau scientifique du CNRS à New York est créé1 . Depuis, le CNRS a développé plusieurs autres coopérations et outils : il dispose aujourd’hui de six International Research Laboratory (IRL)2 , et a créé à Tucson, en Arizona, son premier International Research Center (IRC), le « France-Arizona Institute for Global Grand Challenges » autour de la recherche environnementale et spatiale et des sciences des données.
Le CNRS participe également activement aux côtés des États-Unis à de grands programmes internationaux tels que le projet ALMA (Atacama Large Millimiter Array) au Chili, ou à de très grandes infrastructures de recherche (TGIR) telles que l’Integrated Ocean Drilling Program – un programme international de forages océaniques ; le Large Synoptic Survey Telescope – un projet de télescope grand champ ; le Canada France Hawaii Telescope – qui permet des observations astronomiques ; et DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment) – un projet international de faisceau de neutrinos le plus intense au monde dont le démarrage est prévu d'ici à 2026.