Le CNRS crée une cellule Eau
Acteur majeur de la recherche sur l’eau, le CNRS lance une cellule dédiée le 22 mars, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau.
« L’eau est un enjeu majeur des prochaines années », assure Agathe Euzen, directrice adjointe scientifique de l’Institut écologie et environnement (INEE) qui dirige la nouvelle cellule Eau du CNRS. En lançant cette cellule lors de la Journée mondiale de l’eau – une « occasion plus que symbolique » – l’organisme entend « se positionner comme un acteur majeur de la recherche » sur le sujet.
S’appuyant sur l’expérience de la cellule Énergie, le comité de pilotage de la cellule Eau est formé d’un représentant de chacun des dix instituts du CNRS, de la Direction des relations avec les entreprises (DRE), de la direction Europe de la recherche et coopération internationale (DERCI), des délégations régionales et de la Direction de la communication. Cette « transversalité » — au sein même de l’organisme — va permettre « un réel partage de connaissances et savoir-faire » acquis sur des décennies de recherches, et d’en faire émerger de nouveaux en s’appuyant notamment sur la MITI1 et ses appels à projets interdisciplinaires. Elle mettra aussi en lumière les dispositifs existants utilisés pour recueillir des données et produire de nouvelles connaissances sur cette ressource essentielle.
L’eau, tributaire de toutes les sciences
À la fois ressource, milieu et élément vital pour la régulation du climat, le fonctionnement des écosystèmes et le développement humain… l’eau est étudiée sous toutes ses formes et dans toutes ses transformations et ses usages. Abordées dans les dix instituts du CNRS par de nombreuses disciplines et plus de 210 laboratoires, répartis sur l’ensemble du territoire français et à l’étranger, avec près de 3000 agents et doctorants, ces recherches « couvrent l’ensemble des enjeux relatifs à l’eau », comme par exemple la disponibilité et répartition de l’eau douce, ou encore son utilisation en agriculture et les conséquences sur la qualité de l’eau et la biodiversité, etc.
Autre enjeu majeur : l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, reconnu au plan international comme un droit fondamental de l'Homme par l’ONU. Il fait l’objet d’un des Objectifs de développement durable2 (ODD), qui est « en complète interaction avec l’ensemble des ODD » que le CNRS s’est engagé à poursuivre dans son Contrat d’objectifs et de performance. Celui-ci contient également six défis sociétaux, au sein de chacun desquels l’eau a toute sa place, comme le changement climatique, la thématique santé et environnement, ou encore les territoires du futur. « La vraie force du CNRS est qu’à travers ses laboratoires, il couvre tous les champs scientifiques », rappelle Agathe Euzen. « Cela permet de répondre à de nombreux enjeux académiques et techniques, sociaux et environnementaux, économiques et industriels relatifs à l’eau ».
Recherche, communication, valorisation
Cette cellule entend aussi faire valoir les connaissances scientifiques et les compétences du CNRS, « qui sont complémentaires à celles de nos partenaires » pour « mieux éclairer les acteurs de la société et venir en appui à la décision », précise Agathe Euzen. Car de nombreux acteurs s’intéressent de près aux recherches sur l’eau : des ministères aux petites associations, en passant par les agences de l’eau, les collectivités locales et les entreprises de toute taille. Un exemple ? Le projet Karst-Voyager, qui a nécessité la mise au point « d’une boule bardée de capteurs » capable de s’insérer dans un cours d’eau jusqu’aux boyaux souterrains pour étudier les contaminants présents. Fruit d’une collaboration étroite entre l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (INSIS) et l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU), « c’est un sujet qui peut intéresser les entreprises et collectivités », explique Alain Foucaran, chargé de missions Valorisation et Partenariats à l'INSIS. « Les communautés doivent échanger pour concevoir de tels projets car il ne s’agit pas simplement de prendre des données mais aussi d’y intégrer tous les aspects systèmes (autonomie énergétique, traitement de données, communication…), qu’elle résiste à des conditions d’utilisation extrêmes qu’il faut prévoir et in fine que les scientifiques puissent la repérer et la récupérer pour en extraire les données », ajoute-t-il.
Une vision locale, nationale et internationale
Les chercheurs et laboratoires du CNRS sont impliqués dans de nombreux programmes internationaux où le sujet de l’eau y est primordial, comme Future Earth ou encore le Belmont Forum. Coté Européen, son expertise se tourne évidemment aussi sur la JPI Water et les cinq grandes « missions » du nouveau programme cadre « Horizon Europe », dont quatre concernent de près ou de loin l’eau : Adaptation au changement climatique, Villes intelligentes et neutres en carbone, Santé des sols et alimentation, et bien sûr Santé des océans, des mers ainsi que des eaux côtières et continentales, rebaptisée « Starfish ».
En France, de nombreux laboratoires du CNRS reconnus dans le domaine de l’eau sont impliqués dans plusieurs initiatives régionales et pluri-partenariales offrant une visibilité multi-échelle de la diversité des compétences scientifiques et des savoir-faire. Par exemple, le CNRS est partenaire, du Centre international UNESCO de recherche interdisciplinaire sur les socio-hydrosystèmes (ICIREWARD3 ), basé à Montpellier pour « exploiter pleinement le potentiel de l’importante communauté scientifique pluri- et interdisciplinaire dans le domaine de l’eau qui s’y trouve, et encourager les interactions », explique Eric Servat, son directeur. À Toulouse, depuis deux ans, des laboratoires se sont regroupés autour d’un Groupement d’intérêt scientifique (GIS Eau Toulouse4 ) pour mieux fédérer la communauté scientifique locale, mais aussi pour être « plus visible », et avoir un « affichage fort en région » pour échanger avec les collectivités territoriales et le secteur privé, explique Claire Albasi, directrice de recherche CNRS au Laboratoire de génie chimique5 . Ce GIS a pour ambition de favoriser et de soutenir des actions de recherches collaboratives dans le domaine de l’eau, notamment celles « visant un développement durable et une gestion respectueuse des ressources en eau, de l’amont à l’aval des territoires, à l’échelle des petits et grands cycles », elle ajoute. À Lille, c’est autour d’un « Collectif Eau » que se sont rassemblés un ensemble d’acteur de la recherche, du développement et de la gestion de l’eau de la métropole pour favoriser l’échange de connaissances, d’expertises et d’expériences.
Autant d’initiatives que la Cellule Eau du CNRS souhaite valoriser afin de promouvoir les connaissances produites avec des approches variées, contribuer à la production d’une meilleure compréhension de la diversité des enjeux liés à l’eau et proposer des réponses les mieux adaptées à différents contextes, en France comme à l’international.
- 1Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires https://miti.cnrs.fr/
- 2Lors du Sommet des Nations unies du 25 septembre 2015 à New York, 193 pays ont adopté 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030, visant à transformer nos sociétés pour les rendre plus justes, paisibles et prospères dans le respect de notre planète.
- 3Il s'agit de l'un des trois Centres internationaux de recherche UNESCO en France. Créé en 2019 à Montpellier, il réunit quelque 400 scientifiques issus de 17 laboratoires de recherche publics et fait désormais partie d'un réseau mondial de 36 centres et de 63 chaires spécialisés dans l’étude et la gestion de l’eau.
- 4Regroupant 17 laboratoires.
- 5CNRS / INP Toulouse / UT3 Paul Sabatier.
Le CNRS et l’eau : trois exemples
La zone atelier « bassin du Rhône » et l’EUR H2O’Lyon
C’est sur la zone atelier bassin du Rhône que plusieurs « générations de scientifiques familiarisés avec l’interdisciplinarité » cherchent à comprendre le fonctionnement du bassin versant du fleuve « dans toutes ses dimensions », explique le géographe Hervé Piégay, directeur de recherche CNRS et co-responsable de l’École universitaire de recherche (EUR) des sciences de l’eau et des hydrosystèmes H2O’Lyon6 . Il s’agit d’étudier les changements physiques au fil du temps, les transferts de sédiments, pollutions, le changement climatique et la gestion durable ou encore les enjeux sociétaux. Avec ses « sites ateliers » comme le corridor du Rhône, la métropole de Lyon, les vignobles du Beaujolais ou encore les grands lacs alpins, la zone atelier permet d’aborder ces mêmes questions dans « des contextes sociétaux et environnementaux spécifiques variés », notamment pour proposer des recommandations à la société civile. Étroitement associée avec la Zone Atelier, l’EUR H2O’Lyon a pour vocation de « faire le lien entre le monde de la recherche et les enseignements au niveau master et doctoral et le monde socio-économique, afin de former les étudiants aux enjeux interdisciplinaires liés à l’eau », ajoute Hervé Piégay. Elle forme « par la recherche » mais pas uniquement pour la recherche, les étudiants trouvant des postes chez de grands industriels comme EDF ou Veolia, ou des PME et bureaux d’étude ou encore collectivités territoriales.
Le laboratoire EPOC, « détecter la pollution des milieux aquatiques »
Au sein du laboratoire EPOC7 qui étudie de manière pluridisciplinaire le fonctionnement des écosystèmes sous perturbations (anthropiques, changement climatique, etc.), Hélène Budzinski anime une équipe qui s’intéresse à la pollution des milieux aquatiques par des micropolluants organiques. Elle multiplie les partenariats tant publics (universités, EPST) et institutionnels (Institut national de l'environnement industriel et des risques, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, Bureau de recherches géologiques et minières, etc.) que privés, avec des acteurs de l’eau (SUEZ, Veolia) ou des industriels comme Danone. Elle développe aussi des outils pour conduire des analyses à faible dose et à moindre coût. « Suivre les molécules amène à interroger toutes les dimensions et toutes les échelles, du local à l’échelle planétaire, de la source à l’effet sur la faune et la flore, et jusqu’à l'exposition humaine », témoigne la chercheuse, médaille d’argent du CNRS en 2017. Dans cette logique d’approche globale, un réseau régional de recherche initié par la région Nouvelle-Aquitaine, le réseau NAÏADES regroupera des scientifiques œuvrant pour répondre à la question « Quelles eaux voulons-nous pour le futur en Nouvelle Aquitaine ? » dans un contexte marqué par le changement climatique, la pression anthropique exercée sur la ressource, les conflits d’usage et l’évolution des attentes sociétales et citoyennes.
Biocapteur ToxLab, un partenariat pour l’industrie
Dans le cadre du laboratoire commun ANR-RIMAE (Recherche et industrialisation de mesures appliquées à l’environnement) des chercheurs du Laboratoire de génie des procédés - environnement - agroalimentaire (GEPEA8 ) ont travaillé avec la société électronique TRONICO ALCEN pour développer un biocapteur capable d’indiquer si une eau industrielle est toxique pour les micro-organismes. Le biocapteur ToxLab est un système qui prend donc en compte les éventuels effets synergiques entre plusieurs polluants. « C’est un beau projet, car il permet non seulement de renforcer les dispositifs de surveillance des rejets, mais aide aussi notre partenaire industriel à se positionner sur le marché de l'analyse de l'eau », souligne Gerald Thouand, microbiologiste au GEPEA. Ce biocapteur, en cours de maturation via la SATT Ouest Valorisation, est en phase de test auprès de quatre grandes entreprises de chimie lourde
- 6Portée par l’université de Lyon et lauréate en novembre 2017 de l’appel à projets « École universitaire de recherche » du Programme d'investissements d'avenir (PIA3), H2O'Lyon bénéficie d’un financement sur 10 ans de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
- 7Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (CNRS/Université de Bordeaux).
- 8CNRS/Université de Nantes/Oniris Nantes/IMT Atlantique.