Les parlementaires à l’écoute des scientifiques
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a renouvelé son conseil scientifique composé de 24 « personnalités de haut niveau choisies en raison de leurs compétences ». Un quart de ces personnalités font partie du CNRS. Explications sur leurs missions au sein de l’Office.
« La décision publique ne peut pas se passer de fondements scientifiques solides », assure Virginie Tournay, directrice de recherche CNRS au centre de recherches politiques Cevipof1 . Avec 23 autres « personnalités de haut niveau choisies en raison de leurs compétences dans les domaines des sciences et de la technologie », elle est membre du conseil scientifique de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui a été renouvelé en février, juste avant la crise sanitaire du COVID-19. « La crise a bouleversé notre manière de travailler mais elle met bien en évidence l’importance de notre mission. Les domaines d’expertise qui relèvent des sciences humaines et sociales sont fondamentaux pour mieux comprendre et anticiper les verrous, les possibles désajustements entre le consensus scientifique et l’état de l’opinion sur des sujets sensibles, notamment quand le décideur doit réagir rapidement, comme dans un contexte d’urgence sanitaire. »
Le premier Office d’Europe
Créé en juillet 1983 pour mieux suivre le programme nucléaire, l’Opecst cherche à comprendre les enjeux scientifiques de sujets qui doivent ensuite être traduits en termes politiques. « Nous sommes là pour éclairer les commissions constitutionnelles de l’Assemblée nationale et du Sénat : à leur demande, nous apportons une réponse sur l’état de l’art d’un sujet à un moment donné », explique Gérard Longuet, président de l’Opecst depuis fin 2017. L’Office instruit ainsi aujourd’hui de nombreux sujets, de l’extinction des espèces à l’hésitation vaccinale, en passant par l’évaluation des produits sanitaires ou pesticides, l’intégrité scientifique ou encore l’apport des sciences et technologies à la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Plus de 200 rapports ont été publiés depuis sa création, chacun représentant 6 à 18 mois de travail et plus de 100 auditions de scientifiques français ou étrangers. Des notes scientifiques de quatre pages, réalisées en moins de 3 mois, sont également rédigées depuis 2018 sur des sujets d’actualité comme la blockchain ou les enjeux thérapeutiques du cannabis. Enfin, l’Opecst vient en appui des missions parlementaires, par exemple sur le rapport sur l’informatique quantique. À partir de fin mars 2020, pendant la période de confinement, l’Office a mené des auditions par visioconférence en lien avec le COVID-19, par exemple sur les scénarios de sortie du confinement ou la question du traçage numérique via l’application StopCovid.
Inspirée par les États-Unis qui ont créé leur Office of Technology Assessment en 1972 (mais l’ont supprimé en 1995), la France fut le premier pays d’Europe à se doter d’un tel outil. Le modèle est aujourd’hui répandu en Europe mais l’Opecst conserve quelques spécificités françaises. En particulier, l’Office comprend des membres venus des 2 assemblées : 18 députés et 18 sénateurs, renouvelés au début de chaque législature ou à chaque renouvellement du Sénat. Et ceux-ci participent directement au processus d’évaluation scientifique sans l’intermédiaire d’un groupe permanent de scientifiques comme le font d’autres pays (modèle du Bureau parlementaire britannique ou allemand). « Nous ne sommes pas des scientifiques et nous ne faisons pas les lois : nous auditionnons des scientifiques pour informer le législateur avant qu’il ne vote », précise Gérard Longuet.
Un conseil scientifique pour accompagner les parlementaires
Le binôme député-sénateur désigné pour chaque rapport s’accompagne bien souvent d’une parité également politique. Si les membres de l’Office ont tous une appétence, une curiosité scientifique – « On ne candidate pas par hasard à l’Opecst », confirme Stéphane Piednoir, sénateur et ex-professeur de mathématiques – rares sont les sénateurs et députés qui ont une formation scientifique. Le sénateur Pierre Ouzoulias, également chargé de recherche CNRS en archéologie et histoire, regrette cette faible représentation et voudrait développer des stages d’immersion pour les parlementaires au sein de laboratoires de recherche. Une idée que Virginie Tournay aimerait bien aussi inverser « pour que les scientifiques comprennent le quotidien de travail d’un parlementaire et prennent conscience des contraintes liées au travail de la loi et à la prise de décision publique : celle-ci ne saurait être une simple caisse d’enregistrement des résultats scientifiques. »
Pour l’accompagner dans son travail parlementaire et dans la réalisation de ces travaux, l’Opecst dispose d’un conseil scientifique. Renouvelé en février 2020, pour un mandat couvrant la période 2020-2022, il comprend 24 scientifiques, dont un quart sont des directeurs et directrices de recherche du CNRS. Multidisciplinaire (incluant des sciences humaines et sociales) et réuni une fois par an, il fait émerger les thèmes ou sujets relevant des choix scientifiques et technologiques qui sont susceptibles (ou qui font déjà) l'objet d'un travail de préparation des lois. « Nous sommes aussi ponctuellement mobilisés sur les dossiers, selon nos domaines de compétences et nos disponibilités », ajoute Virginie Tournay qui a, par exemple, participé à la première note de l’Opecst consacrée aux objets connectés, en réfléchissant à leurs conditions d'appropriation sociale.
De nombreux chercheurs et chercheuses du CNRS sont régulièrement auditionnés par l’Office et les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat. « À chaque réunion, je me trouve en face de femmes et d'hommes politiques qui portent un réel intérêt aux questions et avis scientifiques », explique Astrid Lambrecht, physicienne, directrice de l’institut de physique du CNRS qui siège au Conseil Scientifique de l’OPECST depuis 2016. « Ceci se traduit par une efficacité d’échange et un cheminement partagé de la réflexion qui se révèlent à travers la qualité des notes qui sont produites. Par exemple, la note sur les technologies quantiques, pour laquelle j’ai fait partie des experts interviewés, reflète précisément l’importance des enjeux et la perception du contexte de ce domaine, aujourd’hui en pleine expansion en France et au niveau international ». « L’intervention des scientifiques du CNRS dans les décisions politiques est importante », atteste Pierre Ouzoulias qui a compté l’audition de plus de 80 scientifiques du CNRS au Sénat en 2018. « Une de nos priorités est de développer la place de la science dans la société », corrobore Antoine Petit, président-directeur général du CNRS.
Comprendre la place de la science dans la société
L’Opecst tente également de se rapprocher de la société civile. Il organise des auditions publiques et, depuis 2017, les internautes peuvent poser leurs questions en direct via une plateforme dédiée sur les sites2 de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Mais, pour Virginie Tournay, il faudrait renforcer les formats de coopération entre l’Office, les institutions recherche, les académies savantes et les opérateurs de culture scientifique. « C’était le vœu de la dernière mention de la résolution sur les sciences et le progrès dans la République3 qui visait le développement d’une politique culturelle attentive aux grands enjeux de la science contemporaine ».
Les liens avec plusieurs académies françaises sont déjà réguliers, en particulier avec l’Académie des sciences, l’Académie nationale de médecine (très sollicitée pendant l’épisode de la crise du Covid-19) et l’Académie des technologies. « L’Office a encore de l’avenir devant lui, la complexité technique des sujets continue de s’accroître et le Parlement doit pouvoir en approfondir les enjeux », conclut Gérard Larcher, président du Sénat, qui salue « la très bonne collaboration que l’Opecst a avec le CNRS ».
En savoir plus : Dossier « L'OPECST, trente ans d'évaluations des choix scientifiques et technologiques au Parlement » de la revue du Comité pour l’histoire du CNRS.
Les membres du conseil scientifique faisant partie du CNRS
- Alain Aspect, professeur à l’École polytechnique et à l’Institut d’optique, directeur de recherche au CNRS, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies
- Virginie Courtier-Orgogozo, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe Évolution des drosophiles à l’Institut Jacques-Monod
- Astrid Lambrecht, directrice de recherche au CNRS, laboratoire Kastler Brossel, directrice de l’Institut de physique du CNRS
- Jean-Paul Laumond, directeur de recherche au Département d'informatique de l'École normale supérieure, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies
- François-Joseph Ruggiu, directeur de recherche au CNRS, directeur de l'institut des sciences humaines et sociales
- Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)