Les labos veulent positiver l’expérience du confinement
Le CNRS et ses partenaires reprennent progressivement le chemin de la normalité. Les laboratoires s’adaptent aux nouvelles conditions de travail avec détermination et ingéniosité.
« Le LAAS-CNRS est une grosse maison aux thématiques très diverses : selon les équipes et les services, le vécu du confinement a été différent. Mais tous les collègues sont impatients de revenir ! », explique Liviu Nicu, directeur du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS (LAAS-CNRS) à Toulouse qui couvrent les champs disciplinaires de l'informatique, la robotique, l'automatique et les micro- et nano-systèmes. Nous sommes le 5 juin : avec 20 % des effectifs présents simultanément, l’activité quotidienne au laboratoire reprend avec des consignes de sécurité et de distanciation strictes. « Nous avons la chance d’avoir quelques biologistes dans le laboratoire, pour qui ces conditions de travail sont un quotidien : ils ont accompagné la reprise des activités en faisant beaucoup de communication et de pédagogie, notamment sur les consignes de sécurité et de désinfection des équipements communs. », se réjouit Julie Foncy, ingénieure de recherche CNRS en impression 3D pour la biologie au LAAS-CNRS.
À l’IES (Institut d'électronique et des systèmes)1 de Montpellier aussi, la sécurité est jugée primordiale et des messages de prévention tournent sur le circuit interne centralisé de télévisions présentes à tous les étages. Ici, la reprise est moins progressive : les équipements ont en effet nécessité la présence permanente d’une équipe minime pendant tout le confinement. Aujourd’hui, le laboratoire fonctionne avec 50 % de ses agents présents en même temps, avec une priorité aux ingénieurs et doctorants, les services administratifs restant en télétravail. Mais un système de roulement permet en fait à 163 personnes - sur les 220 agents du laboratoires - d’avancer sur leurs recherches, en utilisant les machines à plus de 90 % de leur potentiel. « Cela apprend à relativiser l’importance du présentiel », ajoute le directeur Alain Foucaran qui se réjouit que les outils numériques aient pu montrer leur utilité car ils sont « indispensables pour diminuer l’empreinte écologique de la recherche ».
Au laboratoire PHENIX2 à Paris, au contraire, les effectifs présents restent inférieurs à 50 %. En effet, le laboratoire associe aspects théoriques et expérimentaux sur de nombreux domaines de chimie, de l’électrochimie aux nanoparticules magnétiques en passant par l’étude des phénomènes de transport en milieu complexe. Pour la plupart, les modélisateurs ont décidé de rester chez eux, afin que les expérimentateurs, et en particulier les doctorants et doctorantes (encadrés par un permanent), puissent avoir accès aux locaux. Un planning précis est mis à jour chaque semaine pour optimiser l’accès au matériel. Mais, au 17 juin et depuis le 18 mai, « le retour au laboratoire se fait sur la base du volontariat, en tenant compte aussi des transports nécessaires à chaque personne pour venir et des situations personnelles », assure Emilie Secret, chargée de recherche CNRS.
Dans ces trois laboratoires, chaque agent a reçu un « kit de reprise » comprenant du gel hydroalcoolique, des masques, parfois des visières pour les agents qui en ont besoin. Au LAAS-CNRS, ce kit comprend aussi un « door opener », une sorte de clé qui permet d’ouvrir les portes, d’utiliser les machines à café ou encore d’appeler un ascenseur sans rien toucher directement. « Comme beaucoup de collègues, je l’utilise aussi en dehors du laboratoire, pour taper mon code de carte bleu ou utiliser des interrupteurs, par exemple. », ajoute Julie Foncy. Produite au sein du laboratoire par le mécanicien Xavier Dollat par découpe laser de plexiglas, à un rythme de plusieurs centaines par heure et pour « un coût dérisoire par personne », la clé utilise un matériau facilement désinfecté à l’eau et au savon. Elle s’adapte à l’ensemble des poignées du laboratoire, en particulier au niveau des portes de toilettes où le passage est important et l’hygiène indispensable.
Si les masques ont été commandés « difficilement », les visières ont aussi été fabriquées par quatre agents du LAAS-CNRS (le doctorant Joël Tari, le chercheur contractuel Olivier Roussel, l’ingénieur d’étude Xavier Dollat et Julie Foncy), avec le soutien d’autres agents notamment pour la rédaction de la notice explicative, comme elles l’avaient été au début de la crise à destination du personnel soignant. Le laboratoire avait aussi donné un certain nombre de réactifs chimiques, tenues de protection habituellement utilisées pour les salles blanches, stocks de masques, gels hydroalcooliques, etc. qui devront être remplacés. Surtout, les thèses, CDD et post-docs seront prolongés « sur les ressources propres du laboratoire et sur la base de cofinancements quand cela est possible », précise le directeur du laboratoire. Plus de 120 000 euros ont déjà été engagés pour cela mais des demandes sont encore en attente.
Mais au-delà des coûts matériels, les agents retiennent surtout l’élan de solidarité humaine. Pendant le confinement, Liviu Nicu a souhaité « maintenir le lien » avec ses équipes en mettant en place des « rendez-vous » réguliers. Deux fois par jour, il envoyait une photo-mystère du laboratoire, un coin insolite ou avec un angle original, en demandant aux agents de reconnaître l’endroit : « ces ‘Coronalympique games’ ont rassemblé plus de 300 participants chaque jour, preuve qu’il était important de garder contact ». Une lettre de vulgarisation sur la pandémie a également été mise en place par trois biologistes du laboratoire pour les agents et leur famille : une « parole du laboratoire pour faire le tri dans le flux d’informations sur la pandémie » qui aurait même « diffusé vers les écoles des enfants de quelques agents ».
De retour au laboratoire, ce lien renforcé sera maintenu « sous d’autres formes », notamment en faisant participer l’ensemble du collectif à des réflexions sur le laboratoire, son impact écologique, le sens des métiers. « Cet arrêt imposé aura finalement été bénéfique pour prendre du recul. », infère Liviu Nicu. Julie Foncy retient, quant à elle, le « travail collectif spontané de l’ensemble des équipes et services, chacun avec ses compétences, sans distinction de statut ou de domaine » qui a permis d’aider les soignants d’abord et d’organiser la reprise ensuite. « Une expérience qui a renforcé nos liens ».