Colloques, congrès, rencontres : la pandémie accélère le virage virtuel
En raison de l’épidémie de COVID-19, plusieurs grandes conférences nationales ou internationales ont dû être annulées, reportées ou... virtualisées. L’occasion de réfléchir à l’utilité de telles conférences en présentiel, dans un contexte de mondialisation et de changement climatique.
« L’annonce du confinement a été un coup sur la tête », se souvient Gilles Debizet, enseignant-chercheur de l’Université Grenoble Alpes au Laboratoire de sciences sociales Pacte1 , qui co-pilote l’organisation locale de la conférence « Communautés énergétiques, autoproduction, autoconsommation : cadrages, pratiques et outils ». Ce congrès international bilingue devait prendre ses quartiers les 15 et 16 juin à Paris. Censé réunir pour la première fois une centaine de scientifiques et professionnels (industriels, collectivités, associations, etc.) du monde entier autour d’un « sujet tout neuf » et transdisciplinaire, les communautés énergétiques, ce grand rendez-vous s’ouvrira sous une forme un peu particulière, du fait du coronavirus et de l’interdiction des regroupements et événements : un webinaire.
« Nous avons pris cette décision en partie sous la pression de collègues étrangers inquiets de ne pouvoir se rendre sur place », raconte Gilles Debizet. Plutôt que de reporter, le choix de la virtualisation s’est fait « pour sortir de la morosité » et « proposer aux scientifiques des échéances afin de tenir le moral pendant ce long confinement ».
Une dynamique à long terme
L’occasion de tout changer : « comme il n’y a plus unité de lieu, nous avons décidé de ne plus nous restreindre à une unité de temps, ce qui offre une plus grande liberté aux organisateurs comme aux communicants », explique l’enseignant-chercheur. Associée au report de la date limite de dépôt des résumés, l’annonce du format webinaire a permis de doubler le nombre de propositions. Si le colloque commencera les deux jours prévus, avec trois premières sessions de 3 à 4 présentations, il se poursuivra donc dans la durée. Un webinaire est ainsi prévu par semaine jusqu’à début juillet, avec une reprise sur le même rythme en septembre et des appels réguliers à participation. « Nous espérons voir se développer un espace continu de débat, les webinaires se répondant les uns les autres. L’émergence des communautés énergétiques comme sujet de recherche se prête à la formulation itérative de pistes de recherches. ». Un cycle de webinaires ne « compense pas la perte des discussions informelles autour d’un café pendant les colloques présentiels » mais il offre la possibilité d’associer un plus grand nombre de chercheurs et « peut-être de faire émerger - plus vite que ne le permettent les revues - de nouvelles questions scientifiques ».
Côté technique, les modalités du webinaire se précisent : d’abord du direct, les horaires dépendant du continent des communicants, avec un chat et un animateur prêt à synthétiser les questions si elles sont nombreuses. Puis les enregistrements vidéos seront mis en ligne et associés à un forum. Rendant la participation plus flexible, le format en ligne devraient permettre de toucher un plus large public.
Des formats à inventer
Autre exemple, le Centre international de rencontres mathématiques (CIRM) est l’un des plus importants lieux de rencontre dédiés à la discipline, à l'échelle mondiale. Avec, comme chaque année, près de 100 événements prévus en 2020, accueillant 4600 personnes restant en général une semaine, il est fortement touché par les conséquences de la crise sanitaire. « Notre programme est fixé deux ans à l’avance », explique le directeur, Patrick Foulon. Les reports sont donc difficiles et souvent une seule solution reste : la virtualisation. Le workshop organisé par Jorge Vitório Pereira2 , titulaire de la chaire Jean Morlet du CIRM, aura été le premier test « pour montrer que ça fonctionne ». Avec 25 participants, essentiellement européens et américains, l’organisation restait simple : les conférences enregistrées étaient « disponibles à la maison » et des séances de discussions étaient prévues à des horaires tenant compte des décalages horaire pour « maintenir les échanges et donner vie à la conférence ». Cela a nécessité la mise en place d’un système entier de conférence virtuelle que l’équipe « très motivée » a su « monter très rapidement ». Ce nouveau système sera utilisé au-delà du confinement français puisque des conférenciers et visiteurs étrangers participent aux événements prévus : une solution mixte, en présentiel et en diffusion sur internet, sera alors disponible. Surtout, cette nouvelle proposition technique « modifie l’écosystème » durablement : « C’est un moyen supplémentaire et complémentaire pour communiquer sur les recherches en mathématiques », se réjouit Patrick Foulon.
La virtualisation forcée des conférences serait alors une « opportunité pour innover et rendre efficaces les conférences à distance » selon le comité d’organisation de la huitième International Conference on Learning Representations (ICLR2020), rendez-vous annuel de professionnels de l’intelligence artificielle, elle aussi annulée en présentiel. Tous les scientifiques qui devaient faire une conférence ou présenter un « poster », bref résumé graphique d’un résultat de recherche, sont invités à enregistrer une vidéo.
C’est aussi la solution choisie par Eleanor Armstrong, Divya M. Persaud et leur équipe, qui organisent la conférence Space Science in Context à l'University College de Londres (UCL) : les sessions préenregistrées seront sous-titrées et retranscrites en fichiers indépendants puis postées une semaine avant l’événement. Une discussion sera mise en place via l’application Microsoft Teams pour échanger sur le contenu avec le « conférencier ».
De multiples avantages, même si les pause-café sont rares
Conçue comme un « projet expérimental de petite taille » à la suite d’un appel à projet d’UCL, Space Science in Context entend répondre aux enjeux environnementaux que sont les trajets en avion, en réduisant leur nombre, mais aussi à des questions d’inclusion : « En plus du côté écologique, cela permet la participation de personnes qui n’auraient pas eu les moyens financiers de se rendre sur place ou auraient rencontré des problèmes de visa », explique Eleanor Armstrong. « Mais plein d’autres soucis sont aussi mis de côté : rencontrer des personnes qui vous ont potentiellement harcelé, avoir un repas qui correspond à vos allergies, accéder aux salles avec votre handicap, lutter car l’anglais n’est pas votre langue maternelle ou parce qu’il vous faudrait un traducteur en langue des signes, etc. » Et du côté des organisateurs, pouvoir inviter des conférenciers venant de loin sans financer le trajet et l’hôtel. « Nous sommes parvenus à démarcher des scientifiques de six fuseaux horaires distincts et à inviter plus de monde venant des pays du Sud », s’enthousiasme la doctorante, ravie de pouvoir proposer des « éclairages et perspectives inatteignables s’il fallait payer un billet d’avion ». Et les économies sont réinvesties dans la plateforme internet et les transcriptions, permettant d’offrir la conférence aux participants.Pour ne pas perdre le côté réseautage de l’événement, les pauses cafés sont maintenues avec des conversations en ligne en groupes ou en privé, même si le décalage horaire est un problème que l’équipe s’efforce de pallier.
« Depuis la pandémie, l’intérêt pour notre conférence a bondi », se réjouit Eleanor Armstrong qui espère voir plus de conférences virtuelles dans le futur : « Notre expérience démontre que les conférences virtuelles peuvent être une alternative fiable, utile et fructueuse. » La technologie étant suffisamment développée pour rendre ce format viable, « le futur est maintenant et les scientifiques sont demandeurs de ce type de conférences dès aujourd’hui ».
« La situation de crise que nous vivons démontre qu’il existe des possibilités d’adaptation très rapide des pratiques. », confirme Olivier Berné, chargé de recherche CNRS à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie3 et co-fondateur du collectif Labos 1point5. L’activité scientifique « toujours aussi fertile mais plus sobre, plus respectueuse de l’environnement » proposée dans le texte fondateur du collectif serait donc « atteignable ».
Attention à l’effet rebond
Pour certains, l’effort a commencé bien avant la crise sanitaire du COVID-19. « Nous avons organisé #VirtualBlueCOP25, le pendant virtuel de la COP254 , pour montrer que ce que demandait cette conférence – réduire notre impact sur la planète – était déjà possible », explique Soeren Thomsen, chercheur à LOCEAN5 , qui souligne également l’importance de permettre aux populations les plus impactées par les décisions prises pendant la COP de « participer, ne serait-ce que virtuellement ». L’équipe d’organisation comptait d’ailleurs un « groupe très divers de jeunes professionnels de l’océan », avec des membres africains et sud-américains notamment.
Mais pour Soeren Thomsen, « il ne faut pas recréer en virtuel le format que l’on connaît en présentiel », il faut plutôt innover. Il est donc partisan de webinaires courts mais spécifiques et réguliers, afin de construire une communauté, comme l'envisage Gilles Debizet. Il organise ainsi, depuis 2018, les webinaires EBUS6 sur la thématique des « remontées d’eau », un phénomène océanique qui permet aux forts vents marins de brasser l’eau et les nutriments qu’elle contient – attirant donc les poissons puis les sociétés humaines –, par exemple au niveau de la Californie, du Pérou ou de l’Afrique de l’Ouest. « Le plus grand défi n’est pas la technique, mais d’arriver à garder l’attention du public », affirme-t-il.
Surtout, avec son recul, il y voit trois challenges principaux. D’une part, le coût : « quand c’est sur internet, on s’attend à ce que ce soit gratuit, mais il reste des coûts pour les plateformes, la traduction, les personnes qui organisent, etc. ». D’autre part, la culture de la recherche qui donne une grande place aux présentations de travaux lors de grandes conférences internationales, un système « qu’il faudrait parvenir à faire bouger ». « Mes webinaires m’ont permis de me faire connaître autant, sinon plus, que des conférences : c’est une nouvelle manière de créer un réseau qui, de plus, ne repose pas seulement sur le niveau de financement auquel on a accès », assure le chercheur.
Enfin, « développer la communication en ligne, c’est faire plus de communication mais pas moins de trajets en avion », avertit Soeren Thomsen qui craint une explosion des collaborations entre équipes éloignées et donc plus de voyages internationaux. Selon lui, il faudrait ajouter au déploiement des conférences virtuelles des réglementations en termes de nombre de trajets autorisés par scientifique, une sorte de « budget carbone » à définir selon les domaines de recherche. La solution idéale ? « Plus de rencontres régionales régulières et des conférences virtuelles pour les connecter entre elles », conclut le chercheur.
- 1CNRS/Université Grenoble Alpes.
- 2Instituto de Matemática Pura e Aplicada, Rio de Janeiro, Brésil.
- 3CNRS/CNES/Université Toulouse Paul Sabatier.
- 4Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (2-13 décembre 2019).
- 5Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/MNHN/IRD/Sorbonne Université).
- 6Eastern Boundary Upwelling Systems. Voir aussi le 8 juin les événements en ligne #VirtualBlueDecade : https://www.virtualbluedecade.org/