Au Mexique, les trois laboratoires du CNRS mobilisés sur le COVID-19

Institutionnel

Au deuxième rang en Amérique latine en nombre de décès après le Brésil, le Mexique organise parallèlement sa réponse institutionnelle immédiate et des recherches sur le long terme. À travers ses International Research Laboratories, le CNRS participe à l’effort de recherche.

L’arrivée du virus au Mexique a été plus tardive qu’en France : le premier cas de COVID-19 a été déclaré le 28 février 2020, avec un premier décès le 19 mars. Dès lors, les autorités mexicaines ont mis en place une réponse institutionnelle visant à freiner l’avancée de la maladie dans le pays, tout en finançant la recherche.

Le pays est en phase 3 de l’état d’urgence sanitaire avec un ensemble de mesures de distanciation sociale étendues jusqu’au 30 mai 2020, connu sous le nom de la Jornada Nacional de Sana Distancia (« Journée nationale de la saine distance »), sans confinement obligatoire. Les autorités mexicaines estiment1 que le pic épidémiologique a été atteint entre les 8 et 10 mai et que des taux d’occupation très élevés sont à attendre dans les hôpitaux pendant la quinzaine suivante (particulièrement dans les États de Basse Californie, de Mexico, Sinaloa, Tabasco et Quintana Roo).

Carte des cas de COVID-19 au Mexique au 25 mai 2020
Carte interactive officielle du nombre de cas au Mexique au 25 mai 2020 : https://covid19.sinave.gob.mx

Les scientifiques au cœur de l’équipe conseillère des autorités

Dans ce pays profondément marqué par le spectre de la Grippe A H1N1 en 2009 et au système sanitaire relativement faible, explique Clémence Guiresse, chargée de mission et représentante adjointe au Bureau CNRS Amérique du Nord, les autorités se sont vite tournées vers la communauté scientifique pour éclairer la prise de décision. Le Président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador et le Secrétaire à la santé sont ainsi conseillés par une équipe composée notamment de scientifiques qui effectuent des analyses, fournissent des informations, en particulier des modèles prédictifs, et formulent des recommandations.

Surtout, le Conseil national de la science et la technologie (Conacyt) – un équivalent du Mesri regroupant 27 institutions de recherche mexicaines - a lancé le 15 avril un appel à projets sur des thématiques médicales mais aussi de sciences humaines et sociales ou de l’éducation, etc. autour du COVID-19, à hauteur de 190 000 € par projet retenu. Le programme de recherche collaborative du Centre international d’ingénierie génétique et de biotechnologie, un mécanisme visant à favoriser la collaboration scientifique internationale dont le Mexique est un État membre, financera aussi cinq projets en sciences de la vie et santé humaine pour une durée maximale de 36 mois avec un financement atteignant les 25 000 €/an.

Avant même les autorités fédérales, l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), première université du pays, avait lancé un appel à projets à destination de ses centres et instituts. Il financera jusqu’à 5 projets de recherche innovants et multidisciplinaires consacrés à tous les aspects de la pandémie, y compris santé, économie et société, pour des montants de 75 000 €/projet/an pour 3 ans.

Au 25 mai, il existe aussi 19 essais cliniques en cours au Mexique, selon les données nord-américaines2 . Plusieurs molécules, dont l’hydroxychloroquine, sont à l’étude, ainsi que le plasma convalescent et sa transfusion.

Le CNRS impliqué dans les recherches sur le COVID-19

Aujourd’hui,  deux International Research Laboratories3 du CNRS et une Umifre4 sont implantés au Mexique. Fermés au moins depuis le 23 mars, ils continuent de fonctionner en télétravail et intègrent la problématique COVID-19 dans leurs activités.

Le Centre d'études mexicaines et centraméricaines4 (Cemca), installé depuis 1986 à Mexico, avec une antenne à Ciudad de Guatemala, développe des analyses de long terme sur les enjeux majeurs de société : violences, migrations, alimentation etc. Son directeur, le géographe Bernard Tallet, explique que le positionnement du centre consiste à rester attentif à la crise économique violente qui va accompagner et suivre la crise sanitaire, sans réorienter les recherches mais plutôt en travaillant sur l’impact des épidémies (y compris grippe aviaire, rougeole, etc.) sur le long terme sur la société mexicaine : « Au Mexique, l’ampleur de la crise économique et sociale dans un pays extrêmement inégalitaire, et dont la part de l’économie informelle et/ou de subsistance est massive, la chute de 7,1 % du PIB annoncé5 cette année laisse craindre des conséquences importantes. Pour le Cemca, les thématiques de violence envers les femmes (accentuées en période de pandémie), des migrations ou encore de distribution et souveraineté alimentaire sont clés ». Accueilli par le Cemca, le pôle Mexique de l’Institut des Amériques – un réseau d'enseignement supérieur, de recherche et de coopération internationale – s’intéresse aussi à l'impact du COVID-19 sur les migrations et la population pauvre du pays6 .

L’IRL LaSoL7 , dirigé par José Antonio Seade Kuri depuis Cuernavaca, participe à une équipe de recherche sur la modélisation mathématique de la pandémie mise en place avec le Centro de Investigación en Matemáticas A.C. (Cimat). Selon Jawad Snoussi, mathématicien de l’UNAM, « les mathématiques n’ont jamais été aussi bien mises en lumière au Mexique », les modèles prédictifs étant présentés aux conférences de presse quotidiennes du président et le conseil scientifique comprenant plusieurs mathématiciens.

Robot conçu par le LAFMIA
Robot infirmier conçu par l'IRL LAFMIA. © LAFMIA

Enfin, l’IRL LAFMIA8 , situé au sein du Cinvestav9 à Mexico, mène des recherches centrées sur l’informatique et l’automatique, et plus particulièrement sur la robotique. Son directeur, le directeur de recherche CNRS Rogelio Lozano, et son directeur adjoint Sergio Salazar Cruz ont répondu à un appel du Secrétariat à la science, la technologie et l’innovation de la ville de Mexico, qui a déclaré les projets sur le COVID-19 prioritaires le 17 mars 2020 et procédé à une réallocation des financements dans ce sens. Le laboratoire a notamment proposé un robot mobile conçu pour transporter des médicaments, de la nourriture ou des déchets contagieux à l'intérieur d'un hôpital. Selon le directeur, « piloté à distance et capable de répéter une trajectoire à plusieurs reprises, ce robot infirmier permet de maintenir un contact visuel et auditif avec des patients à haut risque de contagion en évitant les potentielles erreurs humaines et en protégeant le personnel soignant ».

« Les relations entre la France et le Mexique ont toujours été étroites sur le plan scientifique », assure Clémence Guiresse. Pour le Mexique, la France est le premier pays de collaboration scientifique en mathématiques, et le deuxième en physique, en termes de co-publications, et le premier accord de collaboration scientifique entre le CNRS et le Conacyt remonte à près de 50 ans. « Aujourd’hui, le gouvernement mexicain réaffirme la priorité aux problèmes du pays "au bénéfice de la société mexicaine" et renforce les coopérations régionales. Cela a entraîné de nombreuses incertitudes sur les coopérations internationales scientifiques. Mais le bureau CNRS Amérique du Nord continue de se rendre régulièrement au Mexique – hors pandémie – pour discuter des collaborations à venir. »

  • 1À noter que, dans un pays à l’infrastructure de santé limitée, les données et statistiques sont largement discutées et varient beaucoup d’une source à l’autre.
  • 2Selon clinicaltrials.gov
  • 3Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 4 a b Le Cemca est une unité mixte des Instituts français de recherche à l’étranger (Umifre, CNRS/Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères).
  • 5Selon une récente enquête de la banque centrale du Mexique.
  • 6Voir le blog COVID-AM, conçu en partenariat avec l’IRL iGlobes : https://covidam.institutdesameriques.fr/la-quarantaine-et-les-autres-covid-et-populations-precarisees-au-mexique/
  • 7Laboratoire Solomon Lefschetz (CNRS/UNAM/Conseil national de la science et la technologie).
  • 8Laboratoire franco-mexicain d’informatique et d’automatique (CNRS/Centre de recherche et d’études avancées de l’Institut polytechnique national/Conseil national de la science et la technologie).
  • 9Centro de Investigación y de Estudios Avanzados del Instituto Politécnico Nacional.