L’amie ? La mie ? Comment notre cerveau différencie les homophones
En français, il est courant que deux séquences langagières se prononcent de la même manière sans avoir le même sens, comme « l’amie » et « la mie ». Ces homophones sont compris sans ambiguïté dans un flux continu de parole, grâce au contexte (« l’amie de Pierre » ou « la mie de pain » par exemple), et de manière un peu moins évidente lorsqu’ils sont isolés1 . De précédentes analyses acoustiques avaient montré de légères différences, notamment dans la durée et l’intonation de la première syllabe (« l’a » ou « la »). Mais ces indices n’ont pas de signification particulière en français, contrairement à d’autres langues comme l’anglais qui distingue les voyelles courtes et longues2 . Sont-ils quand même utilisés par le cerveau ? La réponse est oui, d’après des psycholinguistes du laboratoire Bases, corpus, langage (CNRS/Université Côte d’Azur) et du Laboratoire de psychologie et de neurocognition (CNRS/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont-Blanc) qui ont étudié 37 volontaires par électroencéphalogramme. Les scientifiques ont montré que, même sans contexte et même sans y faire attention3 , notre cerveau répond différemment à « l’ami » et à « la mie ». À travers une deuxième expérience, ils et elles ont confirmé que c’est bien la première syllabe qui permet cette distinction. Les locuteurs du français ne sont donc pas si « sourds » aux intonations que l’on croit. Les scientifiques se demandent à présent si une phrase reconstituée avec le mauvais homophone est susceptible de gêner la compréhension.
- 1Des personnes à qui on fait écouter ces homophones pris isolément les distinguent dans 70 % des cas : mieux que si elles devinaient au hasard, mais pas aussi bien que lorsqu’elles disposent du contexte.
- 2Par exemple “ship” (/i/ court, navire) et “sheep” (/i/ long, mouton).
- 3Les volontaires regardaient un film muet en même temps qu’ils entendaient les sons.
Processing of non-contrastive subphonemic features in French homophonous utterances: An MMN study, Noelia Do Carmo-Blanco, Michel Hoen, Stéphane Pota, Elsa Spinelli, Fanny Meunier, Journal of Neurolinguistics, novembre 2019. https://doi.org/10.1016/j.jneuroling.2019.05.001