Silence, ça mute : origine des mutations héritables des arbres
Quelle est l’origine de la diversité génétique chez les plantes ? Est-ce que de nouvelles mutations acquises au cours de la croissance peuvent être transmises aux graines ? Des scientifiques INRAE, en collaboration avec le Cirad et le CNRS, ont utilisé la forêt guyanaise comme théâtre de leurs recherches, permettant une série de découvertes sur cette question fondamentale en biologie. Des résultats parus le 27 février dans la revue PNAS.
Les arbres tropicaux sont au cœur de cette étude. Ils sont essentiels dans la régulation climatique, le maintien de la biodiversité et la fourniture de ressources cruciales pour de nombreuses communautés locales. La compréhension de leurs modalités d’évolution génétique revêt donc une importance capitale pour la préservation de la diversité biologique et la recherche de solutions durables d’adaptation face aux pressions environnementales auxquels ils sont confrontés.
L'objectif de cette étude était d'identifier les mutations accumulées au cours de la croissance par deux individus d'arbres tropicaux échantillonnés en Guyane française, sur un territoire recouvert à 96% par la forêt tropicale. Les scientifiques se sont intéressés pour cela à la distribution de ces mutations le long de l'architecture de l'arbre, en relation avec de possibles impacts de la lumière (UV), ainsi qu’à leur transmission aux embryons dans les fruits.
En séquençant l'ADN de branches exposées différemment à la lumière solaire, les chercheurs n’ont pas trouvé d’effet des UVs dans l'apparition des mutations chez ces deux arbres tropicaux, contrairement à ce qu’on constate chez les animaux. Si la majorité de ces mutations sont rares dans les tissus de ces arbres, cette étude révèle que grâce à leur grand nombre, elles sont transmises aux fruits et donc à leur descendance. Ces mutations rares ignorées auparavant permettent d’alimenter le réservoir de diversité génétique de ces espèces tropicales. Cette nouvelle matière première pour le moteur de l’évolution est essentielle pour leur adaptation aux changements environnementaux.
Cette avancée majeure, possible grâce aux nouveaux outils de séquençage et d’analyse des génomes, enrichit considérablement notre compréhension de la biologie des arbres tropicaux.
Un couteau suisse au service des arbres
Grâce aux récentes avancées en génomique, deux génomes inédits de haute qualité d'arbres tropicaux, l’angélique et le grignon franc, offrent une exploration approfondie de la génétique des arbres. L’échantillonnage de feuilles dans 18 branches de ces arbres de plus de 40 mètres de hauteur a permis de comparer des données de séquençage de l’ADN de feuilles avec les génomes de référence issus de la base du tronc et de détecter les nouvelles mutations apparues le long des branches lors de la vie de ces arbres grâce à des méthodes de pointe transférées de la cancérologie humaine à la génomique végétale. Les mutations détectées sont majoritairement très rares dans les tissus et affectent tous les chromosomes des individus. L’héritabilité de ces nouvelles mutations a été démontrée par leur identification ciblée dans les séquençages des génomes des fruits, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans la compréhension des sources de la diversité génétique chez les arbres tropicaux.
Low-frequency somatic mutations are heritable in tropical trees Dicorynia guianensis and Sextonia rubra. S. Schmitt et al. PNAS (2024) 121 (10) e2313312121 DOI : https://doi.org/10.1073/pnas.2313312121