Quand les liquides se bloquent : le mystère de la fécule de maïs élucidé

Chimie
Physique

Certaines suspensions de particules, comme des grains d'amidon dans l'eau, liquides au repos, deviennent brusquement solides lorsqu'elles sont soumises à un écoulement rapide ou à un choc. Ce comportement fascinant, appelé rhéo-épaississement, permet par exemple de « marcher sur l'eau » ou de concevoir des vestes légères et souples mais très résistantes en cas de choc. Des chercheurs de l'Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (Aix-Marseille Université/CNRS) ont montré expérimentalement que ce comportement vient d'une transition qui implique le frottement entre les particules et la présence de forces répulsives à courte portée (d'origine électrostatique ou physico-chimique). Cette étude est publiée dans la revue PNAS, le 1er mai 2017.

Comment certains fluides peuvent-ils brutalement devenir solides ? L'origine de ce phénomène est longtemps restée incomprise. Les chercheurs de l'Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (CNRS, Aix-Marseille Université) se sont appuyés sur un modèle théorique très récent (Seto et al PRL 2013, Wyart et Cates PRL 2014). L'idée est la suivante : à faible contrainte et en présence de forces répulsives à courte portée, les particules dans une suspension rhéo-épaississante sont maintenues à distance et par conséquent ne se touchent pas. L'absence de contact solide fait que les particules ne frottent pas les unes avec les autres : la suspension coule alors facilement (cf. figure 1). En revanche, sous l'effet d'un choc, ou à forte vitesse les particules sont poussées au contact solide.  Les particules qui frottent alors les unes contre les autres produisent un milieu fortement dissipatif : la suspension se transforme soudainement en solide. 

Pour mettre en évidence cette transition frictionnelle, c'est à dire le comportement frottant ou non-frottant des particules, les chercheurs de l'IUSTI ont étudié les angles d'avalanche, les propriétés de compaction sous vibration et enfin les effets de dilatation de différentes suspensions de particules. Ils ont ainsi pu démontrer que les particules au sein des fluides rhéo-épaississants se comportent effectivement comme des grains non-frottants lorsqu'ils sont soumis à une faible contrainte. En diminuant la portée de la force répulsive entre les grains dans une suspension rhéo-épaississante modèle de particules de silice, ils ont aussi montré que cet état non-frottant disparait et que la suspension recouvre alors un comportement rhéologique standard.


Ces résultats, qui lient pour la première fois les propriétés microscopiques de surface, la friction et le comportement rhéologique macroscopiques des suspensions, confirment que le rhéo-épaississement résulte d'une transition frictionnelle. La mise en évidence du rôle crucial de la friction dans les suspensions devrait permettre de mieux comprendre et donc d'améliorer la formulation des bétons modernes qui incorporent des polymères afin de contrôler leur propriétés d'écoulement. Plus généralement, cette avancée devrait aussi contribuer à la formulation de suspensions aux propriétés rhéologiques contrôlées, avec des applications médicales ou sportives (attelles ou protections souples autorisant les mouvements lents mais protectrices en cas de choc). 

 

© Bloen Metzger
© Bloen Metzger

 

Bibliographie

Revealing the frictional transition in shear-thickening suspensions, Cécile Clavaud, Antoine Bérut, Bloen Metzger, et Yoël Forterre, PNAS, le 1er mai 2017
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Bloen Metzger
Chercheur CNRS
Yoel Forterre
Chercheur CNRS
Anne-Sophie Boutaud
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