Quand la peinture révèle l’augmentation de la confiance sociale
Des scientifiques du CNRS, de l’ENS-PSL, de l’Inserm et de Sciences Po1 ont mis en évidence, dans la peinture européenne, une augmentation des expressions faciales de confiance et de sympathie entre le 14e et le 21e siècles. Ces résultats, obtenus à l'aide d'un algorithme de traitement des visages appliqué à deux corpus de portraits, suggèrent une augmentation du sentiment de confiance envers autrui dans la société, qui suit de près l’accroissement du niveau de vie au cours de cette période. Leur étude paraît dans Nature Communications le 22 septembre 2020.
- 1à l’Institut Jean-Nicod (CNRS/ENS-PSL), au Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (Inserm/ENS-PSL) et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof ; CNRS/Sciences Po).
En se faisant tirer le portrait, les grands de ce monde ont selon les époques voulu manifester leur pouvoir et inspirer la crainte ou, au contraire, se donner un air sympathique et digne de confiance. À travers leurs sources, les historiens avaient déjà perçu un glissement vers plus de confiance envers autrui au fil du temps. Cependant, ces changements restaient difficiles à documenter quantitativement.
Pour suivre l'évolution historique de la confiance interpersonnelle, une équipe de chercheuses et chercheurs en sciences cognitives du CNRS, de l’ENS-PSL, de l’Inserm et de Sciences Po a conçu un algorithme d’analyse des visages à même de reproduire les jugements humains concernant la confiance ou la sympathie exprimée par un visage. Pour valider l'algorithme, les scientifiques l’ont d'abord testé sur des photographies de visages pour lesquelles le sentiment de confiance avait déjà été évalué par des humains. Lors d'autres tests, l'algorithme a reproduit les conclusions tirées de la littérature scientifique concernant l'impact sur la confiance qu’inspire un visage de facteurs tels que : l'âge, le sexe, les traits du visage ou encore les émotions exprimées.
En analysant une collection de 1962 portraits anglais de la National Portrait Gallery de Londres, peints entre 1506 et 2016, les auteurs ont constaté que les indices faciaux liés à la confiance interpersonnelle devenaient plus nombreux au cours du temps. Ils ont également pu reproduire leurs conclusions sur 4106 portraits de la Web Gallery of Art, couvrant 19 pays d'Europe occidentale entre 1360 et 1918.
Mais cette évolution reflète-t-elle pour autant le passage de sociétés relativement violentes à des sociétés plus coopératives ? Pour valider cette hypothèse, l'algorithme a ensuite été appliqué à la Selfiecity, une base de données regroupant 2277 autoportraits photographiques postés sur les réseaux sociaux de six villes à travers le monde. La confiance inspirée par les visages était effectivement corrélée à la confiance et à la coopération interpersonnelles préalablement mesurées au travers d’enquêtes internationales.
En recherchant les causes potentielles de cette évolution, l’équipe a constaté que l'augmentation de l’impression de confiance et de fiabilité dans les portraits était plus fortement associée à l'augmentation du PIB par habitant qu'aux changements institutionnels comme l'émergence d'institutions plus démocratiques. Les scientifiques poursuivent cette investigation sur la base d’autres sources, comme les textes littéraires ou la production musicale.
Tracking historical changes in trustworthiness using machine learning analyses of facial cues in painting, Lou Safra, Coralie Chevallier, Julie Grèzes & Nicolas Baumard, Nature Communications, 22 septembre 2020. DOI : 10.1038/s41467-020-18566-7.