Percer le secret de certains phénomènes associés aux orages - Lancement en novembre du satellite français Taranis
Sprites, Elfes, Jets… Peu de gens savent que ces termes fantastiques sont utilisés par les scientifiques pour décrire des événements lumineux transitoires. Ce sont des flashs lumineux qui se produisent pendant les orages actifs, au-dessus de nos têtes, à quelques dizaines de kilomètres d’altitude à peine. Et peu de personnes savent que les orages peuvent se comporter comme des accélérateurs de particules donnant lieu à des bouffées ultra-brèves de rayonnement X et gamma. Mais quels sont les processus et les mécanismes physiques derrière ces phénomènes découverts il y a à peine 30 ans ? Ont-ils un impact sur la physique et la chimie de la haute atmosphère, sur l’environnement, ou même sur l’être humain ? Tels sont les principaux enjeux du satellite français Taranis qui rejoindra l’espace dans la nuit du 16 au 17 novembre, sur un lanceur Vega au départ du Centre Spatial Guyanais. Cette mission 100% made in France a impliqué des scientifiques du CNES, du CNRS, du CEA et de plusieurs universités françaises.
Les événements lumineux transitoires (TLE) ainsi que les flashs de rayons gamma terrestres (TGF) sont observés dans toutes les régions du monde, partout où se produisent des orages. Mais faute de connaissances suffisantes, ils ne figurent pas dans la chaîne d’outils mis à la disposition des climatologues et des météorologues. Ont-ils un impact sur les événements climatiques extrêmes qui se multiplient ? Si oui, leur modélisation permettrait de les intégrer, en temps réel, dans les prévisions. Taranis a beau être un satellite de recherche fondamentale, en contribuant à la connaissance de la machine thermique et climatique qu’est la Terre, l’exploitation de ses données pourrait déboucher sur des applications plus opérationnelles, comme la climatologie ou la météorologie.
Elfes, sylphes, anges, farfadets, jets, lutins (sprites en anglais) ou même gnomes… la poésie du glossaire contraste avec la violence du phénomène. Différentes par leur nom, leur durée ou leur forme, ces manifestations atmosphériques lumineuses constituent la famille générique des événements lumineux transitoires (TLE). Éphémères, elles se produisent entre le sommet des nuages d’orage et 90 km d’altitude. Présumée dès 1920, leur existence a été confirmée dans les années 90. De nombreuses observations faites depuis le sol et l’espace ont permis de les répertorier. En forme d’anneaux lumineux en expansion, les elfes apparaissent à 90 km d’altitude et ne durent qu’une milliseconde ; un orage actif peut en produire des milliers en quelques heures. Entre 40 et 90 km d’altitude, les sprites ont une structure filamentaire complexe et peuvent durer jusqu’à 10 millisecondes. Les jets bleus apparaissent à la partie supérieure des nuages d’orage et se propagent jusqu’à 50 km d’altitude. Occasionnellement, des jets « géants » peuvent se propager jusqu’à 90 km.
L’observation des flashs de rayons gamma (TGF) est récente à l’échelle de la science ; la première a été faite en 1994 par le Compton Gamma-Ray Observatory, l’observatoire des sources célestes de rayons X et gamma embarqué sur la navette américaine Atlantis. Dans certaines conditions, l’orage provoque une bouffée de photons gamma ; le phénomène est ultra-bref. Ces flashs ont été, un temps, considérés comme rares et concomitants à l’apparition des sprites. On sait maintenant qu’ils sont liés à l’activité électrique dans les orages. Faute d’équipements spécifiques, les études complémentaires du laboratoire spatial italien Agile (2007) ou du télescope spatial américain Fermi (2008) n’ont permis ni de confirmer totalement les hypothèses actuelles sur le mécanisme qui les génère, ni d’estimer leur nombre. Taranis apportera donc des compléments d’information sur leur apparition, leur mécanisme et leur impact radiatif, non mesuré à ce jour.
En France, le CEA s’intéresse dès 1993 à ces manifestations et à leur impact. Le 9 décembre 2010, le projet est officialisé par le Conseil d’administration du CNES. La mission est 100 % made in France, l’axe scientifique étant développé par des laboratoires également français. En plus du CEA, le CNRS s’engage fortement avec l’implication de plusieurs laboratoires de recherche : le Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace (LPC2E) assure la coordination du développement de la charge utile scientifique, la responsabilité du centre de mission scientifique et contribue à l’instrumentation ; l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), le Laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS) et le laboratoire Astroparticule et cosmologie (APC)1 contribuent à la charge utile. L’instrumentation de Taranis intègre des participations étrangères, celles de l’Université de Stanford et du Goddard Space Flight Center (États-Unis), celles en République Tchèque de l’Institut de physique atmosphérique (IAP) et de l’Université Charles et enfin celle du Space Research Centre de l’Académie des sciences polonaise (CBK). Le CNES assure la prise en charge financière du programme pour un montant total de 110 millions d’euros.
Dans son apparence, Taranis est atypique : il a troqué le « mylar » alu ou doré, ce matériau qui recouvre traditionnellement les satellites, pour une peinture spéciale noire et blanche. Le détail n’a rien d’esthétique. Il s’agit d’une part de ne pas modifier le champ électrique qui l’entoure et d’autre part, d’éviter toute réflexion lumineuse susceptible de perturber les capteurs optiques de la mission. Moins visible, son atout majeur réside dans la conception originale de sa charge utile. Elle cumule huit instruments qui seront exploités comme un seul grâce au calculateur MEXIC, la vraie plus-value de Taranis. Ce cerveau cumule de nombreuses responsabilités : il alimente les instruments et gère la charge utile, met en œuvre la stratégie de déclenchement lors d’un événement, synchronise les instruments et assure même le transfert des données sélectionnées vers la mémoire de masse.
Zoom sur la charge utile de Taranis :
- XGRE : ensemble de trois détecteurs X et gamma pour la mesure des photons hautes énergies (50 keV – 10 MeV) et des électrons relativistes (1 MeV – 10 MeV) – APC/IRAP/CNES ;
- MCP (MC-U et PH-U) : ensemble de deux caméras (10 images/seconde) et de quatre photomètres pour mesurer la luminance dans différentes bandes spectrales – CEA/CNES ;
- IDEE : ensemble de deux détecteurs d'électrons énergétiques (70 keV – 4 MeV) – IRAP/Université Charles ;
- IMM : magnétomètre trois axes pour la mesure du champ magnétique alternatif (5Hz – 1 MHz) – LPC2E/Université de Stanford ;
- IME-HF : antenne HF de mesure du champ électrique aux hautes fréquences (100 kHz – 35 MHz) – LPC2E/IAP ;
- IME-BF : instrument de mesure du champ électrique basses fréquences (DC – 1 MHz) – LATMOS
- SI : sonde de mesure du plasma thermique – GSFC/LATMOS ;
- MEXIC : ensemble de deux boîtiers électroniques, comprenant les huit analyseurs associés aux instruments. Il assure l'alimentation électrique des instruments, la gestion des modes de la charge utile et l'interface avec la Mémoire de Masse et l'ordinateur de bord. MEXIC aura également pour tâche de synchroniser les instruments lors de détections à bord d'événements (TLE par les photomètres de MCP, TGF par XGRE, faisceaux d'électrons par IDEE, bouffées d'ondes par IME-HF). – LPC2E/CBK.
Pendant deux à quatre ans, Taranis scrutera, en particulier, les régions où l’activité orageuse est intense et où la probabilité d’observations de TLE et de TGF est élevée. Si le programme est national, c’est bien la communauté scientifique internationale qui attend avec impatience ses résultats. Chimie et physique de l’atmosphère, environnement, climatologie, astrophysique des phénomènes de haute énergie… dans de nombreux domaines, Taranis sera source de révélations. La mission n’est pas une fin en soi ; elle ouvrira sans doute la voie à de nouvelles investigations.
CNRS Le Journal "Ausculter la face cachée des orages"
Lien d’accréditation au Media Center VV17 (J0 – 16h30-18h30, heure de Paris) ici
- 1LPC2E (CNES/CNRS/Université d’Orléans) ; IRAP (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier/CNES) ; LATMOS (CNRS/UVSQ/Sorbonne Université) ; APC (CNRS/Université de Paris/CEA/CNES/Observatoire de Paris).