Le calcium des dents révèle ses secrets

Biologie
Terre

Deux études basées sur l'analyse des isotopes1  du calcium des dents viennent d'apporter de nouvelles données aussi bien sur l'extinction des reptiles marins que sur l'estimation de l'âge au sevrage chez l'Homme. Ces recherches, menées par des chercheurs du CNRS, de l'ENS de Lyon et de l'Université Claude Bernard Lyon 1, ont été publiées respectivement les 25 et 30 mai 2017 dans Current Biology et PNAS. Elles offrent de nouvelles perspectives pour la recherche en anthropologie et en paléontologie.

  • 1Les isotopes sont des atomes possédant le même nombre de protons et d'électrons mais pas le même nombre de neutrons, ce qui leur confère des masses différentes.

Une nouvelle méthode de mesure des proportions d'isotopes stables du calcium vient d'être développée par une équipe de géochimistes, impliquant notamment le Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (ENS Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1). Cette méthode d'une grande précision permet de nouvelles avancées scientifiques dans toutes sortes de domaines comme l'estimation de l'âge au sevrage chez l'Homme à partir de dents de lait ou une nouvelle explication à la disparition des reptiles marins.

Le calcium est le constituant principal de nos os et de nos dents. Il existe sur Terre six isotopes stables de cet élément. Ces derniers ne génèrent pas de radioactivité naturelle, mais permettent d'identifier des réactions chimiques grâce à leurs signatures spécifiques. Causées par un fractionnement des différents isotopes du calcium lors des processus biologiques, ces signatures sont d'autant plus marquées dans les os et les dents. La méthode utilisée par les chercheurs consiste donc à analyser, dans ces dernières, le degré de fractionnement isotopique.

Le lait maternel est la substance dans laquelle les isotopes du calcium sont les plus fractionnés. Ainsi, à partir de dents de lait, il est possible de suivre l'alimentation dans les premières années de la vie. Plus l'alimentation est riche en lait, plus le calcium dentaire contient d'isotopes légers. En perforant des dents de lait et en mesurant les rapports isotopiques grâce à un spectromètre de masse2 , les chercheurs ont pu observer que la dent commence à se minéraliser avec des différences isotopiques très fortes et que ces valeurs restent fractionnées jusqu'au moment du sevrage. La vitesse de formation de l'émail dentaire étant connue, les chercheurs ont donc développé un moyen qui permettra prochainement d'estimer l'âge du sevrage chez nos ancêtres. Leurs résultats ont été publiés le 30 mai 2017 dans PNAS. Cette méthode inédite pourrait permettre aux anthropologues de mieux comprendre les structures communautaires des hominidés.

Dans un autre domaine, l'analyse isotopique du calcium dentaire a permis aux chercheurs de montrer qu'à la veille de leur extinction, les grands reptiles marins étaient au sommet de la chaîne alimentaire marine. Cette étude, publiée le 25 mai 2017 dans Current Biology, suggère que cette situation de compétition pourrait être à l'origine de leur disparition par une raréfaction de leur source d'alimentation commune. Dans une précédente étude en 2015, Vincent Balter, chercheur CNRS, et ses collègues avaient déjà remarqué que les proportions d'isotopes stables du calcium des dents des animaux marins variaient progressivement depuis la base vers le sommet de la chaîne alimentaire. Les chercheurs ont analysé les proportions d'isotopes stables du calcium dans les dents de poissons, de carapaces de tortues, de requins et de reptiles marins provenant d'un site paléontologique au Maroc. Les fossiles, vieux de plus de 65 millions d'années, ont été traités chimiquement avant leur analyse afin d'éviter tout biais lié à la fossilisation. L'équipe de recherche a ainsi pu montrer que les poissons, les tortues et les requins avaient les mêmes proportions d'isotopes stables du calcium qu'aujourd'hui. Au contraire, les grands reptiles marins (elasmosaures et mosasaures) avaient des proportions caractéristiques des grands requins blancs actuels, et étaient donc au sommet de la chaîne alimentaire marine avant leur extinction.

Les travaux publiés le 30 mai dans PNAS impliquent des chercheurs du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (ENS Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), de l'Institut de génomique fonctionnelle (ENS Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), de la Faculté d'Odontologie de Lyon (Université Claude Bernard Lyon 1) et du Service d'Odontologie de Lyon (Hospices Civils de Lyon). Par ailleurs, l'étude parue le 25 mai dans Current Biology implique des chercheurs du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (ENS Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) en collaboration avec le Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements (MNHN/CNRS/ UPMC) ainsi que des chercheurs de la Direction de la géologie (Office chérifien des phosphates SA) au Maroc.

 

Canine de lait humaine dont l'émail a été prélevé pour réaliser des mesures des proportions des isotopes du calcium. L'épaisseur de l'émail est d'environ 500 µm.
© Théo Tacail

Canine de lait humaine dont l'émail a été prélevé pour réaliser des mesures des proportions des isotopes du calcium. L'épaisseur de l'émail est d'environ 500 µm.

 

 

Dent de Prognathodon sp., un mosasaure de grande taille trouvé en abondance dans les phosphates du Maroc.
© Philippe Loubry

Dent de Prognathodon sp., un mosasaure de grande taille trouvé en abondance dans les phosphates du Maroc.

 

  • 2Les analyses ont été réalisées sur un spectromètre de masse isotopique "Neptune+" financé par le Labex LIO (Lyon Institute of Origins).
Bibliographie

Calcium Isotopic Evidence for Vulnerable Marine Ecosystem Structure Prior to the K/Pg Extinction, Jeremy E. Martin, Peggy Vincent, Théo Tacail, Fatima Khaldoune, Essaid Jourani, Nathalie Bardet et Vincent Balter, Current Biology, 25 mai 2017. DOI: Consulter le site web

Assessing human weaning practices with calcium isotopes in tooth enamel, Théo Tacail, Béatrice Thivichon-Prince, Jeremy E. Martin, Cyril Charles, Laurent Viriot et Vincent Balter, PNAS, 30 mai 2017. DOI: 10.1073/pnas.1704412114 

Contact

Vincent Balter
CNRS Researcher
Léa Peillon-Comby
CNRS Press Office