La drosophile est capable de transmettre ses préférences sexuelles de manière culturelle
Des chercheurs du CNRS et de l’université Toulouse III – Paul Sabatier (UT3 – Paul Sabatier) viennent de montrer que les drosophiles possèdent toutes les capacités cognitives pour transmettre culturellement leurs préférences sexuelles d’une génération à l’autre. Cette étude publiée dans Science le 30 novembre 2018 fournit la première boite à outils expérimentale pour étudier l’existence de cultures animales, ouvrant ainsi tout un champ de recherche.
Bien que le processus culturel soit souvent considéré comme l’apanage de l’humain, l’existence de variations comportementales persistantes non imputables à des variations génétiques ou écologiques chez des espèces de primates ou d’oiseaux suggère fortement l’existence possible d’une transmission culturelle chez un certain nombre de vertébrés. Pour la première fois chez des insectes, des chercheurs du laboratoire Évolution et diversité biologique (CNRS/UT3/IRD)1
, du Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/UT3) et leurs collaborateurs internationaux ont montré l’existence de tous les mécanismes conduisant à la transmission culturelle.
Les drosophiles, aussi appelées mouches du fruit, sont connues pour leur capacité à apprendre et imiter les préférences sexuelles de leurs congénères après avoir observé leurs accouplements. Mais cette transmission peut-elle être considérée comme « culturelle » ? Pour le savoir, les chercheurs ont testé cinq critères devant être remplis pour pouvoir affirmer qu’un comportement est transmis culturellement : 1) le comportement doit être appris socialement, c’est-à-dire en observant des congénères, 2) être enseigné par des individus plus âgés, 3) être mémorisé à long terme, 4) concerner des caractéristiques des individus, telle que leur couleur, plutôt que les individus eux-mêmes, et 5) être conformiste, c’est-à-dire que les individus doivent apprendre le comportement le plus fréquent dans la population. Contre toute attente, l’équipe a mis en évidence que l’apprentissage des préférences sexuelles chez la drosophile remplit bien ces cinq critères.
Des simulations informatiques ont de plus montré que ces caractéristiques peuvent effectivement conduire à l’émergence de traditions culturelles durables le long de chaînes de transmission où les mouches observatrices d’une génération deviennent les démonstratrices de la génération suivante. Les auteurs ont enfin comparé ces simulations à des chaines de transmission expérimentales et constaté une correspondance parfaite entre leur modèle et l’expérience. Ils ont en outre mis en évidence le rôle clé joué par le conformisme pour la mise en place de traditions locales durables.
Ainsi, les drosophiles ont toutes les capacités d’apprentissage social pouvant conduire à l’émergence de traditions culturelles durables. Ces résultats élargissent considérablement le spectre taxonomique du processus culturel et suggèrent que, contrairement à l’idée la plus répandue, l'hérédité culturelle pourrait affecter l’évolution d’un très grand nombre d’espèces animales, bien au-delà des seuls vertébrés à forte capacité cognitive tels que les primates et les oiseaux.
- 1Ces recherches ont démarré grâce au projet New Frontiers du Labex Tulip en 2012, et ont ensuite reçu des financements de l’Idex toulousain, de l’Agence nationale de la recherche, et d’une bourse européenne. Elles bénéficient également du soutien du Labex IAST.
Cultural flies: conformist social learning in fruit flies predicts long-lasting mate-choice traditions. Etienne Danchin, Sabine Nöbel, Arnaud Pocheville, Anne-Cecile Dagaeff, Léa Demay Mathilde Alphand, Sarah Ranty-Roby, Lara van Renssen, Magdalena Monier, Eva Gazagne, Mélanie Allain et Guillaume Isabel. Science, le 30 novembre 2018. DOI : 10.1126/science.aat1590