Du contexte au cortex : à la découverte des neurones sociaux
L'existence de nouveaux neurones sociaux vient d'être mise en évidence par des chercheurs de l'Institut de neurosciences des systèmes (Aix-Marseille Université/Inserm), du Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (Université Clermont Auvergne/CNRS) et de l'Institut de neurosciences de la Timone (Aix-Marseille Université/CNRS). Ces recherches menées chez le singe ont montré que lorsque l'animal est amené à réaliser une tâche, des neurones différents s'activent selon la présence ou non d'un congénère. Ces résultats, publiés dans la revue Social Cognitive and Affective Neuroscience, améliorent notre compréhension du cerveau social et permettent de mieux comprendre le phénomène de facilitation sociale1.
Un enjeu majeur des neurosciences est de comprendre le fonctionnement du cerveau dans son environnement social. La collaboration inédite d'un spécialiste de la neurophysiologie du primate avec un spécialiste de psychologie sociale expérimentale vient de révéler l'existence de deux nouvelles populations de neurones dans le cortex préfrontal : des « neurones sociaux » et des « neurones asociaux ».
La plupart des aires cérébrales sont associées à des tâches spécifiques. Certaines, connues pour être spécialisées dans le traitement de l'aspect social des informations, constituent le cerveau social. Dans le cadre de la thèse de Marie Demolliens2, Driss Boussaoud et Pascal Huguet, chercheurs CNRS, ont proposé à des singes une tâche durant laquelle ils devaient associer une image (présentée sur un écran) à l'une des quatre cibles qui leur étaient également présentées (aux quatre coins de l'écran). Cette tâche associative implique le cortex pré-frontal mais pas les aires cérébrales dites sociales. Les chercheurs ont alors enregistré de manière quotidienne l'activité électrique de neurones dans cette région cérébrale pendant que les singes réalisaient la tâche demandée en présence ou en l'absence d'un congénère.
Bien que les neurones enregistrés dans le cortex préfrontal soient avant tout impliqués dans la réalisation de la tâche visuo-motrice, l'étude a révélé que la plupart se montrent sensibles à la présence ou l'absence du congénère. Ainsi, certains neurones ne s'activent fortement sur la tâche proposée que lorsque le congénère est présent (d'où leur nom de « neurones sociaux ») alors que d'autres ne s'activent fortement qu'en l'absence du congénère (« neurones asociaux »). De manière encore plus surprenante, plus les neurones sociaux s'activent en présence du congénère, plus le singe réussit la tâche proposée. Les neurones sociaux sont donc à la base de la facilitation sociale. De même, plus les neurones asociaux s'activent en l'absence du congénère, plus le singe réussit la tâche proposée (cependant moins bien qu'en condition de présence du congénère et donc d'activation des neurones sociaux). Les chercheurs ont également montré que si les neurones sociaux s'activent en l'absence du congénère ou si les neurones asociaux s'activent en sa présence (deux cas beaucoup plus rares), la performance du singe diminue.
Ces travaux révèlent l'importance du contexte social dans le fonctionnement de l'activité neuronale et ses conséquences comportementales : pour une même tâche, le cerveau n'utilise pas nécessairement les mêmes neurones selon la présence ou non d'un congénère. Les neurones sociaux pourraient ainsi ne pas être réductibles aux régions cérébrales réputées éminemment sociales mais être distribués à l'échelle du cerveau tout entier pour permettre la réalisation de différentes tâches (qu'elles soient sociales ou non). Ce résultat permet de repenser le cerveau social ainsi que certains troubles du comportement caractéristiques de l'autisme ou de la schizophrénie.
Social and asocial prefrontal cortex neurons: a new look at social facilitation and the social brain, Marie Demolliens, Faiçal Isbaine, Sylvain Takerkart, Pascal Huguet*, Driss Boussaoud* (equal contribution), Social Cognitive and Affective Neuroscience, 11 avril 2017. DOI : 10.1093/scan/nsx053