Chez ce nématode, les mâles sont nécessaires à la reproduction, mais pas leurs gènes

Biologie

Chez le ver Mesorhabditis belari, les mâles servent uniquement à aider les femelles à produire des clones d’elles-mêmes. Ce mode de reproduction inédit vient d’être décrit par des chercheurs du CNRS, de l’ENS de Lyon, de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et du Muséum national d'Histoire naturelle, dans un article publié le 15 mars 2019 dans la revue Science.

En 1949, le jeune biologiste Victor Nigon présentait dans son travail de thèse ses observations sur la reproduction de diverses espèces de nématodes, des petits vers ronds vivant dans les sols. Et parmi elles, le ver Mesorhabditis belari chez qui les rares mâles présents dans la population sont nécessaires à la reproduction bien que le matériel génétique des spermatozoïdes soit rarement utilisé par l’ovule. L’embryon qui se développe donne naissance à une femelle, clone de sa mère.

Soixante-dix années plus tard, ce ver a piqué à nouveau la curiosité d’une équipe de recherche internationale pilotée par des chercheurs du CNRS, de l’ENS de Lyon, de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et du Muséum national d'Histoire naturelle1 . Ils ont confirmé les premières observations de Victor Nigon, mais ont également noté que dans les 9 % des cas où le matériel génétique est utilisé après fécondation, l’embryon donne naissance à un mâle. Ainsi, les mâles ne peuvent disséminer leurs gènes qu’à leurs fils. M. belari représente donc un cas unique, où les mâles n’ont pas de contribution génétique, et peuvent être vus comme une simple extension des femelles pour les aider à démarrer le développement de leurs œufs.

Si les mâles ne servent pas à disséminer les gènes de leur mère, alors il faut qu’ils servent au moins à ce que la mère produise le plus de descendants possibles. Cela n’est possible que si les fils qu’une femelle produit aident ses propres filles à produire un grand nombre d’embryons. En d’autres termes, si les mâles fécondent préférentiellement leurs sœurs.

Mais pourquoi la proportion de 9 % de mâles a-t-elle été retenue au cours de l’évolution, et non 2 % ou 20 % par exemple ? En utilisant la « théorie des jeux », les chercheurs ont montré que produire 9 % de mâles était une stratégie évolutivement stable : cette quantité est suffisante pour s’assurer qu’un maximum de descendantes femelles soient produites, sans pour autant gaspiller trop de ressources dans la production de mâles dont les gènes n’ont aucun avenir.

L’asexualité est un mode de reproduction où des espèces composées uniquement de femelles produisent des clones d’elles-mêmes. Au contraire de la sexualité, où des individus de sexe mâle permettent le brassage génétique avec les femelles. M. belari présente un cas nouveau, où des mâles peuvent être utiles à la reproduction des femelles, même sans brassage génétique. L’équipe de recherche compte maintenant poursuivre ces travaux en essayant de comprendre comment un tel mode de reproduction a pu émerger, et en testant la stabilité de l’espèce M. belari via l’étude de son génome.

Deux spécimens de nématodes Mesorhabditis belari
© Marie DELATTRE/LBMC/CNRS Photothèque
Montage de photographies en fluorescence d’embryons de M. belari en cours de division. Le cytosquelette est coloré en vert, l’ADN femelle en magenta et l’ADN mâle en blanc. On peut observer que l’ADN mâle n’est pas intégré au noyau des cellules de l’embryon en cours de division.
© Marie DELATTRE/LBMC/CNRS Photothèque

 

  • 1En France, ces travaux ont été menés au sein du Laboratoire de biologie et modélisation de la cellule (CNRS/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), de l’Institut de biologie de l'École normale supérieure (CNRS/ENS de Paris/Inserm) et de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (CNRS/MNHN/EPHE/Sorbonne Université)
Bibliographie

Males as somatic investment in a parthenogenetic nematode. Manon Grosmaire, Caroline Launay, Marion Siegwald, Thibault Brugière, Lilia Estrada-Virrueta, Duncan Berger, Claire Burny, Laurent Modolo, Mark Blaxter, Peter Meister, Marie-Anne Félix, Pierre-Henri Gouyon et Marie Delattre. Science, le 15 mars 2019. DOI : 10.1126/science.aau0099

Contact

Marie Delattre
Chercheuse CNRS
François Maginiot
Attaché de presse CNRS