La transition bas carbone du CNRS avance
Un peu plus d’un an après son lancement, la transition bas carbone du CNRS voit d’ores et déjà ses premiers effets concrets se matérialiser. Tour d’horizon de ses principales réussites.
Le développement durable a ceci de paradoxal qu’on n’en voit pas toujours les effets immédiats. Blandine De Geyer, référente nationale développement durable du CNRS, explique ce phénomène par la mise en place d’un plan de transition comme celui du CNRS qui « demande à l’échelle de l’établissement un temps de sensibilisation et d’accompagnement pour embarquer l’ensemble des collectifs de travail et ancrer durablement le changement. Néanmoins, dans le cadre de l’animation du réseau de référents, nous pouvons d’ores et déjà, un peu plus d’un an après le lancement de notre plan de transition, constater les dynamiques engagées à l’échelle des dix-sept délégations régionales et des dix instituts scientifiques ».
De fait, pas après pas, le plan de transition bas carbone du CNRS, lancé fin 2022, a pu dès à présent rendre concrets des pans entiers de la transition environnementale.
Sensibiliser et former, premier levier pour initier une démarche globale
Parmi ces éléments rendus concrets, Patrice Guyomar référent développement durable de la délégation Occitanie Est du CNRS, s’est attaqué au « premier levier pour susciter l’adhésion et initier une démarche globale » : la sensibilisation et la formation des agents aux problématiques environnementales. Avec sa collègue Fanny Verhille, responsable formation de la délégation Occitanie Est, ils ont pu mettre en place, entre février 2023 et janvier 2024, un premier cycle de formation d’animateurs et d’animatrices à la Fresque du climat. Au total, ce sont neuf personnes, aussi bien du CNRS que de ses partenaires montpelliérains, qui ont suivi cette première offre de formation en la matière et ont désormais rejoint le vivier des fresqueurs et fresqueuses du CNRS.
La mise en place d’une telle formation, inédite au CNRS, n’a pas été sans obstacles ; comme le résume Patrice Guyomar, « il fallait sans cesse arbitrer entre l’urgence d’agir et l’efficacité d’un plan d’actions efficace et structuré ». Parmi les difficultés rencontrées, le binôme a dû répondre à un certain nombre d’interrogations des personnels à l’idée de devenir fresqueur ou fresqueuse, une nouvelle mission que beaucoup appréhendait. « Être fresqueur, c’est avant tout être acteur du changement et décliner la démarche institutionnelle par des actions concrètes telles que l’animation des différentes fresques, rassure Fanny Verhille. Chacun est libre de s’investir selon sa charge de travail. Nous souhaitons avant tout accompagner les agents dans la mise en œuvre de cette nouvelle mission transverse ».
Vers des achats écoresponsables
Par-delà cette nécessaire sensibilisation, le CNRS a mis en place un certain nombre de mesures pour diminuer son impact carbone. Des différents domaines évalués dans son bilan carbone en 2019, les achats pesaient pour l’essentiel de l’impact (74 % du total). C’est pourquoi s’orienter vers des pratiques écoresponsables pour limiter leur poids est devenue l’une des priorités de la direction déléguée aux achats et à l’innovation (DDAI), qui en a fait un nouveau mot d’ordre. Dorénavant, on « achète moins pour acheter mieux », rappelle son directeur, Sébastien Turci. C’est pourquoi, dès le mois de mai 2023, trois ans avant l’obligation légale pour tous les acheteurs publics, le CNRS a publié une instruction sur les achats écoresponsables, qui imposait à compter du 1er juin à l’ensemble des acheteurs régionaux d’intégrer des critères environnementaux dans leurs marchés formalisés.
Dans la continuité de ce geste fort, la DDAI a monté un groupe de travail composé d’acheteurs régionaux afin de lister, de manière plus exhaustive, des exemples de critères selon les différents segments d’achats. Les acheteurs peuvent désormais demander à leurs fournisseurs des engagements concrets en matière d’emballage, de transport, de recyclabilité ou de réparation de leur matériel, etc. La constitution de cette matrice nationale préfigure le futur schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables1 (Spaser) que le CNRS devra mettre en œuvre d’ici la fin d’année. Ce faisant, comme l’observe Sébastien Turci, elle « vise à faire monter tout le monde en compétences, aussi bien les acheteurs que les prescripteurs en laboratoire et leurs fournisseurs, afin d’entrer dans un cercle vertueux d’achats écoresponsables ».
La restauration, terrain d’expérimentations pour le développement durable
En attendant de voir les effets de ces critères dans les commandes en laboratoires, il est un segment d’achats qui a déjà entamé sa mue : la restauration collective. Comme le relève Virginie Mahdi, déléguée régionale adjointe de la délégation Occitanie Ouest, ce secteur devient aisément « un terrain d’expérimentations RSE2 ». Sa délégation, pilote pour le CNRS, se livrera à de telles expérimentations dès le 1er janvier 2025, après le renouvellement du marché de la restauration collective, le plus important du CNRS avec environ 1100 couverts/jour, qui verra l’introduction de critères sociaux et environnementaux « très poussés » qui pèseront jusqu’à 20 % de l’évaluation de chaque fournisseur, là où l’actuelle instruction relative aux achats écoresponsables du CNRS recommande un minimum de 10 %. Après avoir enquêté auprès de différents prestataires pour estimer l’état du marché, la délégation toulousaine a opté, comme le souligne Virginie Mahdi, pour « la diminution de la diversité de l’offre pour se recentrer sur la qualité de produits ». Adieu donc aux bouteilles en plastique individuelles et aux pots de yaourt et compotes, désormais servis dans des tétrapacks et des contenants en dur, et bienvenue aux produits issus de l’agriculture biologique en circuit court. Quant aux invendus, ils seront soit revendus aux usagers en fin de journée, soit donnés à des associations.
Il en va de même pour le restaurant parisien de la délégation Paris-Normandie, ses 350 couverts journaliers et la « valeur exemplaire et stratégique » du siège que professe Anthony Venier, acheteur et référent développement durable. Sa délégation emboîtera le pas à Toulouse à compter du 1er mars 2025 et, comme elle, diminuera son offre alimentaire, passant de sept à huit entrées et desserts dressés à trois de chaque, de manière à limiter le gaspillage – qui représentait jusqu’à seize tonnes de biodéchets en 2023. L’acheteur pointe toutefois les difficultés économiques rencontrées par les entreprises de restauration collective. À ses yeux, « on travaille aussi pour que le prestataire s’y retrouve ». Un point que rejoint Céline Andreu, chargée d’études restauration à la direction des ressources humaines du CNRS : « Toute la difficulté consiste à conserver un marché suffisamment attractif pour les prestataires de restauration, dans un contexte inflationniste, tout en y intégrant des enjeux environnementaux ».
Sans attendre le renouvellement de son marché, prévu pour 2026, la délégation Provence et Corse a pour sa part négocié avec son prestataire pour intégrer, dès à présent, des pratiques plus écoresponsables à la restauration collective. Le groupe de travail Carboneutre, animé par la référente développement durable Virginie Blanc Schwander, avait en effet constaté l’impact carbone non négligeable de la cantine dans le bilan de gaz à effet de serre (GES) de la délégation. Quelle ne fut pas la surprise de la référente en découvrant qu’« avec presque 50 tonnes eqCO2, la restauration collective représentait notre troisième poste d’émissions de GES, derrière les achats (237 tonnes) et presque autant que les déplacements domicile-travail (56 tonnes) » ! Cet étonnement initial mobilise les membres de son groupe de travail et en particulier Valérie Léon, responsable de la gestion du budget de l’action sociale de la délégation marseillaise. Enquêtant auprès de son prestataire actuel et d’autres fournisseurs, la responsable a pu travailler avec la gérante du restaurant pour « améliorer qualitativement et quantitativement les propositions végétariennes et y sensibiliser les convives avant même l’élaboration du nouveau cahier des charges ». Désormais, 15 % des agents prennent un repas végétarien, une proportion qui monte à 20 % le jour des raviolis !
Des bâtiments plus économes
Même si elles pèsent moins que les achats dans le bilan carbone de l’établissement, les consommations énergétiques des bâtiments et les déplacements domicile-travail représentent à elles deux presque 15 % des GES du CNRS. Ces deux domaines peuvent bénéficier de mesures d’atténuation assez rapides à mettre en place. En témoigne la réduction drastique de la consommation d’énergie au CNRS : en un an à peine, l’organisme l’a diminuée de presque 8 %, soit quasiment le seuil de 10 % exigé par les consignes ministérielles. Cette baisse significative s’explique, d’une part, par les travaux d’isolation bâtimentaire que le CNRS a pu mener, par exemple au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, qui a réduit en 2023 sa consommation de 37 % pour l’électricité et de 80 % pour le gaz, par rapport à 2017, grâce à la pose de panneaux photovoltaïques et de registres modulants sur les systèmes de ventilation, à l’installation d’un système de récupération de chaleur et à une meilleure supervision de ses dépenses énergétiques. Il en va de même pour le supercalculateur Jean-Zay, qui chauffe désormais intégralement son bâtiment et l’équivalent de 1000 logements neufs sur le plateau de Saclay en réutilisant la chaleur fatale nécessaire à son refroidissement. D’autre part, la mise en place de réseaux professionnels de correspondants techniques bâtiments et de référents développement durable et la sensibilisation des communautés scientifiques ont facilité le partage d’expérience et de bonnes pratiques en matière de sobriété énergétique.
Le CNRS enfourche son vélo
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à l’usage de la voiture, souvent individuelle et thermique, qui représente 87 % des émissions des déplacements domicile-travail de ses presque 33 000 agents, le CNRS a mis en place une politique nationale en faveur des mobilités douces, en particulier du vélo. Cette dernière sera particulièrement visible au mois de mai prochain, au cours du challenge « Mai à vélo ». Pour la première fois, les « vélotaffeurs et vélotaffeuses » du CNRS pourront concourir sous une bannière nationale commune. Julie Quillé, référente développement durable de la délégation Alsace – engagée de longue date dans la promotion de la petite reine – et coordinatrice 2024 de l’événement pour le CNRS, égrène quelques chiffres pour illustrer ce que représente une pratique massive du vélo dans le cadre professionnel : « L’an dernier, en Alsace, 44 participants de l’unité de la délégation Alsace ont rejoint le challenge interservices “Au boulot à vélo” pour un total de plus de 7000 km. Et, si l’on comptabilise les 14 équipes intégrant des personnels CNRS, on obtient un total de 45 777,7 km en 2023 ». Soit un peu plus d’une fois le tour de la Terre !
Par-delà le caractère mobilisateur d’un challenge comme « Mai à vélo », le CNRS escompte pérenniser la pratique cycliste de ses agents à travers des aménagements et des dispositifs sur le long terme. Car, comme le rappelle Séverin Baron, référent national développement durable adjoint, « le vélo est à la fois une trajectoire d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ». Pour ce faire, le CNRS ambitionne d’équiper de places de stationnement dédiées 75 % de ses sites d’ici la fin d’année et 100 % d’ici 2027, en s’appuyant sur les programmes nationaux « Employeur pro vélo » et « Alvéole Plus ». En parallèle, il souhaite porter le taux de ses agents bénéficiaires du forfait mobilités durables, actuellement de 10 %, à 20 % dans trois ans, conformément à la circulaire « Service publics écoresponsables ».
Une pratique du vélo que l’organisme espère d’autant plus massive qu’elle recèle un certain nombre de co-bénéfices pour le CNRS et ses agents : outre la baisse des émissions de CO2 et de polluants, des bénéfices santé de l’activité physique ou encore la possibilité de réallouer des espaces pour la biodiversité ou la qualité de vie au travail. On estime ainsi que chaque kilomètre parcouru à vélo permettrait d’éviter environ un euro de coût de santé en France3 .
Pas après pas, tour de roue après tour de roue, le CNRS avance dans sa transition bas carbone. Prochaines étapes de sa mue environnementale : la définition du Spaser et d’un schéma directeur « Développement durable & responsabilité sociétale » ainsi qu’un plan pour mieux prendre en compte notre impact sur la biodiversité.
- 1Ce schéma est un outil permettant de déterminer les objectifs de passation de marchés publics. Ces objectifs concernent en priorité deux versants : le social et l’environnement. Son objectif est d’encourager les acheteurs publics à effectuer des achats responsables. Il s’inscrit également dans le plan national d’action pour l’achat public durable.
- 2La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) désigne l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. En d'autres termes, la RSE c'est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. Une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable.
- 3https://theconversation.com/le-velo-un-potentiel-inexploite-pour-ameliorer-la-sante-et-le-climat-225010