PEPR SupraFusion : quelle place pour la supraconductivité et la fusion dans le monde de demain ?

Institutionnel

Les supraconducteurs à haute température – au cœur du Programme et équipements prioritaires de recherche exploratoire (PEPR) SupraFusion, porté par le CNRS et le CEA – font l’objet de percées importantes aux retombées sociétales potentiellement majeures. En se concentrant sur leur utilisation pour la fusion nucléaire, le programme vise à renforcer la position de la France dans la compétition mondiale. Présentation par Pascal Tixador, co-directeur du PEPR pour le CNRS, à l'occasion de son lancement le 8 décembre 2023.

Qu’est-ce que la supraconductivité et quelles sont ses applications ?

Pascal Tixador 1 : Le phénomène de supraconductivité est caractérisé par des propriétés électriques, magnétiques et quantiques particulières2 . Il se manifeste lorsque certains métaux ou alliages sont refroidis à des températures très basses. La température critique à laquelle un matériau devient supraconducteur dépend ensuite de sa composition chimique. Pour ceux dits « conventionnels », qui sont les plus répandus, cette température se situe en dessous de 20 kelvin (-253° C). Le marché de la supraconductivité dans le monde est actuellement dominé par ces derniers que l’on retrouve, entre autres, en imagerie médicale, en analyse (spectroscopie RMN – résonance magnétique nucléaire), en physique des hautes énergies (Grand collisionneur de hadrons au CERN) ou encore en électronique.

En 1986, la découverte d’autres supraconducteurs dits à haute température critique (au-dessus de 30 kelvin (-243° C) a suscité un enthousiasme considérable. Mais leur mise en œuvre sous forme de conducteurs peu chers s'est avérée particulièrement complexe. Des experts du domaine considèrent d’ailleurs qu’il s’agit sans doute d’un des matériaux chimiquement les plus avancés de la production industrielle actuelle. Néanmoins, des percées significatives sur ces matériaux réalisées ces dernières années ouvrent la voie à de nouvelles perspectives d’applications sociétales de la supraconductivité à haute température.  

Quels sont les avantages des supraconducteurs à haute température comparés aux conventionnels ?

P. T. : Ils présentent deux avantages principaux. Premièrement, quand le champ magnétique produit avec les supraconducteurs n’est pas trop élevé, ils offrent la possibilité de travailler à des températures beaucoup plus élevées que celles obtenues d'ordinaire, notamment celle de l'azote liquide qui est un fluide industriel très répandu. Leur potentiel est ainsi intéressant pour des applications telles que les câbles supraconducteurs ou les limiteurs de courant de défaut qui permettent, dans certains cas, de résoudre les problèmes de court-circuit. Ils offrent aussi des perspectives très intéressantes notamment dans le cadre de l’augmentation de la part de l’énergie électrique dans notre mix énergétique pour parvenir à la neutralité carbone.

Deuxièmement, les supraconducteurs à haute température peuvent produire des champs magnétiques plus élevés qui pourraient être très intéressants pour la fusion magnétique, par exemple. Beaucoup d’initiatives internationales vont d’ailleurs dans ce sens. Toutefois, de nombreux défis sont à résoudre pour que cela devienne possible. C’est là qu’entre en jeu le PEPR3 SupraFusion qui va étudier à la fois les supraconducteurs à haute température et leur utilisation dans le cadre de la fusion, mais pas que.

Comment s’organise le PEPR SupraFusion, que vous codirigez avec Pierre Védrine et Jérôme Bucalossi pour le CEA ?

P. T. : Le PEPR va explorer des domaines où tout reste à trouver. Il va pour cela renforcer la communauté académique et industrielle française et assurer la formation autour de technologies encore peu répandues.

Côté recherche, le programme s’articule autour de trois axes principaux. Le premier vise à développer des technologies de base en vue de futurs développements industriels, c'est-à-dire des conducteurs, des bobines, etc. Il va donc mettre au point les briques élémentaires qui serviront de support aux applications. Le deuxième axe se concentre sur la réalisation d’un démonstrateur d’envergure pour la fusion. Celui-ci sera à son tour un formidable vecteur pour toutes les autres applications des supraconducteurs à haute température critique qui seront explorées dans un dernier axe. En effet, ces derniers pourraient servir au développement d’IRM à très forts champs, à des solutions novatrices pour les réseaux électriques ou encore pour les énergies renouvelables. L’ensemble de ces opportunités seront explorées et feront l’objet d’appels à projets en cours de route.

Quels verrous doivent notamment être levés pour aboutir à des applications ?

P. T. : L’essentiel du chemin a été fait sur les matériaux et sur le ruban que forme le supraconducteur, même si les marges de progressions restent fortes. Il faut notamment imaginer et développer industriellement le conducteur, c’est-à-dire l’assemblage judicieux de rubans qui est indispensable pour les applications visées. Un autre défi est de concevoir et développer des aimants supraconducteurs à haute température et de très grande énergie qui soient protégés pour un fonctionnement sécurisé.

Dans ce cadre, le PEPR s’appuiera sur des plateformes technologiques existantes qui seront améliorées et de nouvelles plateformes seront mises en œuvre. L’objectif est d’avoir un support sur toute la chaîne de développement, jusqu’aux tests de preuve de concept pour l’industrie.

Par ailleurs, un des problèmes concernant plus particulièrement la fusion et le recours à ces matériaux porte sur la mécanique. Les champs magnétiques et les courants élevés utilisés dans cette application vont engendrer des forces importantes qui imposent de repenser les structures existantes. L'intégration de plusieurs aspects de la physiques, tels que la mécanique des fluides, la thermodynamique, l'électromagnétisme, la mécanique des structures, etc., dans une seule simulation nous permettra alors de mieux comprendre ce qui se passe à différentes échelles et d’aller plus vite vers des solutions efficaces.

Quelles seront les retombées potentielles de ce programme pour la société ?

P. T. : Grâce à leurs performances uniques, les supraconducteurs à haute température pourraient créer un changement de paradigme avec la création de réacteurs de fusion magnétique beaucoup plus compacts et moins onéreux. Cela pourrait, à plus long terme, renforcer la place de la fusion dans la liste des candidats aux énergies d’avenir.

Comme mentionné précédemment, les avantages de ces matériaux pourraient également se traduire par des avancées très importantes pour les réseaux électriques (éolienne, câble, limiteur de courant), et l'imagerie médicale, mais aussi la mobilité à faible émission de carbone (avions et bateaux), la physique des hautes énergies ou encore la science des matériaux.

Enfin, des pays comme le Japon et l’Allemagne sont déjà bien avancés sur l’élaboration de ces matériaux. Les États-Unis mènent, quant à eux, une R&D importante sur les matériaux et leur utilisation pour la fusion. Le savoir-faire qui sera acquis au cours de ce programme visera donc à apporter de nouvelles opportunités à l’industrie française pour la positionner en tête de cette compétition mondiale comme c’est le cas avec les supraconducteurs conventionnels.

  • 1Enseignant-chercheur de Grenoble INP membre du Laboratoire de génie électrique de Grenoble (CNRS/Université Grenoble Alpes) et de l’Institut Néel et spécialiste des matériaux supraconducteurs.
  • 2La supraconductivité désigne le phénomène physique par lequel des matériaux deviennent capables, actuellement à de très basses températures, de conduire le courant électrique sans aucune résistance
  • 3Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et considérés comme prioritaires au niveau national ou européen.