« Nos unités sont de véritables outils de diplomatie scientifique »
Le réseau des laboratoires en sciences humaines et sociales français présents dans le monde s’est réuni le 30 mai au campus Condorcet à Paris.
Sous la cotutelle du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et du CNRS, le réseau des Unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger (Umifre) est présent dans plus de 30 pays sur tous les continents avec 251 centres de recherche en sciences humaines et sociales. Portant autant sur les civilisations passées que sur leurs transformations actuelles, les recherches de ces unités contribuent à l’avancée des connaissances sur des thématiques englobant toutes les disciplines des SHS et beaucoup d’autres enjeux globaux tels que le climat, le développement durable ou encore la transition démographique. Leurs missions : produire de la recherche, la valoriser, faire de la formation et participer à la décision publique.
C’est pour mettre en avant ce réseau exceptionnel que le MEAE, en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et le CNRS, a organisé une journée inter-Umifre au Campus Condorcet, à Aubervilliers le 30 mai. « Il s’agissait d’affirmer la place des Umifre dans le paysage de l’ESR français - notamment dans le renouvèlement des viviers de chercheurs - et de renforcer partout où cela est possible le réflexe ‘équipe France’ lorsque l’on est à l’international », décrit Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence au MEAE.
Une centaine de personnes ont répondu présent à l’invitation - directrices et directeurs d’Umifre, chercheuses et chercheurs en SHS ou encore agents du MEAE – pour une journée rythmée de tables rondes sous la thématique des « atouts des Umifre ».
Recherche en terrains sensibles
« Cette journée est venue confirmer la vocation centrale de nos Umifre : faciliter l’accès des chercheurs en SHS à leurs objets d’études à l’étranger, de plus en plus remis en cause par des terrains devenus inaccessibles », décrit Matthieu Peyraud. Une idée partagée par Myriam Catusse, directrice de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) dont les recherches couvrent cinq pays : le Liban, la Jordanie, les Territoires palestiniens, l’Irak et la Syrie. « Avec la guerre en Syrie depuis 2011 et la rupture des relations franco-syriennes, il a fallu réorganiser le travail de l’ensemble de nos chercheurs, privés d’accès au ‘terrain’. Nous nous sommes appuyés sur nos partenariats et travaux précédents pour publier ce qui était possible de l’être et poursuivre la recherche par d’autres moyens », explique Myriam Catusse décrivant comment l’IFPO a déployé des nouvelles méthodes de recherche sur la Syrie en guerre sans accès au terrain grâce aux enquêtes aux frontières ou encore aux données numériques, mais également comment l’institut et ses partenaires ont structuré des réseaux de soutien à la recherche syrienne en exil. « On voit les mêmes réflexes au sujet de l’Ukraine, de la Russie, du Yémen ou du Soudan », souligne-t-elle. « Le réseau permet l’émergence d’alternatives dont les Umifre ont su se saisir : la recherche en pays limitrophes permettant de garder le contact avec le terrain du fait de la proximité ; la recherche déléguée à des chercheurs locaux avec toutes les limites que cela implique ; ou encore la recherche à distance permise par les outils numériques et la circulation des données, mais qui souffre de l’absence de contact sur place », rappelle Matthieu Peyraud.
Pour Jean-Nicolas Bach, directeur du Centre français des études éthiopiennes (CFEE) basé à Addis-Abeba en Éthiopie, il est important de parler depuis la perspective du terrain, lui qui a la double expérience d’avoir été directeur de deux Umifre : le Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales au Soudan (durant la révolution) et aujourd’hui le CFEE en Éthiopie (pays sortant d’une guerre de deux ans). « Il y a la question de la sécurité physique face à une situation de conflit ou encore celle de la peur lorsque l’on mène des enquêtes dans un régime autoritaire », décrit-il. Il ajoute : « Plus généralement, face à un conflit ouvert ou un conflit latent, se pose la problématique de la durabilité du terrain et la réalisation que tout un investissement de long terme dans un pays qui n’est pas le sien peut être perdu du jour au lendemain. C’est au milieu de toutes ces difficultés que les Umifre nous donnent un espace sécurisé sur le temps long : les autorités locales comprennent que nous sommes des chercheurs et non des militants ou des espions, et l’affiliation MEAE nous permet d’être identifiés et protégés. »
Les Umifre, des centres gravitationnels
Autour des UMIFRE gravitent plusieurs cercles : chercheuses et chercheurs, réseaux locaux, mais aussi autres opérateurs français de recherche, ainsi que les écoles françaises à l’étranger - car la formation de la jeune recherche française est l’une des missions des Umifre. « L’idée a été de mettre en avant l’intérêt d’un tel réseau pour le développement d’une recherche internationalisée en SHS, explique Myriam Catusse dont l’institut est implanté depuis plus de 100 ans au Proche-Orient. Il est possible de produire des données empiriques sur des terrains éloignés lors de missions, mais une unité installée permet, elle, de construire des réseaux de recherche et de formation pérennes et solides. »
« Les Umifre sont un modèle atypique qui permet de faire dialoguer chercheurs et diplomates, le tout en conservant une indépendance qui est essentielle », commente Matthieu Peyraud. Car les Umifre sont bien de véritables outils de diplomatie scientifique et servent de lieux de rencontre pour confronter différents points de vue. Pour Myriam Catusse, il s’agit parfois de « recherche plus appliquée, voire d’expertises » avec l’utilisation de données pour accompagner l’action publique. « Nous avons eu de très grands programmes de recherche sur les migrations à l’échelle du Proche-Orient. Cela nous rend compétents pour travailler, par exemple aujourd’hui avec l’Agence française de développement2 afin de mieux comprendre les logiques d’urbanisation dans la région - avec notamment la question des camps de réfugiés », explique-t-elle. « Nous avons besoin des chercheurs pour étayer nos positions. Et à l’inverse nous portons dans les enceintes internationales des positions qui sont partagées par les chercheurs », conclut le directeur de la diplomatie d’influence du MEAE.
- 1Il existe 27 Institut français de recherche à l’étranger (IFRE) mais seul 25 ont la cotutelle MEAE/CNRS : ce sont les unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger (Umifre).
- 2Le groupe Agence française de développement (AFD) contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale sur des thématiques telles que le climat, la biodiversité, la paix, l’éducation, l’urbanisme, la santé, ou encore la gouvernance.