PEPR Origins – entre ruptures technologiques et origines de la vie

Institutionnel

Piloté par le CNRS et doté d’un budget de 45,5 millions d’euros sur 7 ans, le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire Origins vise à développer de nouveaux instruments pour aider à percer le mystère des origines de la vie. Alessandro Morbidelli, co-coordinateur du programme, en présente les enjeux et les retombées potentielles sur la société.

Le PEPR exploratoire Origins, que vous coordonnez avec Maud Langlois (CNRS), s’inscrit dans la recherche sur les origines de la vie. Quels sont les grands enjeux autour de cette thématique ?
Alessandro Morbidelli1  : La grande question scientifique est d’identifier l’origine de la vie et des planètes. La découverte de toujours davantage de planètes extrasolaires pose des questions légitimes qui intéressent beaucoup la société : sommes-nous seuls dans l’Univers ? Existe-t-il d’autres formes de vie et pourrions-nous interagir avec elles ? Si ces questionnements sont fondamentaux, il est pour autant nécessaire de développer de nouveaux instruments en support à ces recherches. Ces développements devraient bénéficier tant technologiquement qu’économiquement à la société. C’est pourquoi nous avons proposé ce PEPR dans le contexte du plan France 2030.

Quels types d’instruments seront développés dans le cadre du PEPR et pour quelles applications ?
A. M. : Nous envisageons de développer 17 instruments en réponse à différents enjeux de notre communauté. Pour commencer, la caractérisation de la nature des planètes extrasolaires passera par de nouvelles technologies d’imagerie directe. Nous voulons mettre la communauté française en position de force avec la réalisation d’un instrument pour le Télescope géant européen (ELT) – en cours de construction par l'Observatoire européen austral (ESO) – qui devrait, lui-même, révolutionner la recherche en astronomie. Autre enjeu : l’analyse de prélèvements de corps célestes, avec le retour prévu en 2030 des premiers échantillons d’une lune de Mars, puis quelques années plus tard, de la planète Mars, elle-même. L’analyse de ces échantillons aura lieu dans un contexte de forte compétition internationale et nous ciblons la création d’une nouvelle génération d’instruments capables de réaliser des analyses multi-techniques et multi-échelles, incluant de la tomographie 3D à l’échelle atomique.

Nous nous intéressons aussi à l’habitabilité de notre planète et à mieux comprendre la dynamique interne de la Terre. L’enjeu est d’augmenter la résolution des sismographes qui, à ce jour, reposent essentiellement sur les données continentales - soit seulement un quart de la surface terrestre. Nous développerons des engins robotiques capables de flotter dans l’océan et de réaliser des plongées pour déposer des sismographes sur les fonds marins afin d’y mesurer l’activité sismique et de remonter régulièrement à la surface. Ces robots enverront alors leurs résultats à un satellite et rechargeront leurs batteries à l’aide de panneaux solaires.

Nous étudierons aussi les liens entre chimie et vivant avec, par exemple, l’étude de l’émergence de l’auto-organisation, c’est à dire la capacité de systèmes naturels à se structurer sans intervention extérieure. À cet effet, nous développerons de nouveaux outils de micro-fluidique qui produiront des milliers de gouttelettes et donc autant d’expériences parallèles en simultané. Ces expériences de simulation exigent une importante rupture d’échelle puisqu’il faudra augmenter d’un facteur 1 000 la capacité des techniques existantes.

Dernier point : nous développerons de nouveaux outils informatiques portés par des méthodes d’intelligence artificielle et le calcul exascale. Ils serviront à simuler des problèmes complexes d’hydrodynamique magnétique, à dépouiller les images des télescopes ou encore à piloter automatiquement des instruments optiques complexes en temps réel. Enfin, un appel à projet sera réalisé à mi-parcours en vue d’intégrer de nouveaux concepts instrumentaux et prendre en compte les évolutions technologiques qui auront eu lieu entre-temps.

Votre programme réunit 28 organismes partenaires, quelles disciplines scientifiques seront impliquées dans le programme ?
A. M. : L’ensemble des travaux de ce PEPR impacteront la géophysique, la planétologie et la biologie. Les développements instrumentaux font appel à des expertises transverses de haut niveau en physique, chimie, électronique ou encore mathématiques.

Mais une des originalités de notre projet est d’inclure un volet de recherches en sciences humaines et sociales qui auront pour but d’avoir une vision intégrée de l’ensemble des travaux en « études spatiales ». Les enquêtes réalisées en anthropologie de la vie et en histoire des sciences aident à replacer la construction des savoirs scientifiques dans leurs contextes historiques et sociotechniques. Les sciences de la communication scrutent les discours, les images et les imaginaires associés à l’exobiologie, au retour d’échantillons extraterrestres et à l’habitabilité. Les sciences juridiques invitent, quant à elles, à réfléchir aux bases légales sur lesquelles fonder des collaborations internationales dans le domaine spatial.

De plus, notre programme PEPR comprendra un volet d’animation pour que tous les scientifiques puissent se préparer à l’avènement de ces instruments et aux défis de l’horizon 2030 que seront l’exploration martienne et le nouveau télescope européen.

Comment les avancées techniques réalisées sur ces instruments impacteront d’autres secteurs de l’économie française ?
A. M. : Les instruments que nous ciblons peuvent avoir des retombées à moyen et long terme dans des domaines scientifiques, technologiques et industriels. Par exemple, l'optique adaptative aura des retombées en ophtalmologie et sur les communications optiques sol-satellite essentielles au cryptage quantique. Les instruments développés pour l'analyse des échantillons extraterrestres pourront être utilisés dans des domaines divers, par exemple pour caractériser des matériaux critiques pour la transition énergétique, pour l’analyse de nano-plastiques, de cellules ou de virus. Les robots plongeurs équipés d’autres capteurs peuvent servir à l’étude de la pollution marine en profondeur, à donner des alertes tsunamis, suivre les mouvements des cétacés, de tempêtes ou de bateaux. Perfectionner les techniques de micro-fluidique permettra de progresser dans l’étude d’événements rares, comme par exemple le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques, la sélection d’anticorps pour des vaccins, etc. Enfin, les algorithmes pour le pilotage non-supervisé des instruments optiques complexes auront des nombreuses applications dans le domaine du contrôle automatique, dont la conduite autonome des voitures est le problème emblématique.

Comment envisagez-vous alors de transférer les futures innovations instrumentales que vous mettrez au point vers ces nouvelles applications ?
A. M. : Les prototypes et les connaissances qui seront développés dans le cadre de ce PEPR ont vocation à être ensuite réinvesties par le secteur industriel en vue d’une production et commercialisation à grande échelle. Dès la soumission de notre projet, des entreprises françaises ont manifesté leur intérêt pour l’achat de futurs brevets qui découleront de nos recherches. Certaines, comme le fabricant français d’instruments Cameca, apportent des fonds complémentaires pour aider à la réalisation d’un programme expérimental. À l’instar des développements liés à l’exploration spatiale, nous espérons que ce PEPR aura de multiples impacts technologiques sur la vie de tous les jours de nos concitoyens.

Alors que l’UNESCO cherche à favoriser les liens entre la science et les droits humains, l’effet sur la société se traduira également par notre participation à le diffusion de savoirs scientifiques fiables auprès d’un large public, sous forme de table ronde, d’expositions ou de conférences et de podcasts.

  • 1Directeur de recherche CNRS au Laboratoire J-L Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur), spécialisé en astronomie et planétologie.