FairCarboN : un PEPR pour viser la neutralité carbone

Institutionnel

Lancé le 11 avril, le Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire FairCarboN étudiera les écosystèmes continentaux pour identifier des leviers et trajectoires pour la neutralité carbone. Pierre Barré (CNRS), co-directeur du PEPR avec Sylvie Recous (INRAE), en détaille les enjeux.

Le PEPR exploratoire FairCarboN1  a pour objectif de mieux comprendre le cycle du carbone. Pourquoi est-ce important ?

Pierre Barré2  : L’Accord de Paris vise à limiter la hausse des températures du globe sous la barre des 2 °C et à maintenir les efforts pour essayer de ne pas dépasser +1.5 °C. Cela implique d’atteindre la neutralité carbone autour de 2050, une ambition inscrite dans la stratégie nationale bas-carbone française. Pour y parvenir, il faut à la fois réduire drastiquement les émissions de gaz carbonique (CO2) et stocker le carbone pour compenser les émissions incompressibles. Les écosystèmes continentaux3 , notamment les systèmes agricoles et forestiers, jouent un rôle central dans ces deux objectifs très concrets. En effet, la baisse globale des émissions nécessite une réduction des émissions du secteur agricole et un recours accru à l’utilisation de biomasse en substitution aux énergies fossiles. De plus, le stockage de carbone dans les sols et la biomasse est une solution basée sur la nature à même de contribuer à la compensation des émissions incompressibles. De nombreuses questions demeurent pour estimer précisément la capacité des écosystèmes continentaux à nous aider à atteindre la neutralité carbone dans le contexte des changements globaux et tout en préservant leur durabilité : comment produire et mobiliser plus de biomasse, sachant que les ressources en eau et en nutriments seront limitées ? quelles conséquences du prélèvement de cette biomasse ou de l’utilisation de puits de carbone sur les écosystèmes déjà soumis aux changements climatiques ? comment quantifier les flux de carbone entre écosystèmes continentaux ? quelles politiques publiques pertinentes élaborer et comment évaluer leurs impacts ? etc.

Copiloté4  par le CNRS et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), le PEPR exploratoire FairCarboN soutiendra donc la recherche fondamentale interdisciplinaire pour lever les verrous de connaissances sur ces sujets, de l’échelle microscopique (mieux comprendre la photosynthèse dans les plantes par exemple) aux échelles territoriales, européenne et globale. Il mettra à disposition de la communauté scientifique des modèles numériques validés sur des jeux de données ouverts. Les aspects économiques (taxes, politiques publiques, etc.) et sociaux (acceptabilités des mesures, justice environnementale, etc.) sont aussi primordiaux. L’ambition du programme est de faire travailler tous ces scientifiques en synergie, sur toutes les disciplines et tous les terrains d’étude.

FairCarboN dispose d’un budget de près de 40 M€ sur 6 ans. Comment va-t-il soutenir la recherche ?

P. B. : Un appel à projets ouvert, financé par l'ANR, a été annoncé aujourd’hui lors du lancement du PEPR, afin que les équipes de recherche puissent faire remonter leurs stratégies pour lever les verrous de connaissance identifiés limitant notre compréhension de la dynamique du carbone dans les écosystèmes continentaux. Pendant la phase de construction des projets, avec l’aide de l’équipe opérationnelle du programme composée d’une quinzaine de scientifiques, une animation de la communauté scientifique devrait permettre d’établir des consortiums de recherche variés et inclusifs pour répondre efficacement aux défis identifiés. Les projets complets, sur 5 ans et avec un budget conséquent compris entre 1 M€ et 1.5 M€, seront ensuite à déposer d’ici la fin de l’année. Le budget global de cette première vague d’appel à projets est de 11 M€. L’idée est de ne pas mettre la communauté en concurrence mais plutôt d’aider à développer des consortiums pertinents pour répondre à l’objectif de structuration de la communauté des PEPR.

D’autre part, cinq projets ciblés, d’un budget compris entre 1.5 et 7 millions d’euros, seront aussi lancés d’ici 2023 sur des actions que notre équipe a identifiées (voir encadré).

  • 1Pour « Le carbone dans les écosystèmes continentaux : leviers et trajectoires pour la neutralité carbone ».
  • 2Spécialiste des sols, Pierre Barré est chargé de recherche CNRS au Laboratoire de géologie de l'École normale supérieure (CNRS/ENS). Il porte le PEPR FairCarboN avec Sylvie Recous, directrice de recherche INRAE.
  • 3L’appellation « écosystèmes continentaux » comprend les forêts, prairies, champs cultivés, écosystèmes naturels d’eau douce (rivières, fleuves, tourbières, etc.), de montagne, côtiers (mangroves, etc.), péri-urbains et urbains.
  • 4En partenariat avec l’IRD, le Cirad, le CEA, l’Université Paris-Saclay, Aix-Marseille Université et l’Université de Montpellier.

Cinq projets ciblés démarreront en 2023

Le premier projet ciblé (PC1, 7 M€) a pour ambition de collecter, renforcer et mettre à disposition un jeu de données sur les évolutions de stocks de carbone dans les sols et dans les biomasses végétales, d’estimer les entrées de carbone et de rassembler les données, notamment climatiques, utiles aux modèles. Unique au niveau mondial, cette base permettra de tester les modèles existants (en France et ailleurs) et de les optimiser pour faire émerger une nouvelle génération de modèles plus précis.

Le PC2 (6.5 M€) doit développer une plateforme multi-agent de modélisation pour évaluer la dynamique du carbone à l’échelle territoriale. Cette plateforme sera un outil-clé pour animer des “scenario labs” regroupant des scientifiques et des porteurs d’enjeux dans 5 territoires pilotes en métropole, dans les outremers et dans les pays du Sud (en lien avec l’IRD et le Cirad). Elle permettra de faire un diagnostic des flux de carbone et de proposer des scénarios d’évolution pour 2030 et 2050 des usages, notamment industriels, et de l’occupation des terres. Ces prototypes pourront à terme être saisis par d’autres territoires.

Les PC3 à 5 seront des soutiens aux infrastructures que la France maintient partout dans le monde dans des conditions climatiques variées, représentant l’ensemble des écosystèmes continentaux. Le PC3 (2.8 M€) permettra de densifier les réseaux de mesure de flux, notamment dans les pays du Sud comme en Afrique, avec l’aide de l’écosystème français déjà positionné sur ces territoires. Le PC4 (1.5 M€) mettra en réseau des essais de systèmes de culture, aujourd'hui dispersés, afin de constituer une base de données plus complète. Enfin, le PC5 (2 M€) s’intéressera aux flux de carbone dans les écosystèmes d’eau douce et le continuum terre-mer.

Avec FairCarboN, vous entendez aussi accompagner la mise en œuvre de scénarios de neutralité carbone aux échelles locale, régionale et nationale.

P. B. : L’un de nos objectifs est d’élaborer, tester et évaluer des scénarios de trajectoires de changement d’occupation et d’usages des terres, et de pratiques de gestion des ressources naturelles à l’aide de la plateforme multi-agent développée dans le cadre du projet ciblé 2. Cela ne peut se faire qu’en concertation avec les porteurs d’enjeux comme les acteurs du monde agricole et forestier, des industriels5 , les porteurs de politiques publiques, ou encore la société civile et des ONG.  Pour espérer atteindre vraiment la neutralité carbone, ces acteurs doivent se saisir des résultats du programme. Nous mettrons ces derniers à disposition sous forme de notes de synthèse, d'indicateurs et d’outils d’aide à la décision à l’usage notamment des politiques. Pour nous y aider, nous avons mis en place un comité des porteurs d’enjeux.

La neutralité carbone est un enjeu global. Cette dimension internationale est-elle prise en compte dans le PEPR FairCarboN ?

P. B. : Bien sûr. La communauté de recherche française porte de nombreux projets nationaux et européens et elle a été mobilisée dans son ensemble pour définir les contours du PEPR. La France a aussi des infrastructures (IR) très intéressantes sur le domaine, qui lui permettent de bien se positionner dans les réseaux internationaux. Mais pour permettre à la recherche française d’atteindre le meilleur niveau international, il y a un travail à faire pour que la communauté française puisse mieux capitaliser sur ces IR, en particulier au niveau de l’utilisation des données récoltées. En travaillant de manière plus décloisonnée et en utilisant mieux les ressources fournies par ces IR, la recherche française pourra effectuer un saut qualitatif et quantitatif important.

 


Puits de carbone. Une chance pour le climat de Pierre Bressiant © CNRS - 2020

  • 5Comme tout PEPR, seuls les acteurs de la recherche publique sont éligibles aux financements de FairCarboN, mais d’autres guichets existent pour financer de la R&D et de l’innovation pour des industriels ou start-up.