Le CNRS renforce ses liens avec Singapour
Retour sur trois temps forts d’un déplacement de la Présidence du CNRS à Singapour les 25 et 26 janvier : le lancement du programme DesCartes en intelligence artificielle, et des rencontres avec l’ESR singapourien et la Chambre de commerce française de la cité-État.
Renforcer les liens et construire l’avenir. Voici les objectifs affichés du déplacement effectué par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, accompagné de plusieurs membres du comité de direction de l’organisme, à Singapour les 25 et 26 janvier.
Avec de nombreux projets en lien avec le monde académique et socio-économique singapourien (voir encadré), le CNRS bénéficie d’une large présence scientifique au sein de la cité-État. Dès 2014, le Bureau de représentation du CNRS en Asie du Sud-Est et en Océanie (CNRS@ASEAN) s’installait ainsi à Singapour. L’organisme est aussi un des partenaires principaux du France-Singapore Joint Science and Innovation Committee (COSIMIX), une plateforme lancée en 2019 pour développer une stratégie commune de coopération en sciences et technologies. CNRS@CREATE, la toute première filiale du CNRS à l’étranger a aussi été créée la même année à Singapour, faisant du CNRS le premier organisme de recherche à rejoindre le hub international de recherche CREATE, un campus d’acteurs internationaux majeurs1 sélectionnés par le gouvernement singapourien pour accroître le dynamisme et la diversité de l'écosystème R&D du pays.
Lancer l’IA de demain
C’est au sein de ce campus qu’est né le programme DesCartes2 , un des plus grands projets collaboratifs du CNRS, que la délégation française venait inaugurer. Avec un budget de 50 millions de dollars singapouriens (soit environ 35 millions d’euros) sur 5 ans, ce programme est dédié à la prise de décision dans les « systèmes critiques urbains », un des nombreux défis de recherche liés à la « ville intelligente » avec des questions d’économie d’énergie, de gestion du trafic, ou encore de la place du citoyen dans la ville. Un sujet transdisciplinaire mêlant mathématiques, informatique, physique/ingénierie et sciences humaines et sociales autour de l’intelligence artificielle hybride, qui intéresse le gouvernement singapourien et s’inscrit aussi dans le plan IA du gouvernement français. « Il sera très important de développer les recherches à la fois dans le domaine des algorithmes et technologies, et dans celui des sciences humaines et sociales, qui représente un défi encore plus important », détaille Cédric Villani, mathématicien - médaille Fields 2010, député et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui préside le comité scientifique du programme.
Basé sur le campus de CREATE, DesCartes rassemble 17 partenaires académiques, dont 13 universités et grandes écoles françaises, et cinq partenaires industriels3 menés par CNRS@CREATE, ainsi que la National Research Foundation of Singapore (NRF). Avec ses 1100 scientifiques en IA, son supercalculateur dédié Jean Zay et son nouveau Centre de l’IA pour les sciences et des sciences pour l’IA, le CNRS y joue un rôle central, le programme étant dirigé par Francisco Chinesta, médaille d’argent du CNRS en 2019. « La mise en place du programme DesCartes s’appuie sur la richesse des échanges sur l’intelligence artificielle entre le CNRS et Singapour, qui remontent à plusieurs années », raconte Dominique Baillargeat, directeur du Bureau CNRS@ASEAN et de CNRS@CREATE. Ce projet « ambitieux » traduit donc la « volonté de mettre en avant le CNRS comme acteur de l’innovation », au même titre que les nombreuses entreprises françaises présentes à Singapour, avec ses priorités et ses expertises fortes, notamment en matière de recherche fondamentale. « C’est une grande fierté pour le CNRS de mener un tel consortium pour faire avancer la recherche et transformer les résultats obtenus en innovations concrètes », a déclaré Antoine Petit lors de l’inauguration.
Échanger avec des partenaires de talent
Antoine Petit et son équipe ont aussi tiré parti de ce court séjour pour rencontrer les principaux acteurs de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de Singapour et discuter de la meilleure manière de coopérer avec Singapour sur l’innovation et le transfert technologique avec Marc Abensour, ambassadeur de France à Singapour.
Par l’excellence des recherches qui y sont menées et sa position unique dans le dispositif français et européen de la recherche, le CNRS est aussi un partenaire clé pour la Nanyang Technological University (NTU) et la National University of Singapore (NUS), deux universités au meilleur niveau international. Les discussions ont donc porté sur les projets communs en cours et les possibles collaborations futures. Toutes les deux font partie des quatre universités singapouriennes partenaires du programme DesCartes et sont partenaires principaux de plusieurs International Research Laboratories4 (IRL, voir encadré) basés à Singapour.
La visite d’Antoine Petit a d’ailleurs été l’occasion de renouveler le plus ancien des IRL à Singapour : IPAL, pour Image & Pervasive Access Lab. Créé en 2007, sur la base de premières collaborations établies dès 1998, ce laboratoire en informatique rassemble la NUS et l’Institut A*STAR côté singapourien, et le CNRS, les universités de Cergy et Toulouse 3, ainsi que Toulouse INP côté français. Ce troisième renouvellement pour 5 ans marque une étape importante par la mise en œuvre d’une nouvelle orientation des thématiques de recherche du laboratoire : il entend ainsi se spécialiser en intelligence artificielle pour encourager la collaboration académique entre la France et Singapour et répondre à des problèmes sociétaux. « Avec son équipe talentueuse et nos éminents partenaires, je n’ai aucun doute que ce laboratoire saura se faire une place de choix dans la communauté scientifique en IA », a déclaré Antoine Petit lors de la signature, saluant les « nombreux projets intéressants » de l’IRL et sa « grande ambition de s’attaquer aux défis et opportunités de demain ».
Une réunion de travail a aussi permis d’échanger avec l’agence de financement de la recherche de Singapour, la NRF. L’objet des discussions : les futurs sujets de programmes CREATE qui, à l’image de DesCartes, viseraient une recherche fondamentale d’excellence au meilleur niveau mondial autour de thématiques ayant des applications pour la ville durable, priorité affichée par Singapour. « Nous voulons co-construire avec Singapour une recherche d’excellence au service de la société et nous devons pour cela explorer dès à présent des nouveaux sujets pour l’avenir », affirme Antoine Petit. « La NRF entretient un partenariat solide avec le CNRS, et ce partenariat continue de se renforcer notamment grâce à de nouveaux projets tels que le programme DesCartes dans le cadre de l'initiative CREATE. En s'appuyant sur les capacités des différents écosystèmes R&D, à la fois de Singapour et de la France, ce programme mènera des recherches sur une nouvelle technologie hybride d'IA qui contribuera à relever les défis complexes de la gestion des infrastructures urbaines et permettra de repousser les limites de la recherche translationnelle. J'attends avec impatience le prochain chapitre de notre collaboration » a, pour sa part, indiqué Prof. Low Teck Seng, CEO de la NRF.
Rencontrer les entreprises
Enfin, le CNRS a pu démontrer sa volonté de collaborer avec le tissu industriel dense de Singapour, en intervenant lors d’un évènement co-organisé avec la Chambre de commerce française à Singapour, la première fois pour un dirigeant du CNRS. Cette association accompagne plus de 750 sociétés françaises dans leur projet sur Singapour et la région, depuis leur première approche du marché jusqu’à leur implantation et développement commercial en Asie. Avec Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS, Antoine Petit a ainsi pu échanger avec des représentants notamment de SG Innovate – un fonds d’investissement qui aide les scientifiques entrepreneurs à développer des start-ups Deep Tech –, de Thalès et de Naval Group, avec qui le CNRS a déjà mis en place un laboratoire international dédié à l’IA en Australie.
Premier établissement de recherche français déposant de brevets en co-dépôt avec des entreprises, le CNRS, avec ses partenaires, a mis en place plus de 200 laboratoires communs avec des industriels et lance plus de 100 start-up par an aujourd’hui (et plus de 2000 depuis 1999). De quoi assurer que les technologies et innovations issues de la recherche publique puissent bénéficier aux industriels. « Nos trois priorités à Singapour – l’IA, le quantique et les matériaux – sont des sujets larges avec de nombreuses applications possibles. », a ainsi déclaré Antoine Petit. « En nous appuyant sur notre cœur de métier, la recherche fondamentale, nous avons le souci constant du transfert vers le monde socio-économique, préoccupation que nous partageons avec les institutions singapouriennes ».
- 1Neuf institutions étrangères sont membres de CREATE, aux côtés des deux grandes universités singapouriennes : ETH Zürich, Cambridge University, TUM Munich, l’université hébraïque de Jérusalem, MIT, UC Berkeley, University of Illinois, Shanghai JiaoTong University et le CNRS.
- 2Intelligent Modelling for Decision-making in Critical Urban Systems.
- 3ESI Group, CETIM Matcor, Thales, EDF Singapore, ARIA.
- 4Les IRL structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
La coopération entre le CNRS et Singapour
Sur des sujets aussi variés que la physique quantique, les nanotechnologies, la science des données ou les questions politiques, sociales et économiques, les collaborations entre le CNRS et la cité-État de Singapour prennent diverses formes.
Quatre des six International Research Laboratories4 situés en Asie du Sud-Est se trouvent à Singapour : CINTRA2 , en partenariat avec la Nanyang Technological University (NTU) et l’industriel Thalès autour de l’électronique et la photonique de haute performance ; MajuLab, en partenariat avec la National University of Singapore (NUS), la NTU, l’Université Côte d’Azur et Sorbonne Université autour de l’informatique quantique ; « BMC2 »3 avec la NUS autour de la mécanobiologie. Enfin, IPAL, renouvelée jusqu’en 2025 en partenariat avec la NUS et l’Institute for Infocomm Research I2R (Institut A*STAR), s’intéresse à l’intelligence artificielle, au traitement et à la reconnaissance des langues.
Trois International Research Projects4b s’y ajoutent. Créées en 2020, l’IRP Strechsmart5 associe deux laboratoires du CNRS et la NUS pour inventer des systèmes extensibles à petite échelle, et l’IRP FiberMed6 fabrique des biosenseurs pour applications médicales en liant les savoir-faire du laboratoire XLIM et de l’Institut d'A*STAR. L’IRP SynBioEco7 s’intéresse quant à lui à l’économie bio-inspirée avec la NUS, l’Institut A*STAR et deux laboratoires toulousains.
Deux International Research Networks8 complètent les collaborations institutionnalisées. L’IRN Synergie9 , renouvelé l’an dernier, crée un réseau notamment entre la NTU et le laboratoire PROMES pour des recherches sur les énergies renouvelables, et l’IRN TranSocGen10 s’intéresse à la génétique avec un réseau liant le Centre de recherche Médecine, sciences, santé, santé mentale, société en France et la NTU à Singapour, entre autres pays.
Souvent sur la base de ces collaborations, d’autres projets ont été sélectionnés via des appels intra CREATE depuis que le CNRS y est associé, en lien avec des institutions singapouriennes et des partenaires de l’ESR français, par exemple sur la prédiction et la prévention des maladies à Singapour, les déchets alimentaires, la biologie de synthèse, la gestion de la croissance de cellules par de l’intelligence artificielle ou l’impression 3D de cellules.
Le CNRS et la NTU ont également mis en place un PhD Joint program, qui a permis le recrutement de deux doctorants, du côté français et singapourien, pour chacun des cinq projets retenus depuis 2019. Initié en 2014, un accord ANR-NRF a aussi permis de financer cinq à six projets par an sur les thématiques nanotechnologies et matériaux, dans lesquels des laboratoires CNRS sont toujours impliqués. Enfin, le programme Partenariat Hubert Curien Merlion, géré par l’Institut français de Singapour, finance la mobilité des scientifiques, via trois offres visant le financement de missions pour des projets bilatéraux, de séminaires pour initier une collaboration ou de séjours en France d’un doctorant ou d’une doctorante de Singapour. Sur les 8 dernières années, ce ne sont pas moins de 98 projets impliquant un laboratoire affilié au CNRS qui ont ainsi été sélectionnés, dont 43 portés par un chercheur ou une chercheuse CNRS.
- 2CNRS International NTU Thalès Research Alliance.
- 3BioMechanics of Cellular contacts.
- 4bLes IRP sont des projets de recherche collaborative, entre un ou plusieurs laboratoires du CNRS et des laboratoires d’un ou deux pays étrangers, qui consolident des collaborations déjà établies.
- 5Heterogeneous Stretchable Systems, Mechanical properties and associated functionalities at small scales, avec le Laboratoire des sciences des procédés et des matériaux (CNRS/Université Sorbonne Paris Nord) et le laboratoire PPrime (CNRS/Université de Poitiers/ENSMA).
- 6Specialty optical fiber based biosensing for medical applications, avec XLIM (CNRS/Université de Limoges) et A*Star.
- 7Synthetic biology for a bio-inspired economy, avec côté français les laboratoires Toulouse Biotechnology Institute, Bio & Chemical Engineering et Toulouse White Biotechnology (CNRS/Inrae/Insa Toulouse).
- 8Les IRN structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche.
- 9French-Singaporean network on-Renewable Energies, avec le Laboratoire procédés, matériaux, énergie solaire (CNRS) et la NTU.
- 10Transnational Transdisciplinary Network on Society and Genetics, avec côté français le CERMES 3 (CNRS/Inserm/Université de Paris).