« L’Europe de la recherche veut garder le Royaume-Uni »

Institutionnel

Après le Brexit, le Royaume-Uni devient un État associé au nouveau programme cadre européen pour la recherche et l’innovation, Horizon Europe. Retour sur les défis que cela présente pour la recherche européenne et française.

L’accord de dernière minute, trouvé le 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, permet au pays de participer au nouveau programme cadre européen pour la recherche et l’innovation Horizon Europe (2021-2027), au programme d’observation Copernicus1 ainsi qu’aux programmes de recherche de l’Euratom2 et d’Iter3 . Le Parlement européen a ratifié l’accord de commerce et officialisé la place du Royaume-Uni comme État associé à Horizon Europe. Un véritable soulagement pour les chercheurs britanniques qui peuvent d’ores et déjà postuler à l’obtention de leurs premières bourses.

Mais soulagement également du côté de l’Europe. Car le Royaume-Uni est un acteur fort de la recherche européenne, « soit le deuxième plus grand bénéficiaire du financement du précédent programme de recherche Horizon 2020, derrière l’Allemagne, recevant environ de 7.4 milliards d'euros », explique Linda Newman, conseillère scientifique à l’ambassade du Royaume-Uni à Paris. « L’association du Royaume-Uni au programme Horizon Europe est une nouvelle très positive car elle permet aux entités britanniques de participer et de coordonner des projets. » Le statut de membre associé permet aux États de participer aux projets de recherche européens sous les mêmes conditions que les États membres4 . Quatorze pays5 étaient associés au programme cadre Horizon 2020.

gg
En tant que pays associé, le Royaume-Uni peut participer comme un pays de l’Union européenne aux appels à projets de Horizon Europe, doté d’un budget de 95,5 milliards d’euros © artjazz Stock.Adobe.com

Oxford et Cambridge, en tête des classements

 « Le modèle de l’ESR britannique – dans lequel les acteurs de la recherche sont intégrés au sein d’universités puissantes et très bien financées – est un modèle phare qui s’est disséminé dans le monde, notamment aux États-Unis, et qui a fait ses preuves », souligne Minh-Hà Pham, conseillère pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Londres. Et en effet, l’efficacité de ce système se voit en nombre de publications6 , de brevets et de prix Nobel, mais également dans les classements internationaux— alors que Oxford et Cambridge se classent chaque année dans le Top 5 du classement de Shanghai7 . « L’ESR britannique est un des leaders dans le paysage européen. » Si le pays arrive largement en tête pour les financements européens8 , notamment ERC9 , on note cependant une diminution progressive de la part du Royaume-Uni dans les projets collaboratifs européens depuis le vote du Brexit en 2016. À titre d’exemple, en 2015, le pays coordonnait 821 programmes européens. En 2019, il n’en est plus qu’à 44710 . « L’Union européenne veut garder le Royaume-Uni au sein de la recherche européenne. L’idée est qu’ils restent », note Minh-Hà Pham. Un avis que partage Linda Newman : « Nous encourageons les chercheurs français à travailler avec leurs homologues britanniques afin de soumettre des propositions de projets. »

« Le Royaume-Uni est un partenaire incontournable du CNRS » 

Car le Royaume-Uni est un partenaire stratégique de la France en matière de recherche. Quelque 3000 chercheurs français travaillent actuellement sur le sol britannique et le pays est son 2e partenaire mondial en terme de copublications. C’est également le cas du CNRS : « Le Royaume-Uni est un partenaire incontournable du CNRS et son 3e partenaire de copublications au niveau mondial11 », souligne Chantal Khan Malek, responsable "Europe bilatérale" au CNRS.  Réciproquement, le CNRS est aujourd’hui le second partenaire du Royaume-Uni en termes de publications conjointes, les universités d’Oxford, de Cambridge, University of London et University College London faisant partie de ses 15 plus importants partenaires dans le monde12 . Les deux implantations d’International Research Laboratories (IRL13 ) sur le sol britannique – le Laboratoire Abraham de Moivre en mathématiques en partenariat avec l’Imperial College London et la Maison française d’Oxford en sciences humaines et sociales en partenariat avec l’Université d’Oxford –  témoignent de l’importance de la collaboration bilatérale et de la volonté d’un engagement approfondi et durable.  

« Depuis l’annonce du Brexit, les Britanniques sont plus demandeurs d’accords avec les pays européens. Nous sommes actuellement dans une position favorable dont il faut tirer parti pour assurer de nouveaux partenariats », note Chantal Khan Malek. Depuis l’outre-manche, le CNRS est perçu « comme un partenaire clé » de par ses différents accords et structures de collaboration « avec les universités d’Oxford, Cambridge, et Londres mais également avec le réseau N814 du Nord de l’Angleterre, ainsi qu’avec des universités écossaises », ajoute Linda Newman . Le CNRS est très attaché à ce que ses équipes soient en lien étroit avec les institutions britanniques. Ainsi, Imperial College et le CNRS renforcent leur collaboration au travers de plusieurs initiatives, notamment des appels à projets communs dans le cadre du Programme conjoint de doctorat. Deux nouveaux projets de recherche d’envergure ainsi qu’un réseau international ont également été créés en 2020 : un premier projet dédié au développement des approches computationnelles de la morphogénèse des plantes15 associant l’Inrae et l’Université de Cambridge, un second en génomique et épigénomique du cancer16 avec l’Université d’Oxford, et enfin un réseau en physique théorique17 dans lequel participe une équipe d’Imperial.

gg
La Maison française d'Oxford a été créée en 1946 © MFO

Une participation à Horizon Europe à £2 milliards

En tant que pays associé, le Royaume-Uni peut participer comme un pays de l’Union européenne aux appels à projets de Horizon Europe, doté d’un budget de 95,5 milliards d’euros. Mais pas tous. S’il a accès à ceux du Conseil européen de la recherche (ERC) ou aux actions Marie Sklodowoska-Curie, ses scientifiques et entreprises sont exclus du fonds du nouveau Conseil européen à l’innovation (EIC), attaché au troisième pilier de l’UE, « Europe Innovante ». Pour autant, le Royaume-Uni vient de créer une nouvelle agence, l’Advanced Research and Invention Agency (ARIA), au budget de 800 millions de livres sterling, qui a pour objectif de financer des recherches à haut risque pour stimuler l’innovation, à l’image de la DARPA18 américaine.

L’accord stipule que le Royaume-Uni devra participer au budget d’Horizon Europe en payant une somme proportionnelle à son PIB – somme estimée à 2 milliards de livres sterling. Mais si le pays devait recevoir une somme supérieure à celle de sa contribution (au-delà de 8 % au cours de deux années consécutives), il devrait rembourser la différence. Une clause loin d’être anodine. Car sur quels fonds le gouvernement britannique va-t-il prendre cette somme ? Les scientifiques britanniques s’inquiètent notamment pour le budget du Ministère de la recherche britannique et de l’agence de financement de la recherche britannique, UK Research and Innovation. Le gouvernement de Boris Johnson a pourtant assuré que le financement à Horizon Europe n’aurait aucun impact sur le budget de la science cette année.

Des frontières réelles pour la recherche

Fait marquant du Brexit et qui impactera le monde universitaire, le Royaume-Uni quitte le programme Erasmus19 et si les étudiants voient leur liberté de déplacement vers le Royaume-Uni réduite, c’est aussi le cas pour le personnel scientifique. Ainsi, les chercheurs européens souhaitant s’installer au Royaume-Uni devront passer par un visa à système de points pour travailleur qualifié ou le « Global Talent visa », encore plus rapide pour une installation permanente.

« Aujourd’hui, Il y a des risques que le Royaume-Uni se détourne vers des partenaires américains, australiens ou asiatiques, craint Minh-Hà Pham. Nous entrons dans une compétition internationale, mais notre chance est de rester géographiquement proche et de bénéficier de liens anciens et de confiance. Pour autant, il faudra mettre en place un certain nombre de structures pour assurer ces liens », confie-t-elle.

  • 1Programme d’observation de la Terre de l’Union européenne. Il s’intéresse à la planète et son environnement et offre des services d’information basés sur l’observation de la Terre par satellite et les données in situ (non spatiales).
  • 2Programme-cadre de la Communauté européenne de l'énergie atomique pour des activités de recherche et de formation en matière nucléaire.
  • 3Programme européen de recherche sur la maitrise de la fusion nucléaire.
  • 4Des négociations sont toujours en cours pour inclure des pays associés tels qu’Israël, la Suisse ou le Royaume-Uni à des projets de recherche européens sur des technologies quantiques et spatiales.
  • 5Albanie, Bosnie-Herzégovine, Iles Féroé, Ancienne république yougoslave de Macédoine, Islande, Israël, Moldavie, Monténégro, Norvège, Serbie, Suisse, Tunisie, Turquie, Ukraine.
  • 6Le Royaume-Uni est le premier pays européen en termes de publication avec plus d’1 millions de publications. Sources: InCites, Web of Science – 2015-2019.
  • 7Classement fondé en 2003 en Chine par Shanghai Jiao Tong University (SJTU) pour clarifier le paysage de l’éducation supérieure et de la recherche mondiale, et visant initialement un public national. Il se base sur le nombre de Prix Nobel et de médaillés Fields parmi les anciens élèves et les chercheurs de l’établissement, le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines, le nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, le nombre d’articles indexés dans Science Citation Index et Social Sciences Citation Index, et la performance académique de l’institution.
  • 8En 2019, le Royaume-Uni remportait plus de 2000 bourses ERC devant la France avec 1200 bourses.
  • 9Le programme ERC (European Research Council) propose quatre types de bourses individuelles dédiées à la recherche exploratoire.
  • 10Le Royaume-Uni reste pour autant leader, le second pays en termes de projets européens coordonnés étant l’Allemagne avec seulement 126 projets.
  • 11Les copublications du CNRS avec lesinstitutions britanniques représentent environ 10% des publications du CNRS (environ 5 000 co-publications en 2019 - Source : InCites)
  • 12Sources: InCites, Web of Science – 2015-2019.
  • 13International Research Laboratory : Ces outils du CNRS structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 14Les universités de Durham, Lancaster, Leeds, Liverpool, Manchester, Newcastle, Sheffield et York.
  • 15L’IRP CompuMorph :"Computing Plant morphogenesis”
  • 16L’IRP I2CG : "International Institute for Cancer Genomics Montpellier-Oxford”
  • 17L’IRN QFS : "Quantum Fields and Strings”
  • 18La Defense Advanced Research Projects Agency est une agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire.
  • 19Programme d'échange d'étudiants et d'enseignants entre les universités, les grandes écoles européennes et des établissements d'enseignement de l’Union européenne.

Le programme Turing pour remplacer Erasmus ?

Le Royaume-Uni a pris la décision de ne pas participer à Erasmus+. Il a depuis lancé son propre programme de mobilité, « Turing ». Doté d’un budget de 110 millions de livres sterling, il devrait faire voyager 35 000 étudiants britanniques. Pour autant, ce programme n’est pas un remplacement du programme Erasmus alors qu’il n’adresse que la mobilité britannique sortante, a une visée internationale et est fléché vers un public défavorisé (étudiants boursiers, en situation de handicap). « La France va y perdre car les étudiants britanniques vont privilégier les formations anglophones internationales. Quant aux étudiants français voulant étudier dans les universités britanniques, ils devront payer le prix fort, c’est-à-dire trois fois plus qu’un britannique », explique la conseillère pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Londres. Pour assurer une continuité des échanges d’étudiants, « le gouvernement britannique mise sur la création d’accords entre universités britanniques et universités internationales partenaires », explique Linda Newman.