Le CNRS structure la recherche portuaire française
La communauté scientifique française s’intéresse aux nombreux enjeux que brassent les ports. Un groupe de travail vient de faire des propositions pour mettre en valeur les résultats de recherche.
« 80 à 90 % du commerce mondial passe aujourd’hui par la mer », assure Arnaud Serry, géographe au laboratoire Identité et différenciation de l'espace, de l'environnement et des sociétés1 et porteur du projet DEVPORT en géographie, aménagement et économie maritime, portuaire et logistique. Mais depuis quelques années, les ports français perdent progressivement des parts de marché face aux concurrents européens. Malgré un second semestre plus réussi, ils ont en plus souffert de la crise sanitaire en 2020, et en particulier les ports de Marseille (12,7 % de trafic en moins2 ), Le Havre et Dunkerque (-14 %) qui représentent près de 60 % du trafic national de marchandises (soit plus de 200 millions de tonnes par an) ou encore Calais, premier port français de passagers. Gestion du trafic, intermodalités, relation avec le territoire, optimisation, logistique, développement durable et transition écologique, modernisation numérique… étudier les ports maritimes et fluviaux, « principales portes d’entrée et de sortie des marchandises », représente donc un enjeu croissant pour la France. Pourtant, la recherche portuaire française reste « dispersée » et « peu visible ». Une situation à laquelle le CNRS entend bien remédier.
Le portuaire intègre des notions multifacettes, mêlant géopolitique, développement des espaces et des territoires, économie, écologie, etc. Il s’agit autant de ne pas perdre de flux de marchandises que d’insérer le port dans la ville, de restaurer des zones côtières urbanisées ou encore de surveiller des espèces invasives sur le littoral. « Les questions sociétales comme celles posées par les ports sont rarement disciplinaires. En couvrant l’ensemble des disciplines, le CNRS est à même avec ses partenaires d’aborder ces problématiques dans une approche pluridisciplinaire. C’est notre force », explique Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, qui ajoute : « C’est notre engagement aujourd’hui ».
Développer le port du futur
Car, alors que la pandémie de Covid-19 a modifié nos façons de travailler, de voyager, de produire et de consommer, affectant les flux de marchandises et de voyageurs, le Ministère de la Mer prépare les ports du futur. Une stratégie nationale portuaire, visant à « accroître la compétitivité et l’attractivité des ports français dans le paysage mondial », a ainsi été présentée lors d’un Comité interministériel de la Mer (Cimer) début 2021. Elle bénéficiera notamment du plan France Relance qui prévoit 175 M€ pour accélérer la transition écologique des ports français entre 2020 et 2022, ainsi que des investissements dans le ferroviaire, le fluvial ou les carburants alternatifs comme l’hydrogène. Cette stratégie inclut la recherche et, à la demande de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer3 , le CNRS a été chargé d’établir un état des lieux.
« Même si nous sommes une trentaine de chercheurs et chercheuses – géographes, juristes, économistes ou encore informaticiens – dont les ports sont le cœur de métier, de nombreux scientifiques côtoient la recherche portuaire ou maritime de manière indirecte, comme des écologues », précise Arnaud Serry. Une communauté difficile à fédérer. Aujourd’hui, il n’existe ni laboratoire ni appel à projet national dédiés à cette thématique. Avec trois autres scientifiques (voir encadré), le géographe coordonne donc un groupe de travail d’une quinzaine de personnes issues de différents établissements et disciplines, pour faire des propositions – notamment sur l’intégration des enjeux portuaires dans les appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR) – qui seront présentées dans un livre blanc en juin.
Structurer les forces de recherche
Ce groupe de travail a ainsi effectué un travail de cartographie de la recherche portuaire française. Il a identifié cinq grands champs thématiques qui font écho aux enjeux des ports : géoéconomie (logistique, économie maritimo-portuaire), géopolitique (gouvernance, régionalisation), écologie (écosystèmes, invasions biologiques, contamination) et information (cybersécurité, digitalisation, pilotage territorial, modélisation multiéchelle) portuaires, le cinquième champ couvrant les questions des interactions et médiations nécessaires avec les acteurs professionnels.
Les coordinateurs du groupe de travail
- Arnaud Serry, maître de conférences en géographie au laboratoire Identité et différenciation de l'espace, de l'environnement et des sociétés (IDEES, CNRS/Université Le Havre-Normandie/Université Caen-Normandie/Université Rouen-Normandie), représentant du groupe de travail
- Gülgün Alpan, maître de conférences en génie industriel au Laboratoire des sciences pour la conception, l'optimisation et la production de Grenoble (G-SCOP, CNRS/Université Grenoble Alpes/Grenoble INP)
- Eric Foulquier, maître de conférence en géographie et écologie au laboratoire Littoral, environnement, télédétection, géomatique (LETG, CNRS/Université Bretagne Occidentale/EPHE/Université Nantes/Université Rennes 2/Université Caen-Normandie/Université Angers)
- Antoine Fremont, directeur scientifique adjoint à l’Université Gustave Eiffel (IFSTTAR), spécialiste des transports
Identifier les forces présentes est une première étape indispensable avant de pouvoir s’organiser en réseau afin d’accroître la visibilité des travaux menés. Dans d’autres pays, comme la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas ou encore la Grèce, les recherches des scientifiques, plus structurés et souvent sous forme d’associations, sont mieux connues des décideurs publics et des professionnels du portuaire. Les scientifiques sont même souvent intégrés dans les instances de gouvernance portuaire. « En France, les ports font parfois appel à des bureaux d’étude pour répondre à des questions sur lesquelles les scientifiques ont déjà donné des réponses », regrette Arnaud Serry. L’accès aux données portuaires est aussi souvent difficile pour les chercheurs. Il s’agit donc de créer du lien entre académiques tout autant qu’avec les acteurs des chaînes portuaires, maritimes et logistiques françaises.
Ces acteurs – autorités portuaires, fédérations de professionnels, compagnies maritimes, collectivités locales, etc. – montrent d’ailleurs de l’intérêt pour ces recherches. Grand rendez-vous annuel de professionnels du domaine, les dernières Assises du port du futur ont pour la première fois organisé une session qui y était dédiée. « Cela nous a permis de voir qu’il y a une vraie demande mais aussi une vraie méconnaissance de la part de ces acteurs sur ce que les scientifiques font et, inversement, sur ce qu’attend le monde économique », détaille le géographe espérant que l’opération sera renouvelée pour fluidifier les relations et améliorer les coopérations. Car cette recherche, aussi bien appliquée que fondamentale, « se fait nécessairement en partenariat avec les acteurs économiques et logistiques portuaires ». Un avis partagé par Arnaud Lalo, responsable des opérations à la Direction générale déléguée à la science du CNRS : « Les acteurs portuaires peuvent favoriser la production de connaissances, afin que ces dernières leur soient vraiment utiles ».