Le CNRS, prêt à tirer parti des opportunités du PIA4
Détaillé le 8 janvier 2021, le quatrième programme d’investissements d’avenir présente plusieurs dispositifs pour soutenir la recherche et l’innovation françaises.
« Grâce à la transversalité et à l’étendue des compétences qu’il rassemble, le CNRS a vocation à répondre à tous les enjeux du volet recherche du PIA4 », affirme Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. Ce quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA) représente 20 milliards d'euros sur 5 ans, dont 11 Md€ inclus dans le plan « France relance1 » d’ici 2022, soit un budget deux fois plus important que les deux derniers programmes lancés en 2014 (12 Mds€) et en 2017 (10 Mds€). À la suite ces précédents PIA – le premier avait été lancé en 2010 dans un contexte de crise économique mondiale pour « préparer et optimiser l'avenir collectivement » –, le PIA4 entend « donner un cap de moyen terme à l'économie, afin de la placer sur un chemin de croissance vertueux et durable ». Il complète d’autres dispositifs régionaux, nationaux et européens, et vient en complément des moyens de la Loi de programmation de la recherche (LPR). « C’est une des premières fois que l’identification des secteurs clés et l’organisation de la réponse française vont aussi loin », renchérit Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l'innovation du CNRS.
Une innovation à l’initiative des acteurs locaux...
Le PIA4 est construit sous la forme de deux volets. Le premier prévoit 7.5 Md€ notamment pour irriguer les écosystèmes d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation créés par les PIA précédents, comme les universités de recherche, laboratoires ou équipements d’excellence, instituts de recherche technologique, etc. dont le CNRS est partie prenante. Un plan « d’innovation structurelle » qui doit garantir un financement pérenne et prévisible à ces institutions. Ce volet prévoit également une « aide à l’innovation "bottom up" » destiné à financer les entreprises innovantes, notamment dans le cadre de dispositifs d’aide aux projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité (PSPC) gérés par Bpifrance ou des démonstrateurs de la transition écologique et énergétique, gérés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). « Afin de donner plus de moyens à nos unités de recherche, le CNRS doit identifier ces sources nouvelles de financement et veiller à faire partie des consortia qui seront construits dans ce cadre », détaille Jean-Luc Moullet.
Et une innovation dirigée par le gouvernement
Le second volet, « inédit », concerne les stratégies d’accélération, dotées d’un budget de 12,5 Md€. Suite aux travaux d’un collège d'experts, représentants des mondes industriel et scientifique dont faisait partie le P.D.-G. du CNRS Antoine Petit, le Conseil interministériel de l'innovation a identifié une quinzaine de marchés clés dont le développement doit être accéléré et massivement financé. Le résultat d’une « réflexion longue et aboutie », selon le DGDI, basée sur une analyse multicritère, prenant en compte à la fois le marché potentiel, les forces scientifiques et industrielles françaises et l’impact potentiel de ces filières en termes d’emplois.
Santé, agriculture et alimentation, numérique, culture, éducation, mobilité, développement durable… les stratégies d’investissement prioritaires répondent à des enjeux environnementaux, économiques, de souveraineté nationale ou d’indépendance technologique. Elles couvrent l’ensemble du cycle de vie d'une innovation, de l'émergence d'une idée dans un laboratoire de recherche ou une université jusqu'à la mise sur le marché, en passant par les formations universitaires nécessaires pour nourrir les scientifiques et entrepreneurs de demain, ou encore les indispensables projets collaboratifs entre laboratoires et entreprises.
- 1Présenté par le Premier ministre le 3 septembre 2020, suite à la crise du COVID-19, le plan « France Relance » est présenté comme une « feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays » avec un budget de 100 milliards d’euros.
Les pilotes scientifiques du CNRS pour les PEPR
Le CNRS a nommé des pilotes scientifiques pour les trois premiers PEPR.
Quatre stratégies d'accélération nationale sont validées par le gouvernement :
- L’hydrogène décarboné
Le pilote scientifique du CNRS pour ce PEPR est Abdelilah Slaoui, directeur de recherche CNRS, directeur adjoint scientifique de l'Institut des sciences et de l’ingénierie des systèmes (INSIS) et responsable de la cellule Énergie du CNRS. - La cybersécurité
Le pilote scientifique du CNRS pour ce PEPR est Gildas Avoine, professeur à l'INSA Rennes, membre de l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (Irisa) et directeur du GDR "Sécurité Informatique". - Les technologies quantiques
Le pilote scientifique du CNRS pour ce PEPR est Sébastien Tanzilli, directeur de recherche CNRS à l'Institut de physique de Nice, directeur du GDR "Ingénierie quantique : fondements et applications" et directeur adjoint scientifique pour les technologies quantiques à l'Institut de physique (INP) du CNRS. - Enseignement et numérique
Le pilote scientifique du CNRS pour ce PEPR est Pascal Huguet, directeur de recherche CNRS et directeur du Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (Lapsco).
Sept stratégies sont en cours d’étude ou d’élaboration :
- Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes
- Maladies infectieuses (ré)émergentes
- 5G et futures technologies de réseaux de télécommunication
- Intelligence artificielle
- Nano-électronique
- Cloud et verdissement du numérique
- Santé digitale
Quatre de ces stratégies d’accélération ont été dévoilées par le gouvernement : il s’agit des filières « hydrogène décarboné », « technologies quantiques », « cybersécurité » et « enseignement et numérique ». Pour chacune, le gouvernement a confié à des organismes de recherche nationaux le pilotage d'un programme prioritaire de recherche et le développement d'équipements structurants pour la recherche, y compris la dimension plateformes technologiques, afin de placer le pays « à la pointe des technologies de rupture qui seront au cœur du monde de demain ».
Ces « Programme et équipements prioritaires de recherche » (PEPR) représentent la « partie amont » des stratégies nationales d’accélération, celle consacrée à la structuration des communautés de recherche et aux premières avancées scientifiques. Au CNRS, chaque PEPR aura son référent ou sa référente, chargés de construire avec ses homologues des autres organismes de recherche un « programme pour le bien de tous », en travaillant avec l’ensemble de la communauté scientifique concernée, assure Alain Schuhl.
Un hydrogène plus vert
Dotée de 7 milliards d’euros (d’ici à 2030) dont 2,4 milliards inclus dans le plan « France Relance » entre 2020 et 2023, la stratégie d’accélération « hydrogène décarboné » annoncée le 9 septembre 2020 se situe au cœur de la transition écologique. Elle veut notamment développer les capacités de production françaises de cet hydrogène non émetteur de CO2 qui pourrait être utilisé par l’industrie pétrolière et chimique, et favoriser le développement d'une mobilité lourde à hydrogène (camions, bennes à ordure, bus). Pour cela, il faut soutenir les efforts de recherche sur les technologies de l’hydrogène comme les piles, électrolyseurs ou matériaux innovants. Dans ce cadre, le PEPR Hydrogène a été confié au CNRS et au CEA, avec un budget de 80 millions d’euros. « La structuration d’une cellule Énergie2 constitue un avantage indéniable pour le CNRS », confie Jean-Luc Moullet : « l’excellente coordination qui en résulte permet d’être très réactif et pertinent, notamment vis-à-vis des demandes des industriels ». C’est en particulier déjà le cas avec les constructeurs automobiles et équipementiers, avec qui des « discussions diverses » sont en cours.
La recherche, centrale pour les technologies quantiques
Des plans spécifiques sont aussi prévus dans le PIA4 et le plan de relance sur des « technologies numériques de rupture » comme le quantique et la cybersécurité. Dans le cadre d’une stratégie nationale de 1,8 milliards d’euros annoncée le 21 janvier 2021, le PEPR « Technologies du quantique » a ainsi obtenu 150 millions d’euros et son pilotage scientifique a été confié conjointement au CNRS, au CEA et à INRIA. « Nous travaillons sur l’identification des acteurs du secteur et sur les contributions possibles du CNRS depuis plus de deux ans : nous savons dans quelle direction il faut aller », explique Alain Schuhl. « Notre force en quantique repose aussi sur l’émergence de start-up qui valorisent déjà les découvertes scientifiques des laboratoires », confirme le directeur général délégué à l'innovation.
Deux équipements prioritaires de recherche devraient en particulier faire partie du PEPR. Issus de l'appel à manifestations d'intérêt « Équipements structurants pour la recherche », ils concernent le développement d'une plateforme de calcul quantique atomique 'as a service'3 (AQCESS) et d'un Réseau technologique pour les applications scientifiques et industrielles des capteurs quantique à base de diamant (e-Diamant).
La cybersécurité, un secteur mâture
La cybersécurité est un « enjeu essentiel pour la France, tant au niveau sociétal qu'économique », annonce la lettre de mission qui confie le PEPR dédié aux mêmes organismes que pour le quantique, avec un budget de 65 millions d’euros. La stratégie d’accélération, qui doit faire l’objet d’annonces détaillées par le gouvernement, viserait ainsi à tripler le chiffre d'affaires de la filière d'ici 2025 et à diffuser massivement la cybersécurité dans les entreprises, afin que la France dispose de ses propres capacités et maîtrise ces « technologies clés pour l’avenir ». Secteur « plus mâture » selon Jean-Luc Moullet, la cybersécurité dispose déjà de nombreux acteurs entrepreneuriaux de toute taille que le CNRS peut « accompagner » sur un marché mondial « très compétitif » en s’appuyant sur « les compétences fortes présentes au sein des laboratoires de recherche publics ».
Des opportunités à saisir
Des compétences, notamment en sciences humaines et sociales, qui pourraient aussi être mises à disposition de la stratégie d’accélération « Enseignement et numérique » et du PEPR associé, les périodes de confinement récentes ayant montré les enjeux pédagogiques de la transformation numérique de l’enseignement, de la maternelle à l’université.
Au-delà de ces quatre premières, sept stratégies d’accélération sont en cours d’élaboration et chacune sera dotée de son PEPR. Un véritable « éventail d’opportunités à saisir ». La première est l’affichage écologique du PIA4, censé ne permettre « aucune dépense défavorable à l’environnement » et assurer « au moins ⅓ d’investissements en faveur de la transition écologique ». Un sujet qui se retrouve dans l’ensemble des instituts du CNRS et au cœur de son Contrat d’objectifs et de performance (COP), via deux des six grands défis sociétaux qui y sont listés, ce qui représente un « potentiel de contributions scientifiques important », précise Jean-Luc Moullet.
Ensuite, un autre type de PEPR existe également, en dehors de l’innovation dirigée du PIA4. Plus « exploratoires » et d’un montant plus faible, ils seront choisis ultérieurement sur la base de propositions faites par les organismes de recherche et sous l'œil d’un jury international. Le stockage du carbone terrestre via l’agriculture pourrait en particulier être proposé par le CNRS.
Enfin, ce PIA4 pourrait être l’occasion de « réflexions supplémentaires » sur le fonctionnement même de l’accompagnement des valorisations au CNRS , dans le cadre d’un continuum plus affirmé avec les PEPR : tout en continuant à soutenir des projets variés, apporter une « valeur ajoutée supplémentaire » aux projets plus en résonance avec des marchés clés, augmenter la visibilité du CNRS vis-à-vis des entreprises pour multiplier les projets collaboratifs, et consolider des portefeuilles de propriétés intellectuelles pertinents sur ces domaines clés à l'usage notamment des start-up issues de l’organisme sont des pistes envisagées.
Un programme d’investissements d’avenir simplifié
Le PIA4 entend être moins complexe dans sa mise en œuvre que les précédents programmes, afin notamment d’améliorer l’articulation des dispositifs de soutien nationaux et régionaux. Le nombre d'instruments de financement (programmes de recherche, programmes de R&D, fonds propres, etc.) est ainsi limité, ce qui doit les rendre plus lisibles et faciliter leur mobilisation adéquate. Seuls quatre opérateurs s’occuperont des investissements d'avenir : la banque publique d'investissement Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et la Caisse des dépôts-Banque des territoires.
Enfin, la gouvernance est simplifiée autour de deux ensembles dotés d'un pilotage interministériel : la sphère « enseignement, recherche et innovation » d'une part et la sphère des « aides à l'innovation » d'autre part. Avec des procédures « ouvertes, compétitives et éprouvées », le PIA4 doit ainsi permettre des « choix éclairés par une vision globale ».