La chimie montpelliéraine optimise sa puissance de calcul
Le pôle Balard, qui rassemble la plupart des laboratoires de chimie de Montpellier, va installer ses moyens de calcul au centre national CINES. Une démarche de rationalisation des ressources numériques encadrée par une convention qui vient d’être signée.
Il aura fallu plus de 10 ans pour concrétiser ce projet titanesque. Dans un nouveau bâtiment de 25 000 m2 financé par un contrat État-Région avec la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée et installé sur un terrain du CNRS, le pôle Balard rassemble « les deux plus grosses unités de chimie à Montpellier », l’ICGM1 et l’IBMM2 . Une « unité de lieu » qui permettra de « rationaliser » les coûts administratifs et les équipements coûteux, et qui créera une proximité « propice à des échanges fructueux » entre les scientifiques, espère Jacques Maddaluno, directeur de l’Institut de chimie du CNRS et directeur scientifique référent du site de Montpellier.
Ces laboratoires ont des moyens de calcul propres, jusque-là installés dans de multiples petites salles climatisées « adaptées au fur et à mesure des acquisitions de machines ». Plutôt que de construire et aménager une salle machine dans le nouveau bâtiment, les responsables ont opté pour la solution « économe et rationnelle » de faire héberger les machines au Centre informatique national de l’Enseignement supérieur (CINES) à Montpellier, un des trois centres de calcul nationaux français3 .
Des négociations délicates
Une décision qui change les habitudes. « L’ICGM dispose de plus d’un million d’euros de matériel de calcul et, surtout, de techniciens qualifiés, ce qui nous permet de développer une recherche de tout premier plan en modélisation », argumente Eric Clot, directeur de l’ICGM depuis janvier 2021. L’installation au CINES, en partie motivée par la décision de ne pas installer de climatisation – pourtant indispensable aux clusters informatiques – dans le nouveau bâtiment écologique, pourrait ainsi rendre le travail des modélisateurs plus compliqué. « Que chacun ait son cluster et son informaticien à domicile serait très confortable mais coûterait cher », reconnaît le scientifique qui admet que « au quotidien, les conditions d’exercice ne changeront pas pour les chercheurs et chercheuses ». Les ingénieurs et techniciens devront eux parfois se déplacer au CINES pour effectuer les réglages et vérifications nécessaires.
« Ce qui est important aujourd’hui n’est pas où se trouvent les serveurs mais l’offre de services associée », raisonne Boris Dintrans, directeur du CINES. Avec le calcul haute performance et l’archivage pérenne pour l’enseignement supérieur et la recherche4 , l’hébergement de moyens informatiques est une mission du CINES, qu’il mène déjà pour plus de 20 établissements comme l’Inserm, l’IRD, l’Abes5 ou encore l’Université de Montpellier. Le Centre propose ainsi des salles « au meilleur état de l’art, avec des redondances qui rendent le matériel tolérant aux pannes, dans une zone à sécurité renforcée6 » et avec un personnel permanent dédié au bon fonctionnement des infrastructures techniques. Il « concentre les avantages d’une mutualisation intelligente des moyens » au service de la technique, afin que les scientifiques se focalisent sur leurs recherches et que les ingénieurs puissent « les accompagner dans l’utilisation optimale des moyens informatiques » plutôt que se soucier du refroidissement ou de la stabilité électrique des serveurs. Autre avantage : les ingénieurs et techniciens des établissements hébergés côtoient régulièrement ceux du CINES et ont ainsi accès à leurs réseaux et connaissances pour des « échanges métiers efficaces ».
Un modèle national
Et tout cela pour un tarif « très compétitif » selon Boris Dintrans, d’un montant de 180 000 euros par an. La convention a donc été signée le 25 janvier et l’installation des calculateurs au CINES ne devrait pas attendre, même si le déménagement des équipes vers le pôle Balard n’est prévu que pour le printemps prochain.
« Ce genre d’opération va devenir de plus en plus indispensable pour éviter la dispersion de moyens de calcul qui se multiplient dans les laboratoires, en chimie mais aussi dans les autres domaines », assure Jacques Maddaluno. Profitant d’une visite d’Alain Schuhl, directeur délégué à la science du CNRS, à Montpellier, la signature de la convention est donc devenue une « manifestation symbolique » qui a aussi pour but de « faciliter les négociations » sur d’éventuelles futures opérations en montrant le succès de celle-ci et l’engagement du CNRS.
- 1Institut de chimie moléculaire et des matériaux - Institut Charles Gerhardt Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/ENSC Montpellier).
- 2Institut des biomolécules Max Mousseron (CNRS/Université de Montpellier/ENSC Montpellier).
- 3Le CINES est l’un des trois centres hébergeant des machines de GENCI, le grand équipement national de calcul intensif créé en 2007 par les pouvoirs publics. GENCI a pour mission, au niveau national et européen, de favoriser l’usage du calcul intensif associé à l’intelligence artificielle au bénéfice des communautés de recherche académique et industrielle.
- 4Le CINES archive les thèses des doctorants français et l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL.
- 5Institut national de la santé et de la recherche médicale, Institut de recherche pour le développement, Agence bibliographique de l'Enseignement supérieur.
- 6Le CINES est une « zone à régime restrictif » (ZRR) : l’accès (physique et électronique) y est réglementé dans le cadre de la « protection du potentiel scientifique et technique national » et les équipements sont sécurisés en permanence.
Le pôle Balard, un géant de la chimie
Le pôle Balard vise à devenir « une référence française » en chimie, selon Jacques Maddaluno. Rassemblant l’ICGM et l’IBMM, il sera un « excellent écrin à la hauteur de la qualité scientifique de ces équipes ». Il regroupe ainsi plus de 800 personnes et se situe à proximité de la troisième unité7 de chimie de Montpellier, l’Institut européen des membranes8 .
« Le rassemblement de la dizaine d’équipes qui forment l’Institut Charles Gerhardt Montpellier, jusque-là installées sur cinq sites différents malgré une cohérence scientifique claire, permettra une économie d’échelle », se réjouit Éric Clot, directeur de l’ICGM. Surtout, le déménagement fut le « catalyseur » d’une restructuration complète de l’institut, désormais organisé en 5 nouveaux départements rassemblant des compétences thématiques et avec des fonctions support centralisées. De la molécule aux matériaux, ces départements s’intéressent autant aux nanosciences qu’aux domaines de l’énergie (stockage) et de l’environnement (chimie propre, développement durable). « C’est l’occasion de ne plus vivre dans le passé et de gagner en qualité, à la fois de la recherche et des interactions entre personnes », explique le directeur de recherche au CNRS.
« La proximité des équipes de différentes spécialités de la chimie et le regroupement en un seul endroit de nos plateformes technologiques sont un atout considérable pour encourager les échanges, les collaborations et l’émergence de nouveaux projets aux interfaces. » confirme Muriel Amblard, directrice adjointe de l’IBMM. Une interdisciplinarité renforcée par la proximité géographique avec les instituts de recherche en biologie. « Cela donnera un élan à nos recherches autour de la conception, la synthèse et la biologie de biomolécules et matériaux pour la santé ».
Ce regroupement « historique » de chimistes constituera ainsi « le centre le plus important en Europe alliant toutes les facettes de cette discipline », de la chimie théorique et fondamentale à la chimie appliquée : chimie organique, inorganique, chimie des polymères et des matériaux, modélisation, etc. pour des applications allant de la santé, à l’énergie en passant par l’environnement.